Dossier d’œuvre architecture IA62005154 | Réalisé par
Girard Karine (Rédacteur)
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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  • enquête thématique régionale, La première Reconstruction
  • patrimoine de la Reconstruction
Hôtel Moderne, puis immeuble à logements et commerce
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Communauté de communes du Sud-Artois - Bapaume
  • Commune Bapaume
  • Adresse 27 rue de Péronne
  • Cadastre 2017 000 AB 01 38, 225
  • Appellations
    Hôtel Barrois, Hôtel Moderne
  • Destinations
    hôtel de voyageurs, immeuble
  • Parties constituantes non étudiées
    restaurant, cour

Éléments de contexte

Les sources conservées aux Archives départementales du Pas-de-Calais indiquent que la commanditaire de l'immeuble est une veuve, Angèle Leriche. Elle fait appel à un architecte amiénois, Édouard Devillers, dont on connait un autre immeuble de rapport construit à la même période rue Ernest-Cauvin à Amiens. Les travaux ont lieu entre 1923, date de validation des plans par la commission cantonale, et 1925, date de la clôture administrative du dossier par cette même commission, prononcée après l'achèvement des travaux.

Le montant des dommages de guerre destinés à la construction de l'hôtel est de 172 000 francs, sachant que les travaux supplémentaires de peinture, lambris, miroiterie, vitraux, fers, électricité et chauffage central (pour un montant de 70 000 francs dont 10 000 pour les seuls vitraux) ne relèvent pas des dommages de guerre.

L'adjudication des travaux a lieu en juin 1922.

La première mention d'un hôtel rue de Péronne apparaît dans le recensement de population de 1926 (AD Pas-de-Calais, M4309). Il est tenu par Hélène Horner, hôtelière d'origine amiénoise, qui loge trois employés (cuisinier, garçon d'hôtel et domestique) ainsi que deux pensionnaires. Le recensement de 1931 (M 4346) mentionne l'hôtel Barrois dont le gérant est André Martel, époux de Palmyre Leriche, qui emploie deux garçons d'hôtel. À cette date, un logement indépendant est occupé par Élie Barrois et sa femme Angèle Lejosne. Enfin, dans le recensement de 1936 (M 4371), Elie Barrois et sa femme Angèle se déclarent hôteliers et logent une cuisinière.

Angèle Lejosne avait épousé Henri Leriche, charcutier rue de Péronne, où ils sont recensés en 1901 (M 4267) avec leur fille Palmyre, alors âgée de 9 ans. En 1911 (M3595), Angèle Leriche est charcutière débitante rue de Péronne, avec sa fille Palmyre.

Après la Première Guerre mondiale, l'hôtel est connu sous le nom d'Hôtel Moderne, comme en témoignent les cartes postales anciennes.

Les matériaux préconisés par l’architecte dans le devis descriptif

Le marché, signé en juillet 1922, précise que "tous les matériaux récupérables provenant des démolitions devront être employés pour les fondations". Le devis descriptif, également signé en juillet, permet de connaitre les matériaux mis en œuvre dans la construction. La maçonnerie est "en brique ordinaire de pays cuite au four continu, sans parement de façon de cintre, en pierre de taille neuve" qui doit être taillée et ravalée pour les parties moulurées de la façade. Le jointoiement au mortier doit se faire en même temps que la pose. La façade sur cour est enduite en ciment uni ou mouluré pour donner l'illusion de "joints d'appareillage [lesquels devront être réalisés] avec addition de couleur". Les pignons sont "en simili pierre". L'architecte indique que la "décoration en grès flammé [sera] d'après modèle", c'est à dire selon les dessins de l'architecte... Mais nous ignorons où cette décoration était prévue, peut-être sur la façade dont le projet semble porter aux deux derniers niveaux des cabochons en lieu et place des décors sculptés en pierre qui ont été réalisés in fine. Les seuils et marches sont en liais de Senlis, les planchers en béton armé. Les cloisons intérieures sont en briques ou en béton puis enduites au plâtre. La hotte de la cheminée de la salle à manger est décorée de plâtre teinté et les murs de la salle sont recouverts de lambris. Les conduits de cheminée en brique s'achèvent par des souches avec "des écoinçons en pierre et dessus glacis en ciment". Les sols sont laissés en béton nu à la cave, couverts de carreaux d'Auneuil "ou analogues rouges, blancs, bruns, gris ou noirs" ou encore de "carreaux de céramiques à dessins au rez-de-chaussée, où l'on trouve également du parquet en chêne posé à l'anglaise, posé de manière identique mais en sapin pour les étages. Les portes du rez-de-chaussée sont en chêne, comme les escaliers. Les huisseries des étages sont en sapin ainsi que la charpente. Aucune indication n'est apportée sur le matériau de couverture.

