Réglement général de la fabrique de MM. Scipion Mourgue et Compagnie à la filature hydraulique de Rouval-les-Doullens, 24 janvier 1810

Article 1 : Les ouvriers des différentes professions employées à la fabrique de Rouval-les-Doullens sont appelés à leur ouvrage par le son de la cloche de la fabrique.

Art. 2 : Tout ouvrier qui ne s'est pas rendu à son poste, dix minutes après le son de la cloche, payera une amende également à la valeur d'un quart de jour de son salaire. Ceux qui ne seront pas rentrés une demi-heure après la cloche, payeront une amende de la valeur d'un demi jour. Tout retard au-dessus de ce délai est puni d'une amende égale à la valeur d'un jour entier de travail.

Art. 3 : Tout ouvrier qui, sans cause légitime annoncée à l'avance à ses chefs, ou sans leur approbation, manque de se rendre à son travail dans la journée, est puni par la perte de la totalité du salaire qui lui serait dû à cette époque.

Art. 4 : Tout acte d'insubordination ou toute autre réponse insolente à ses chefs de la part d'un ouvrier, est punie d'une amende égale à la valeur d'un demi jour de son salaire. Toute récidive est punie par une amende double et l'ouvrier sera déféré à l'autorité compétente, aux termes de la loi contre les ouvriers séditieux.

Art. 5 : Tout ouvrier reconnu pour avoir débauché ou essayé de débaucher un autre ouvrier, est puni par la perte entière du salaire qui pourrait lui être dû à cette époque, et déféré de suite à l'autorité supérieure, comme susdit.

Art. 6 : Nul ouvrier ne peut quitter la fabrique et ne recevra son livret, s'il n'a prévenu préalablement ses chefs que son intention est de quitter dans le délai de quinze jours. En cas de contravention, l'ouvrier perdra le salaire qui lui serait dû à cette époque et ne recevra son livret qu'après avoir fait sa quinzaine.

Art. 7 : Les dimanches et jours de fête consacrés par le Gouvernement sont les seuls reconnus et chaumés dans la fabrique.

Art. 8 : Tout ouvrier qui n'aurait point de livret, est tenu de s'en procurer dans un délai de quinze jours.

Art. 9 : En outre du présent règlement général, chaque chambre aura ses règlements de police particulière auxquels tout ouvrier sera tenu de se conformer sous les peine qui y seront portées.

Art 10 : Il sera formé du produit des amendes encourues aux termes des présents règlements, une caisse de secours qui seront délivrés aux ouvriers blessés, infirmes ou nécessiteux. L'état de situation de cette caisse sera publié ou affiché tous les trois mois dans le lieu où se fait la paye.

Art. 11 : Tout ouvrier qui préviendrait ses chefs d'un vol, ou de toute soustraction d'objet appartenant à la fabrique, sera récompensé suivant l'importance de l'objet soustrait.

Art. 12 : le présent règlement sera soumis à l'approbation de M. le baron, préfet du département, déposé à la mairie de Doullens et affiché dans les divers ateliers de la fabrique, où cette affiche tiendra lieu de signification aux ouvriers.

Fait à Doullens, le 24 janvier 1810.

Signé Scipion Mourgue et Cie

(AD Somme ; 99 M 80013)

Vente par adjudication des belles usines de Rouval-les-Doullens, pour la filature des cotons, les fonderies de fer et de cuivre et de la fabrication des huiles de graines grasses, le 14 juin 1831, par Me Corbin, notaire, Place de la Bourse à Paris.

Cet établissement est situé à Rouval près de Doullens (...) Il se compose de bâtiments, machines, ustensiles et objets ci-après désignés.

1) Bâtiment de la filature, élevé de trois étages avec mansardes au-dessus, d'une longueur de 63 m sur 17,70 m de largeur, contenant au rez-de-chaussée un moteur hydraulique en fonte de fer, de la force d'environ 50 chevaux, avec ses transmissions de mouvement, aussi en fonte ; un aiguiseur pour chapeau de carde, une machine à tourner les cardes, douze bancs à broches en gros, trente-trois bancs à broches en fin, quarante neuf cardes doubles, trois batteurs-étaleurs, quinze étirages à quatre têtes, un rota-frotteur. Les étages supérieures renferment quatre-onze métiers à filer dits Mule-jennys, ayant ensemble 19092 broches.

