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Armentières, ville industrielle

     

 

En 1988, un inventaire du patrimoine industriel a été mené sur le territoire du canton d’Armentières.

Partez à la découverte du riche passé industriel de cette ville essentiellement tournée vers le textile : une centaine d’usines ont été recensées dont certaines ont aujourd’hui disparu.

Suite à la numérisation des photographies, ces dossiers sont aujourd’hui mis à jour et progressivement mis en ligne à découvrir en suivant ce lien.

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Vue générale du jardin depuis l'entrée.
Lumière sur

La première piscine du département de l’Oise est inaugurée en 1926 à Creil. Elle est avantageusement située au cœur de la ville, à la pointe de l’île Saint-Maurice, s’ouvrant sur l’Oise. Suivant l’exemple de Paris, où sont construits la piscine de la Butte-aux-Cailles1 (1923) et le stade nautique des Tourelles (1924), et sous l’impulsion du maire socialiste Jules Uhry, la piscine de Creil vient ainsi compléter l’offre, encore réduite, d’équipements natatoires du bassin parisien. Comme c’est souvent le cas dans les années 1920-1930, l’établissement comprend un bassin de natation associé à des bains-douches, répondant à des besoins sociaux en matière d’hygiène, de santé et d’éducation sportive.

L’histoire de la piscine de Creil connaît par la suite de nombreux rebondissements. Endommagée pendant les bombardements de la seconde guerre mondiale, elle est reconstruite en 1963. Souffrant de vétusté ces dernières années, elle a été complètement réhabilitée en 2013, afin de répondre aux nouveaux besoins en matière de piscine, qui, en plus de la dimension sportive et scolaire, touche de plus en plus un public familial, venant s’amuser et se détendre.

Ainsi, la piscine de Creil se signale par son implantation exceptionnelle au centre historique de la ville et son histoire mouvementée. A travers les mutations qu’a connu son architecture (correspondant à trois "types" caractéristiques des piscines : années 1920, années 1930 et années 2000), elle montre que la piscine, en tant qu’équipement utilitaire, subit souvent de nombreuses transformations afin de s’adapter aux nouvelles normes et aux besoins en constante évolution du public, témoignant ainsi de l’évolution de la société au 20e siècle.

Les origines du projet : une politique sociale volontariste

Entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, Creil connaît une croissance florissante grâce au développement de son industrie métallurgique, qui bénéficie de l’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Nord-Lille passant par Creil en 1846, et de sa proximité avec Paris. Au lendemain de la première guerre mondiale, les élections municipales de 1919 sont remportées à Creil, comme dans de nombreuses autres villes françaises, par la SFIO, plaçant Jules Uhry (1877-1936) à la tête de la commune ; il restera maire jusqu’à sa mort. Dès les premières années de son mandat, Uhry mène une politique de modernisation et de reconstruction de la ville, en partie incendiée pendant la guerre. Il entreprend la création de nouveaux équipements (écoles professionnelles, piscine, bains-douches, vélodrome, lavoir-blanchisserie, maternité), de nouveaux quartiers (cité-jardin ; logements sociaux) et de services publiques (assainissement, ramassage des ordures, réseau de distribution de l’eau et d'égouts). Ces aménagements seront relatés dans Les œuvres sociales de Creil publié en 1932 (cf. annexe).

Le projet de piscine-bains-douches-lavoir, initié en 1920, s'inscrit donc dans ce vaste programme de rénovation urbaine à vocation sanitaire et sociale, répondant ainsi aux de besoins de la forte population ouvrière. Avant la construction de la piscine, les Creillois pouvaient se rendre aux "bains chauds", associés à un lavoir (dits Bateau-Lavoir de l’Espérance), aménagés dans une sorte de péniche amarrée le long de l’Oise, à l’angle de la rue de la République et de la rue Jules Michelet, à côté de l’ancien théâtre. En face se trouve l’extrémité est de l’île-Saint-Maurice, berceau médiéval de la ville.