Le projet de l’architecte - les plans

Les plans joints au projet de construction montrent que l'immeuble est construit sur un plan rectangulaire, dont le petit côté est la façade sur rue. Si l'on traverse le rez-de-chaussée depuis la rue, on trouve successivement une salle de café puis, sous une verrière, une salle de billard, un restaurant et une salle réservée, selon le plan, aux noces et banquets ouvrant sur un jardin. Les étages, tous identiques, sont desservis par un escalier tournant à palier situé au fond de la salle de restaurant. Ils sont réservés aux chambres. On en compte quatre par étage, deux en façade et deux sur cour. Enfin, le dernier niveau abrite un appartement de quatre pièces occupé par la propriétaire de l'hôtel.

Le projet de l’architecte - les élévations

Le bâtiment principal compte trois étages carrés et un étage de comble. Il présente une élévation à trois travées couronnée par un fronton qui habille l'étage de comble.

La façade, ordonnancée à travées, compte cinq niveaux. Elle est construite sur une symétrie axiale verticale. Elle s'achève par une lucarne-pignon dont les rampants en coins de pierre sont bordés par une importante moulure en ressaut. La limite entre le quatrième niveau et le cinquième niveau (fronton) est marquée par un ensemble de moulurations saillantes qui constituent un faux balcon. Le pignon est percé d'une baie en ogive et surmonté d'une flèche. La largeur de cette baie est égale à celle des deux fenêtres centrales de la façade, plus étroites que celles latérales. À l’exception des fenêtres centrales du premier niveau, toutes les baies ont une hauteur identique et un appui très saillant. La façade du premier niveau, percée d'une porte qui est l'unique accès au restaurant et à l'hôtel, est entièrement vitrée.

Le décor sculpté et polychrome porté sur la façade sur rue est plus dense et plus riche aux étages supérieurs et dans le fronton qu'au niveau inférieur.

Les modifications ultérieures

L'hôtel a été transformé en magasin et appartements il y a environ quarante ans (témoignage de l'actuel propriétaire, 2019).

  • Dates
    • 1925, daté par travaux historiques
  • Auteur(s)
    • Auteur :
      Devillers Édouard
      Devillers Édouard

      Architecte domicilié à Amiens, 82 rue du Blamont, en 1895. Actif durant l'entre-deux guerres à Amiens et sur la côte picarde. Père de Jean Devillers.

      L'annuaire des architectes indique qu'il est domicilié au Touquet-Paris-Plage et à Amiens, en 1935 et en 1937.

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      architecte attribution par source

L'édifice, situé dans une des deux rues commerçantes de la ville, occupe une parcelle sur rue d'une largeur de six mètres, également accessible par la rue perpendiculaire. Il comprend un bâtiment aligné sur rue et un petit jardin en fond de parcelle.

La comparaison entre les photographies anciennes et les plans de l'architecte montre que le bâtiment a été élevé conformément au projet. Les différences visibles aujourd'hui sont le fruit de modifications ultérieures.

Le bâtiment principal est construit en calcaire appareillé en pierre de taille (façade sur rue), en brique et couvert d'ardoise. Le rez-de-chaussée est occupé par un commerce (aujourd'hui fermé) sans autre accès depuis la rue. La façade du premier niveau est toujours entièrement vitrée mais les pieds droits et les linteaux des baies qui étaient à l'origine recouverts de bois sont aujourd'hui recouverts d'un bardage métallique. Enfin, la flèche couronnant le pignon a perdu son pinacle.

S’agissant d’une propriété privée, l’intérieur actuel de l'hôtel n’a pas été étudié. Il n’est donc pas possible de savoir si la construction s’est faite conformément aux plans de l’architecte ni si elle a été a été modifiée par la suite.

  • Murs
    • calcaire pierre de taille
    • brique
  • Toits
    ardoise
  • Étages
    3 étages carrés, étage de comble
  • Couvrements
  • Élévations extérieures
    élévation ordonnancée
  • Couvertures
    • toit à longs pans pignon découvert
  • État de conservation
    remanié
  • Précision représentations

    Le décor de la façade, en pierre de taille, est extrêmement soigné. Deux tables rentrantes sous les baies du troisième niveau, les écoinçons sous les baies du quatrième niveau et les trumeaux latéraux portent un motif de roses que l'on retrouve également dans les voussures autour de la baie ogivale du fronton et sur les panneaux situés sous cette baie. La pierre porte également sur les trumeaux du quatrième niveau de longues incisions verticales en V.

    La brique est utilisée pour apporter une touche de couleur, marquer certaines parties de la façade et lui donner du rythme. Ainsi, dans les pleins de travées latéraux, la brique est posée de chant et en biais. Pour marquer les linteaux légèrement cintrés des baies des deuxième et troisième niveaux la brique forme un éventail. Enfin, elle est utilisée pour former des bandeaux dans les trumeaux dont le nombre varie en fonction des niveaux : deux au second et au quatrième et un seul au troisième.