2) Bâtiment pour le chauffage à la vapeur, composé d'un rez-de-chaussée et d'une mansarde. Sa longueur est de 10,70 m sur 5,60 m. Il comprend une grande et une petite chaudière à vapeur, une pompte hydraulique et autres objets.

3) Bâtiment d'éclairage au gaz d'huile, composé d'un rez-de-chaussée seulement, d'une longueur de 13,60 m x 8,75 m de largeur, renfermant un appareil au gaz d'huile avec ses dépendances d'après le système de Taylor et Martineau.

4) Bâtiment de la fonderie, d'une longueur de 20,80 et d'une largeur de 14,40 m composé d'un rez-de-chaussée et d'un étage sur la moitié de son étendue, renfermant un grand fourneau de fonderie en fonte, plus une grue et autres agrès avec un bel assortiment de châssis de fonderie en font, un fourneau à fondre le cuivre, deux grands et trois petits soufflets de fondeur et autres ustensiles.

5) Bâtiment divisé en ateliers de forgerons avec forge à deux feux, moulins à huile, composé d'un jeu de meules avec leurs bassins et mouvants, presses, chauffoirs, chaudières, pompes, arbre de couche en fer battus garnis de deux engrenages et autres machines ; et de plus magasin et chambre d'épuration d'huile. Au-dessus du rez-de-chaussée, étage divisé en chambre et greniers. Le bâtiment a une longueur de 67,70 m sur 8,30 m de large.

6) Un bâtiment dit de la Tournerie, d'une longueur de 20,80 m et d'une largeur de 5,10 m, élevé seulement en rez-de-chaussée, contenant plusieurs machines à canneler et à percer, et différents tous et ustensiles. Derrière le moulin à huile est un équipage de vannes, et à côté, un moteur hydraulique en bois, renfermé dans une cage en charpente transmettant le mouvement au moulin à huile, ateliers de forge et de tournerie et au grand soufflet de la fonderie.

7) Bâtiment à usage de tonnellerie, d'une longueur de 18,70 m et d'une largeur de 5,30 m.

8) Derrière le moulin et au-delà des vannes, bâtiment servant de logement de concierge, ayant rez-de-chaussée et grenier en mansarde, d'une longueur de 11 m sur 5,55 de largeur.

9) Bâtiment divisé en barreaux, magasin, atelier de menuiserie et hangars avec mansarde sur toute la longueur qui est de 63,50 m, sur une largeur de 7,60 m.

10) Corps de logis principal servant d'habitation de maître, construit en brique, avec angles en pierre de taille et couvert en ardoises, élevé au-dessus du rez-de-chaussée de trois étages et d'un grenier. Sa longueur est 21,5 m ; sa largeur est de 13,60 m.

11) Autre bâtiment aligné au précédent et retournant vers le nord, composé d'un rez-de-chaussée, divisé en cuisines, fournil lingerie, étable, remise avec galetas et mansardes au dessus, et d'un grenier.

12) Bâtiment servant de logement de jardinier, adossé au précédent, composé d'un rez-de-chaussée et d'un grenier.

13) Bâtiment voûté à usage de cellier et laiterie.

14) En face du logis principal, bâtiment à usage de logements d'employés et de concierge, avec cuisine, fournil et écurie, le tout d'une longueur de 31,60 m.

15) A l'entrée est de l'établissement, bâtiment servant de logement de concierge.

16) A la sortie nord et sur le chemin de communication à la grande route d'Abbeville, un bâtiment à usage de boulangerie.

17) A la suite du précédent, un autre bâtiment à usage de logement de contremaîtres et d'ouvriers, construits en briques.

18) Autre bâtiment à côté pour logement d'employés.