Avant-guerre, cette parcelle est occupée entre autres par des entrepôts industriels et une quincaillerie, bâtiments détruits par les bombardements allemands de 1914, laissant un terrain vide au cœur de la ville. Le conseil municipal décide de racheter les immeubles sinistrés afin d’y édifier l’établissement piscine-bains-douches, ainsi qu’un nouveau lavoir public. Il en confie la réalisation à l’architecte de la ville, Jules Edouard Pestre, assisté à partir de 1922, par Louis Lablaude, architecte de la société l’Œuvre Française d’Hygiène, à Paris. Ce dernier est sollicité car il est spécialiste de la construction des établissements d’hygiène, en particuliers des bains-douches et des lavoirs.

Les premiers plans dressés en 1920 sont modifiés en 1921 et complétés en 1922.

Une construction laborieuse

Le conseil municipal fait un emprunt de 2 150 000 francs pour les travaux de construction de l’ensemble piscine, bains-douches et lavoir, ainsi que pour l’acquisition du terrain. Pour rembourser en partie cet emprunt, la ville obtient deux subventions de l’État (la première de 500 000 francs et la seconde de 275 000 francs), prélevées sur le produit des jeux du Pari-Mutuel. A l’époque, l’État souhaite encourager l’aménagement ou la construction d’édifices à vocation hygiéniste et accorde par conséquent des subventions aux villes désireuses d’entreprendre de tels travaux.

Les travaux débutent en 1923, sous la direction de Jules Bafoil, président fondateur de l’Œuvre française d’hygiène. Du fait de problèmes et de retards à répétition, en particulier la lenteur et le manque de sérieux de certaines entreprises, la première réception de la piscine n’est réalisée qu’à la fin de l’année 1926. La piscine ouvre au public le 1er septembre et est inaugurée officiellement le 12, mais des travaux de finition et d’ajustements fonctionnels restent à faire. On sent qu’il n’y a pas encore de manuels à l’usage des constructeurs des piscines à l’époque et que les normes de sécurité et d’hygiène commencent seulement à se mettre en place.

L’architecture et l’organisation de l’établissement en 1926

Les espaces d’entrée sont situés dans un premier corps de bâtiment, directement relié sur l’arrière par un second corps, abritant le bassin de la piscine et les bains-douches. Le bâtiment d’entrée, construit en ciment, et couvert d’une toiture à pente douce, ouvre sur la rue de la République par une façade évoquant les styles néo-Renaissance ou néo-Renaissance. La piscine n'adopte donc pas le style Art Déco en vogue à l'époque. Le souhait de l’architecte était sans doute d’intégrer stylistiquement parlant le nouveau bâtiment au sein du bâti ancien de la ville de Creil : ainsi elle ne vient pas "dénaturer" le pavillon-kiosque du 18e siècle situé à la pointe de l’île, et protégée au titre des Monuments historiques dès 1925. La façade telle qu’on peut l’observer grâce aux cartes postales, est légèrement différente dans son décor que sur les plans de 1922. Les deux étages de la façade étaient soulignés par deux séries de fenêtres, dont les deux encadrant la porte sont surmontées d’un fronton triangulaire. Une frise décorative continue en crépi moucheté ornait l’étage supérieur. Du relief était donné la façade grâce à un léger avant-corps. Au centre, une porte vitrée donnait accès au vestibule d’entrée. Cette porte était surmontée d’un balcon sur console, dernière lequel se trouvait une grande baie en anse de panier. L’ensemble était couronné par un fronton circulaire contenant une figure sculptée en haut-relief, sans doute une naïade ou déesse de l’eau, se détachant sur un motif rayonnant réalisé, d’après le devis fourni par l’architecte, en émaux de Venise et de Briare. Les autres façades du bâtiment étaient également traitées dans un style néo-renaissance, marquées toutefois par des baies cintrées assez larges pour permettre l’éclairage naturel du bassin. La façade postérieure du bâtiment était marquée par des tours en saillies correspondant aux cages d’escaliers. La toiture du second corps de bâtiment, accueillant le bassin, était surmontée d’un lanterneau à double pente assurant l’éclairage zénithal de la piscine. L’ossature générale du bâtiment, ainsi que les planchers, sous-planchers, les escaliers et la cheminée des chaudières étaient en béton armé. Les soubassements des façades latérales et postérieures était traités en bossage.