  • Statut de la propriété
    propriété privée

Bien qu'aligné avec le reste des bâtiments de la rue l'hôtel présente une élévation beaucoup plus importante que ces derniers ce qui le rend immédiatement visible tout comme l'aspect de sa façade le différencie radicalement des édifices environnants. En effet, l'ensemble du vocabulaire décoratif ainsi que la forme en ogive de la baie de la lucarne relèvent du style Art Déco. Ils font de cet hôtel, avec le collège Saint Jean Baptiste, l'un des rares bâtiment de Bapaume à pouvoir être clairement rattachés à ce style. Tout comme le collège il est construit par un architecte venant d'une grande ville et ne travaillant pour aucune des coopératives de reconstruction de Bapaume.

Le choix d'un style Art déco est d'autant plus atypique que la plupart des hôtels reconstruits après-guerre dans les territoires sinistrés, voulant présenter un aspect vernaculaire, ont souvent fait le choix d'une architecture régionaliste en multipliant les effets pittoresques : croupes, faux pans de bois, lucarnes...

A côté de la volumétrie et du vocabulaire Art déco, l'architecte a cependant introduit une touche régionaliste en décorant l'intérieur des rampants du pignon d'un motif de coins en pierre, certainement réalisé avec une pierre de couleur différente, qui rappelle à la fois les "couteaux picards" et les pignons à redents.

Le soin apporté à la volumétrie, au traitement des surfaces, aux jeux de matériaux et aux décors, montre l'importance que l'architecte a accordé à cette façade harmonique. Hormis quelques façades de magasins dans les rues commerçantes (rues d'Arras et de Péronne), peu d'immeubles ont bénéficié d'une telle originalité et d'un tel soin apporté à leur élévation.

Il faut enfin noter que l'utilisation de la pierre en façade est extrêmement rare à Bapaume, où les matériaux de construction sont plutôt la brique et le ciment.

Si l'on compare l'Hôtel Moderne avec l'autre maison édifiée pour madame Leriche par le même l'architecte, rue de la République entre 1923 et 1927 (donc concomitamment à l'hôtel), on constate que cette maison, construite entièrement en briques, ne présente aucun caractère Art Déco. Sur les plans (AD Pas-de-Calais, 10R9/90), sa seule originalité par rapport aux autres maisons de rapport de la rue est de présenter en façade un léger avant-corps en retour d'aile sommé d'un pignon à redents... qui n'a finalement pas été réalisé. Le choix par la propriétaire de l'Art déco pour son hôtel est donc, sans doute, un message publicitaire qui met en avant la modernité de la construction, et donc son confort. Et, pour achever de convaincre les clients qui ne seraient pas sensibles au message subliminal porté par l'architecture, elle appelle son établissement "L'Hôtel Moderne"...

A titre de comparaison, la construction de l'hôtel a coûté 172 000 francs, ce qui est environ la moitié du prix d'une maison de maître bapalmoise, et la maison rue de la République 86 000 francs.

Documents d'archives

  • Bapaume. Recensement de population, 1901.

    AD Pas-de-Calais : M4267
    vue 30.
  • Bapaume. Recensement de population, 1911.

    AD Pas-de-Calais : M3595
    vue 27.
  • Bapaume. Recensement de population, 1926.

    AD Pas-de-Calais : M4309
    vue 32.
  • Bapaume. Recensement de population, 1931.

    AD Pas-de-Calais : M4346
    vue 28.
  • Bapaume. Recensement de population, 1936.

    AD Pas-de-Calais : M4371
    vue 32.
  • Dommages de guerre. Secteur de Bapaume. Dossier n°608. Veuve Leriche-Lejosne : Habitation et hôtel : devis descriptif, convention d'acompte, marché, plans.

    Liste des documents figurés utilisés dans la notice :

    - Élévation de la façade, coupe sur la cuisine, coupe sur la grande salle, coupe longitudinale. Signé, Devillers. Amiens, mai 1922.

    - Élévation de la façade, coupe sur la cuisine, coupe sur la grande salle, coupe longitudinale (projet refusé). Signé Devillers. Amiens, mai 1922.

    - Plans du rez-de-chaussée et de l'étage. Signé, Devillers. Amiens, mai 1922.

    - Plan du sous-sol. Signé Devillers. Amiens, mai 1922.

    Devis descriptif, convention d'acompte, marché, plans.

Documents figurés

  • Bapaume (Pas-de-Calais). Hôtel Moderne. Carte postale, vers 1930. Collection particulière.

Annexes

  • Les matériaux de la reconstruction à Bapaume
Date(s) d'enquête : 2018; Date(s) de rédaction : 2019, 2023
(c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
Girard Karine
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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