19) Derrière et faisant face au corps de bâtiments construits en brique un autre bâtiment pour logement d'ouvriers, d'une longueur de 33,60 m.

20) Et enfin, deux granges d'une longueur, l'une de 8,70 m l'autre de 4,85 m.

Autour des bâtiments : cours, jardin potager et d'agrément, prairies, terres en culture, plantation, oseraie, et petits bois, le tout d'une superficie de 17 hectares 46 ares 50 centiares, y compris l'emplacement des bâtiments.

Cet établissement est éclairé au gaz, chauffé à la vapeur et est pourvu de tous les outils et ustensiles nécessaires. Il peu être mis en activité dès le jour de l'acquisition. Toutes les machines sont en fonte établies d'après les meilleurs systèmes anglais. Au surplus, la réputation justement méritée de ce bel établissement dispense d'entrer dans plus de détails. Cette usine qui a coûté 1.400.000 francs à établir en y comprenant les terrains et la chute d'eau, sera vendue sur la mise à prix de 390.000 francs.

(AD Hérault ; 167 J 10).

Visite de la filature de coton de MM. Sydeham Frères de Rouval-les-Doullens, 2 mars 1865 - Rapport présenté par M. Narcisse Ponche, au nom de la Commission chargée de visiter les grands établissements industriels du département.

La filature de Rouval est située à un demi-kilomètre de Doullens. L'emplacement sur lequel elle est construite était autrefois un grand marais abandonné que traversait l'Authie. Les anciens manuscrits sur la maladrerie de Doullens indiquent qu'il y avait à Rouval en 1544 un moulin à fouler les draps. Cette usine n'eut pas là une longue existence, car peu après sa construction, on trouve qu'elle était remplacée par un moulin à l'huile et à farine. 

En 1808, M. Pierre Mourgue jeta les fondements de la filature de coton de laquelle j'ai à vous entretenir. C'était, surtout pour l'époque, une entreprise difficile. Mais le fondateur de cet établissement était un homme d'une grande énergie et d'un caractère fort entreprenant ; il se procura les dessins des machines anglaises les plus perfectionnées et les fit exécuter et monter à Rouval, sous sa direction. Pour celles qu'il ne pouvait faire exécuter chez lui à cause de la difficulté de la construction ou le manque de matériel nécessaire, il les fit passer en contrebande. Vous savez que le blocus continental était alors dans toute sa rigueur. Ces machines, toutes perfectionnées qu'elles fussent pour l'époque, étaient encore bien loin de rendre les services que rendent aujourd'hui celles que nous avons visitées. En effet, il y avait encore deux à trois cents ouvrières occupées dans la campagne environnante pour battre, éplucher, égrener le coton, et maintenant, avec les batteurs actuels, trois ou quatre suffisent.  

Incendiée le 23 février 1824 et reconstruite avec l'aide des amis et des protecteurs de M. Scipion Mourgue, parmi lesquels se trouvaient la duchesse de Berry, Benjamin Constant, Casimir Perrier, le général Foy, Manuel, le duc de Bassano, la filature passa aux mains de M. Sydenham. 

Le nouveau propriétaire, qui appartenait à une famille industrielle des plus considérables et des plus honorablement connues dans toute la France, était un homme d'une rare intelligence, et joignait à des connaissances spéciales comme industrie, un esprit d'administration très éclairé. Grâce à l'habile direction qu'il sut donner à son établissement, il l'amena en peu de temps à occuper l'un des premiers rangs parmi les filatures de coton les plus renommées, et lui acquit dès le début la réputation qu'elle a conservée depuis. 

La décoration de la Légion d'Honneur qui lui fut donnée en 1831 fut la récompense méritée de ses efforts. La mort vint malheureusement briser cette existence si utile à sa famille et au pays que son industrie faisait vivre, et Mme Sydenham resta veuve avec deux tout-jeunes enfants et à la tête d'une affaire aussi importante. 