Le bassin était construit en béton armé, sur pilotis afin de dégager une galerie technique permettant de vérifier l’état du bassin. D’après le devis, il était revêtu de grès émaillé en blanc, souligné dans le fond par deux lignes de nage de couleur bleue. Les plans et une photographie ancienne de la halle du bassin nous permette de décrire l’architecture intérieure.

La piscine était voûtée en berceau plein cintre et comprenait six travées, rappelant ainsi une nef d’église. Chaque travée s’élevait sur trois niveaux : les arcades du premier niveau, donnaient accès aux « bas-côtés » abritant les cabines ; le second niveau s’ouvrait sur les cabines des baignoires par une série de trois baies rectangulaires surmontées d’une corniche décorée d’une frise de volutes ; le dernier niveau s’ouvrait sur l’extérieur par une baie vitrée en anse de panier. Au niveau de la dernière travée, une galerie fermée par un garde-corps en fer forgé permettait aux visiteurs d’admirer le bassin depuis le premier étage. Le sommet de la voûte est percé et rempli de pavés de verre afin de faire rentrer la lumière. L’éclairage est complété par une grande baie vitrée dans le mur du fond du hall et par des lanternes électriques. Sur le bord du "petit-bain", se trouvait une fontaine en carreaux émaillés, de part et d’autre de laquelle se trouvaient les escaliers permettant d’accéder au bassin.

La piscine était dotée d’un système de renouvellement de l’eau et de filtration afin que l’eau du bassin ne stagne pas et soit la plus propre possible. Ainsi une goulotte débordement, située juste au-dessus du niveau de l’eau, permettait de recueillir le trop-plein. Cette goulotte était bordée par une main courante en fer galvanisé. L’eau est chauffée toute l’année à une température d’environ 23-25 degrés.

Le terrain existant entre les façades latérales et postérieures de la piscine et l’Oise, était aménagé de verdure afin d’en faire un lieu de repos pour le public.

Seulement une dizaine d’années après l’ouverture, la piscine souffre déjà de dégradations et de vieillissement prématuré des installations (fuite dans le réservoir d’eau, tuyauterie et peintures en mauvais état, dysfonctionnement de l’installation électrique et de chauffage, obstruction des canalisations du fait d’une eau dure et pas d’adoucisseur d’eau, etc.). L’inspection départementale de la santé publique et de l’hygiène de l’Oise relève que « l’état de délabrement de la piscine, très anormal après quelques années seulement de fonctionnement, paraît résulter de grosses erreurs de technique qu’il aurait été facile d’éviter ». Par exemple, dans le hall, aucun système de ventilation et d’évacuation des buées n’était prévu ; la condensation en résultant a donc occasionnée la corrosion des éléments métallique et le pourrissement des boiseries.

Plusieurs devis sont proposés par Jacques Debat-Ponsan (1882-1942), architecte des Bâtiments civils et des palais nationaux, afin de remettre en état le bâtiment. La ville ne pouvant supporter de lourds travaux, le conseil municipal opte en 1939 pour que seuls les travaux urgents soient effectués, pour une valeur maximale de 400 000 francs.

Mais la Seconde Guerre mondiale est déclarée et ces travaux n’auront jamais lieu.