Mme Sydenham ne fléchit point sous le coup qui la frappait ; elle accepta résolument la position qui lui était faite, et puisa dans son cœur de mère et son esprit énergique toute la force dont elle avait besoin pour bien élever ses enfants et maintenir le haut degré de réputation auquel était arrivé l'établissement dont elle prenait la direction. 

Tout le pays vous dirait, Messieurs, quels nombreux services elle lui a rendus, avec quel tact elle sut s'entourer de directeurs capables, quels dévouements elle fit naître autour d'elle, l'ordre qu'elle sut maintenir dans toute son administration, comment dans des moments difficiles elle vint en aide à toutes les misères, et avec quelle sage et prudente activité elle développa non seulement les relations qu'elle avait trouvées établies, mais encore comment elle sut en créer de nouvelles pour l'écoulement de ses produits. 

En outre, Messieurs, elle s'appliqua constamment à diriger l'esprit de ses enfants vers la carrière de l'industrie, et tout en leur ayant fait donner l'éducation la plus libérale, les dernières études qu'elle leur fit faire tendirent à ce but, et si nous avons aujourd'hui en Mme Sydenham des collègues dévoués et intelligents dont le concours vous a été et vous sera encore si utile, c'est en partie grâce à la sage et habile direction qu'ils ont reçue dans leur jeunesse. J'ai cru utile, Messieurs, de vous tracer en quelques lignes l'historique de l'établissement dans lequel je veux vous introduire.  

J'ai voulu vous dire chez qui nous allions, et vous me croirez bien facilement quand j'ajouterai que votre Commission y a été admirablement accueillie. 

La propriété actuelle occupe une superficie de 35 hectares sur lesquels se trouvent l'habitation de maître, l'usine, des maisons de contremaîtres et d'ouvriers. Les terres cultivables sont louées à très bas prix aux ouvriers. Il y a en outre un quartier composé d'une grande maison à deux étages qui sert d'auberge pour les ouvriers éloignés, et d'un certain nombre de maisons dans lesquelles sont logés des ouvriers employés dans l'établissement et qui ne paient aucune location. Dans ces maisons quatre-vingt-dix personnes, y compris les femmes et les enfants, trouvent une habitation commode et agréable. 

L'usine se compose de trois grands bâtiments sans les annexes. Ces bâtiments ont la destination suivante : le premier, qui est le plus considérable, constitue la filature proprement dite avec ses accessoires. Le second est affecté au retordage. Le troisième enfin au dévidage. 

Le bâtiment principal, comme nous vous le disions tout à l'heure, renferme toutes les machines destinées à la filature proprement dite ; il a quatre étages, plus un rez-de-chaussée, le tout éclairé par 220 fenêtres. La longueur de chaque étage est de 65 mètres sur 20 de largeur ; la hauteur du sol au toit n'est pas moindre de 16 mètres. Le mouvement est donné à la filature par une machine verticale Powell, de Rouen ; cette machine, à deux cylindres et à condensation, est d'une force de 60 chevaux environ ; auprès d'elle se trouve une autre petite machine verticale de dix chevaux. Ces deux machines sont alimentées par deux chaudières à vapeur de 35 à 40 chevaux chacune. Une roue hydraulique de 40 chevaux, installée sous le bâtiment même, vient se marier avec les machines à vapeur à l'aide du manchon Pouyer-Quertier. Les moteurs à vapeur et les chaudières sont établis dans un bâtiment annexe contigu à la filature. Entrant dans le bâtiment de filature, nous trouvons d'abord à gauche la salle des batteurs, qui est séparée du reste du bâtiment par un mur fort élevé. 

La première machine dans laquelle entre le coton est celle appelée Oldham-Welow. Cette machine, toute récente et de la construction de Platt, se compose d'un tambour armé de dents renfermé dans un grillage double en toile métallique ; il ne sert qu'à ouvrir le coton pris dans les balles et à enlever le plus gros de la poussière. Sans cette première machine, il serait impossible de peser le coton au batteur. On règle à volonté le nombre de rotations que le coton doit faire autour de ce tambour. Les cotons longue-soie n'en font qu'un nombre restreint, sans quoi on risquerait de les rouler. 

La deuxième machine est un batteur étaleur, machine neuve, construction Nicolas Schlumberger. Le coton ouvert est pesé sur un espace fixe, espèce de toile sans fin, formée de baguettes de bois réunies par des lanières en cuir qui l'amènent à l'action de la batte. Ce premier batteur est double, c'est-à-dire qu'il subit l'action de deux battes dans la même machine. 

Après cette seconde opération, le coton passe dans une troisième machine qu'on appelle batteur doubleur. Dans cette machine, de construction Schlumberger comme la précédente, les rouleaux du premier batteur sont placés sur le derrière au nombre de trois, et après le travail intérieur, le coton se reforme sur le devant en nouveaux rouleaux qui vont à la carde. Dans cette pièce des batteurs, l'air n'est nullement vicié comme il l'était autrefois par la poussière qui se dégageait de ces machines ; chacune d'elles est munie d'une cheminée d'aspiration qui entraine au dehors toutes les matières étrangères et va les perdre dans la rivière. L'action des ventilateurs dans les batteurs est utile à un double point de vue. La quantité d'air aspirée doit être proportionnée à la vitesse des battes, de façon que seulement les corps étrangers plus lourds que le coton soient projetés en dessous des grillages. Les ventilateurs aspirent dans la machine elle-même. 

Après la visite au bâtiment des batteurs, nous entrons de suite dans la salle de préparation proprement dite qui renferme trois assortiments de cardes et les bancs à broches. Le premier assortiment est destiné à préparer le coton Jumel, pour numéros fins, de 60 à 70 en trame et demi-chaîne, ou 40 à 50 en chaîne. Le deuxième assortiment est destiné aux cotons fins d'Amérique pour chaînes 36 à 44 et trame et 1/2 chaîne 56 à 60. Sur le troisième assortiment se préparent les cotons Brésil pour les plus gros numéros que produit la filature de Rouval, soit chaîne 30 à 35 et trame et 1/2 chaîne 30 à 40. L'établissement ne travaille ni le coton des Indes ni celui du Levant. 

Nous y avons remarqué trois systèmes de cardes : des cardes en gros pour l'assortiment de Jumel, des cardes moyennes pour les Fernambouc, des cardes à chapeaux finisseurs ou cardes en fin pour l'assortiment de Jumel. 

Le premier système de cardes, machines neuves, construction de Platt, est destiné à un premier cardage ; il se compose d'un briseur qui prend le coton de la nappe aux cylindres et le passe au gros tambour, armé sur sa surface de deux rouleaux nettoyeurs à vitesse très lente faisant office de chapeaux. Ces deux rouleaux à gros tambour, armé sur sa surface de deux rouleaux nettoyeurs à vitesse très lente font office de chapeaux. Ces deux rouleaux se débourrent seuls par l'action d'un petit peigne dont chacun se trouve muni et pour lequel MM. Platt sont brevetés ; ensuite de cinq paires de hérissons et travailleurs dont l'office est de démêler les soies du coton que le hérisson à vitesse lente prend au gros tambour et que le travailleur à vitesse rapide lui rend. Le petit tambour prend alors le coton après qu'il a subi l'action des hérissons et travailleurs. Un peigne le détache en nappe qui, après avoir été pressée entre deux cylindres cannelés, va se ranger en boudins concentriques dans un coiler ou pot tournant. 