La reconstruction et la modernisation après la Seconde Guerre mondiale

La ville de Creil est lourdement endommagée par les bombardements de la guerre. La piscine est hors d’usage ; elle est occupée par un cinéma. Il faut attendre les années 1950 pour que la ville (dirigée par Gabriel Havez, maire de 1950 à 1963) décide de redonner sa fonction à la piscine et d’entreprendre des travaux de rénovation, de modernisation et d’extension, qui auront lieu entre 1961 et 1963 (pour un montant de 165 millions de francs, dont 80 millions de dommages de guerre et 15 millions de subventions de l’État). Les travaux sont confiés à l’architecte André Garnier. L’ancien bassin est détruit au profit d’un nouveau de 25 x 10 mètres (pour 1,2 à 3 mètres de profondeur), dimensions homologuées permettant d’accueillir des compétitions. Les vestiaires sont réorganisées. Les douches et les cabines de bains sont conservées, mais leur nombre est réduit. Les bains-douches sont utilisés jusque dans les années 1980. Des systèmes modernes de chauffage et d’épuration sont installés, ainsi qu’une grande cheminée de 21 mètres. L’ensemble de la structure en béton armé est renforcée. Les façades, dont le style historique n’était plus à l’ordre du jour, sont modernisées et recouvertes d’un enduit blanc, prenant un aspect plus fonctionnel. De même, toutes les fioritures décoratives intérieures sont éliminées. Le bâtiment d’accueil donnant sur la rue est agrandi et équipé sur trois étages de plusieurs logements et de locaux administratifs. Des logements longeaient également la façade sud de la piscine. Le gardien de la piscine y était d'ailleurs logé. Ainsi, depuis la rue, la piscine s’apparentait, jusque récemment, à un immeuble de rapport. La façade postérieure de l’édifice est entièrement ouverte par une grande baie vitrée, permettant d’augmenter la luminosité dans le hall du bassin. Un grand portique en béton armé de 2,20 m de portée, surmonte l’arrière du bassin : il permet de supporter l’étage supérieur. La voûte en berceau, percée de pavés de verre rectangulaires, est conservée.

La nouvelle piscine est inaugurée en grande pompe le 25 janvier 1964 par Antoine Chanut (maire de Creil de 1963 à 1977) (cf. en annexe son discours d'inauguration, lors duquel il raconte les déboires de la piscine pendant la guerre).

La réhabilitation de la piscine, entre 2000 et 2013

Dès 2000, la municipalité de Creil envisage la réhabilitation de sa piscine, qui souffre d’un manque d’attractivité. Suite à une étude, elle choisit de conserver l’ancienne piscine, afin de valoriser ce bâtiment ancien, qui a connu une histoire mouvementée et qui bénéficie en outre d’un emplacement privilégié dans la ville. La rénovation de cet équipement s’inscrit par ailleurs dans les objectifs de revitalisations urbaines du Plan Local d’Urbanisme. Pour mener à bien ce projet, la ville recrute en 2005 une assistance à la maîtrise d’ouvrage (AMO). Ainsi, le bureau d’étude Sport-Loisirs-Concept est chargé d’effectuer un diagnostic de la piscine et de ses installations et d’émettre plusieurs scenarii de réhabilitation possible. Il en ressort notamment de cette analyse que la piscine est trop sombre, que son esthétique la rend invisible depuis l’extérieur (apparentée à une usine ou à un immeuble de rapport), que l’unique bassin ne répond plus aux besoins actuels du public, et que le bâtiment est vieillissant, tant d’un point de vue sanitaire que technique. La structure générale (gros-œuvre en béton armé) était par contre plutôt en bon état.

Deux scenarii sont proposées. La municipalité opte pour le second (solution estimée la plus chère) qui propose de développer l’activité piscine, avec l’augmentation de la surface de plan d’eau. Le projet est élaboré dans une démarche HQE (Haute Qualité Environnementale). L’objectif est de remanier le bassin existant, de créer un bassin balnéo-ludique à travers une extension, d’imaginer un espace bien-être (avec sauna et hammam), de remanier complètement les vestiaires et les sanitaires, d’installer de nouveaux locaux pour les clubs et pour une infirmerie, de reconstruire complètement l’espace d’accueil afin qu’il soit plus ouvert sur la rue et attractif, d’améliorer les locaux administratifs, et enfin de mettre aux normes les installations techniques et l’accessibilité.

Un concours est lancé auprès des agences d’architecture. Le cabinet Duval et Raynal, qui s’est déjà démarqué pour la réalisation de plusieurs centres aquatiques, est retenu en 2009. Les travaux débutent en juillet 2011 et prennent fin à l’été 2013. La piscine est inaugurée fin juin 2013.

1Louis Bonnier, architecte.
Photographie ancienne de l'intérieur de la piscine de Creil, vers 1930 (AC Creil).