Les cardes pour Fernambouc se composent également d'un briseur qui prend le coton à l'alimentation. Cette alimentation a cela de particulier qu'elle ne se compose que d'un seul cylindre d'un diamètre relativement fort qui tourne dans un plateau fixe. On pense que le coton est ainsi mieux peigné par les dents du briseur ; il est aussi plus facile à régler pour rapprocher l'écartement selon qu'on peut en avoir besoin. Sur la surface du gros tambour se trouvent trois paires de hérissons et neuf chapeaux. Les trois paires de hérissons et les travailleurs ont la même action que dans les cardes de description précédente. Les chapeaux sont débourrés mécaniquement par le système de l'américain Wellmann. Ce mouvement, des plus ingénieux, qui a fait son apparition depuis trois ans seulement, rend déjà de grands services dans la filature. Enfin, il supprime le débourreur de chapeaux et fait la même besogne d'une manière beaucoup plus régulière et plus parfaite ; c'est une économie journalière de 3 à 4 francs de main d'oeuvre par 8 cardes à chapeaux. Ces cardes qu'on peut appeler mixtes, permettent d'obtenir un bon cardage même avec des cotons assez difficiles. Les rubans qui sortent de ces cardes vont s'entasser dans des coilers ou pots tournants qui sont ensuite dirigés à l'étirage.

Le Jumel est un coton laineux qui, même dans ses plus belles qualités, se trouve chargé d'un petit bouton blanc extrêmement difficile à enlever. On est obligé de le carder deux fois. Le premier cardage se fait sur les cardes à hérissons décrites en premier lieu. Les rubans de ces cardes sont réunis au nombre de dix-huit derrière une machine à réunir, brevetée d'Ashworths, construction de Dobson & Barlow ; on produit ainsi une happe régulière qui se forme en rouleaux. On place ensuite ces rouleaux au nombre de quatre, derrière les cardes en fin, ce qui produit un doublage de 4 X 18 = 72. Cette machine est munie d'arrêts pour empêcher les bouts de passer comme dans les étirages. Ces rouleaux sont tellement durs qu'un seul pèse de 10 à 12 kg et qu'on peut mettre 40 à 45 kg derrière une carde. Les cardes en fin sont ainsi établies, d'abord l'alimentation, puis le gros tambour muni de 24 chapeaux, le pêtit tambour et, comme dans les précédents, le coiler ou pot tournant.

Après la machine Oldham Welow, le batteur étaleur doubleur de cardes, viennent les étirages, soit la cinquième machine sur laquelle passe le coton après le cardage. Cette machine d'étirage donne une très grande production. Elle a trois têtes alimentées chacune par cinq pots tournants par-devant, plus d'un mouvement d'arrêt pour empêcher les bouts de passer faux. Une seule ouvrière souvent, au plus deux, suffisent pour mener ces machines construites par Platt en 1862, 1863. Le coton passe ensuite par une sixième machine qui est le ban à broches, de 60 et 72 broches, les bobines ont 280 mm de hauteur sur 110 mm de diamètre. Cette machine est munie de compresseurs à force centrifuge. Son excellente construction qui est nouvelle permet de donner aux broches une très grand vitesse. La septième machine, qui comme la précédente, sort des ateliers de Platt, est un banc à broches intermédiaires de 225 mm sur 90 mm et à compresseurs comme dans un banc à broches de 72. La huitième machine varie selon le coton que l'on emploie et le numéro qu'on veut filer. Pour l'assortiment de cardage simple, c'est le banc à broches en fin à compresseur à force centrifuge, construction de Platt, bobines 200 millimètres sur 85 millimètres faisant de la mèche n° 6 destinée à aller simple ou double à la filature. Pour l'assortiment de cardage double, c'est également un banc broches en fin, mais sans compresseur ; bobines à cholettes, 120 millimètres sur 60, faisant de la mèche 8, 9, 10, pour filer en mèche double aux numéros de 40 à 70. Le constructeur de cette dernière machine est M. Hyggins, de Manchester. Voilà Messieurs comment est organisée la préparation de MM. Sydenham. vous remarquerez que presque toutes les machines préparatoires sont de construction récente, et vous en conclurez, comme l'a fait chaque membre de notre Commission, que ces messieurs ne manquent jamais l'occasion d'introduire chez eux les machines nouvelles qui peuvent constituer un progrès pour le travail et apporter une économie dans la production. 

Dans les quatre étages se trouvent d'abord les mule-jenny à la main de 430 broches, pour filer les numéros 50 et au-dessus. Il est, je pense, inutile de vous donner la description de ces machines qui sont connues de tous ceux qui s'occupent de filature ; mais notre attention a été sérieusement éveillée par la comparaison de trois sortes de métiers renvideurs que nous avons vus à Rouval. D'abord les renvideurs Platt et les renvideurs Dobson & Barlow, les deux premiers pour la filature et un troisième renvideur dit selfacting twiner et construction de Platt, spécialement affecté au retordage et dont je vous entretiendrai dans un instant, quand nous serons arrivés au bâtiment du retordage. Sur le renvideur ordinaire, construction de Platt, de 1859, on file couramment des numéros 40 à 45, chaîne et 1/2 chaîne. Les mouvements sont produits par un arbre à excentrique qui fait quatre temps : premier temps : sortie du chariot ; deuxième temps : arrêt du chariot et des cylindres ; troisième temps : fin de la torsion, abattage de la baguette ; quatrième temps : renvidage ; ces métiers ont 432 broches. Les renvideurs brevetés de Dobson & Barlow permettent de filer couramment les 1/2 chaîne 50. On peut même y faire des 60 à 65, si l'on avait des préparations convenables. Les changements de mouvement, au lieu d'être produits par des excentriques, ce qui implique toujours une certaine brutalité, et des chocs nécessairement brusques, sont produits par le jeu des leviers. C'est là ce qui permet d'arriver à des numéros plus fins qu'avec le système à arbre à temps de Platt et autres constructeurs ; l'abattage de la baguette est le point essentiel lorsqu'il s'agit de filer fin et plus doux ; voilà ce qui cause aujourd'hui l'hésitation de beaucoup de filateurs pour adopter définitivement le renvideur. Quand on sera parvenu à filer sur le renvideur un numéro aussi fin que sur le métier à la main, et de plus à donner une torsion aussi légère que celle qu'on peut obtenir avec ce dernier, le procès entre les deux machines sera définitivement jugé. 

Le métier Dobson et Barlow a, sous ces deux rapports, fait faire un grand pas à la question, et votre Commission a été très heureuse de pouvoir l'apprécier. Ceux installés à Rouval ont 756 broches. Un seul fileur en conduit deux avec l'aide d'un rattacheur et d'une bobineuse. Leur production, très économique, permet de donner à l'ouvrier qui les conduit un salaire relativement plus élevé qu'à ceux qui travaillent sur des métiers de plus petite dimension. Dans les quatre étages du bâtiment de filature se trouvent 25 000 broches, sur lesquelles 7 000 de renvideurs. La production moyenne est de 7 000 à 8 000 kg/ Au sujet de la production, vous devez savoir combien est grande l'influence du numéro; elle varie du simple au double entre 20 et 36. 

Nous avons admiré une magnifique installation de tuyaux à eau, communiquant dans toutes les salles, et qui, en cas d'incendie, permettrait d'en arrêter immédiatement les progrès. Tout l'établissement est chauffé à la vapeur par des tuyaux de cuivre ou de fonte. Les communications les plus faciles sont établies entre toutes ses parties par deux escaliers dont l'un, très large et très aisé à monter, est destiné aux 180 ouvriers occupés dans ce bâtiment ; l'autre sert d'escalier de service pour les employés de la maison et de secours en cas d'accident. Sur chaque palier, nous avons remarqué un bureau pour les contremaîtres de chaque salle ; dans ce bureau sont rangés, dans le plus grand ordre, les fournitures diverses si nombreuses et si nécessaires à la conduite et à l'entretien des machines. 

À sa sortie de la filature, le coton filé destiné au retordage est transporté dans le bâtiment affecté à ce travail. Ce bâtiment, d'une longueur de 60 mètres sur 9 de largeur, se compose de deux salles, le rez-de-chaussée et un étage d'une hauteur totale de 9 mètres. Il est mis en activité par une machine horizontale Farcot de quarante chevaux, à laquelle sont affectées deux chaudières, l'une de trente, l'autre de quinze chevaux, cette dernière munie d'un réchauffeur. De plus, une pompe à incendie, fixe, très puissante mue par la roue à eau, qui ressemble aux pompes de navire. Quinze à vingt hommes auraient de la peine à la faire marcher d'une manière suivie. La machine Farcot transmet au grand bâtiment une force de quinze chevaux environ à l'aide d'un câble métallique conduit par une large courroie travaillant sur ses deux faces ; les deux axes des moteurs sont obliques par rapport l'un à l'autre, ce qui constitue un mouvement assez curieux. Le bâtiment du retordage contient 3 960 broches sur lesquelles 2 000 broches de renvideur selfacting twiner à grands écartements et longues broches ; chacune d'elles produit à chaque levée environ 50 grammes de coton retord, ce qui, pour un métier de 500 broches, donne 30 à 35 kg, production fort remarquable. Ces métiers, construction de Platt, 1864, ont cela de remarquable, que, contrairement aux renvideurs ordinaires, c'est le chariot qui est fixe et le porte-bobines qui recule ou avance pour dérouler la matière nécessaire à l'alimentation de la machine. Le résultat obtenu par cette marche est de fournir toujours à l'ouvrière des fils tordus pour rattacher. C'est ainsi qu'on évite les fils faux existant dans le voisinage des rattaches aux retors de Roubaix où le travail est fait sur des renvideurs ordinaires et sur lesquels l'on rattache en marchant. Sur les trente ouvrières employées dans cet atelier, la moitié se compose de petites filles de douze à quatorze ans qui font leur apprentissage sur les continus et travaillent ensuite sur les renvideurs. 

Le bâtiment du dévidage, d'une longueur de 45 mètres sur 9 de largeur, contient, comme son nom l'indique, les métiers sur lesquels se dévide le coton soit simple, soit retordu. C'est là que se font les dernières manutentions : le paquetage, l'encaissage. Trente à trente-cinq ouvriers ou ouvrières sont encore occupés dans cet atelier. Toute l'usine de Rouval est éclairée au gaz ; ce gaz est fait avec des savons calcaires qui proviennent des dégraissages des filatures et peignages de laine; il coûte un peu plus cher que celui extrait de houille, mais il est supérieur comme éclairage et ne noircît jamais les fusées, avantage d'une immense valeur dans les filatures qui travaillent les matières blanches. Il y a environ 300 becs de gaz dans Rouval ; l'éclairage de l'habitation, des ateliers, des cours qui restent éclairées toute la nuit, ne coûte pas plus de 5.000 francs. 

Votre Commission a également visité, et avec grand profit pour chacun de ses membres, les ateliers de réparations, les magasins, en un mot toutes les dépendances de l'usine, et nous avons été unanimes à reconnaître que, jusque dans les moindres détails, l'organisation de l'établissement de MM. Sydenham est parfaite. Je ne terminerai pas ce rapport, Messieurs, sans appeler votre attention sur un fait tout récent, trop honorable pour le nom de MM. Sydenham, pour que je puisse le passer sous silence. 

Pendant tout le temps qu'a duré la crise cotonnière que nous venons de traverser et dont maintenant, grâce à Dieu, nous espérons bientôt avoir le terme, MM. Sydenham ont constamment occupé les deux cent cinquante ouvriers qui travaillent dans leur établissement. 

Ils savaient que fermer leurs ateliers, ou même restreindre le travail, c'était amener la misère au milieu de toute cette population qui, depuis si longtemps, vit avec eux et par eux. Ils ne l'ont pas voulu, et quelques considérables que dussent être les sacrifices à faire pendant ces dernières années surtout, ils les ont résolument acceptés, et beaucoup de nous savent dans quelle proportion. De tels faits portent en eux-mêmes leur éloge, et les citer, c'est les apprécier. 

Nous avons quitté Rouval, heureux de l'accueil si aimable qui avait été fait à votre Commission [...].

Rapport présenté par M. Narcisse Ponche, au nom de la Commission chargée de visiter les grands établissements industriels du département. Bulletin de la Société industrielle d'Amiens, t. IV. 1865, p. 289-303.