Inventaire général du patrimoine culturel - Région Hauts-de-France
| L'Inventaire général du patrimoine culturel de la Région Hauts-de-France

 

 

Fondé en 1964 par André Malraux, ministre de la Culture, l’Inventaire général du patrimoine culturel a pour mission de « recenser, étudier et faire connaître » le patrimoine urbain, architectural, artistique et mobilier de la France, selon les mots même du ministre. Cette compétence a été transférée aux Régions en 2007. 

 

Dans les Hauts-de-France, la documentation scientifique rassemblée depuis plus de 40 ans est publiée sous la forme de dossiers généraux ou individuels qui présentent les édifices ou objets mobiliers étudiés avec textes de synthèse, notices historiques et descriptives, photographies, cartes ou plans, et sources bibliographiques.

Une photothèque et un blog en ligne complètent les données et l’information sur l’actualité du service. 

Partez à la découverte des 14000 dossiers publiés et de leurs 200000 photographies ! Bonne visite !

 

Les études à la une
Image du jour
Vue du sanctuaire.
Lumière sur

Un site providentiel

Lotir un bois pour les besoins de la villégiature a plusieurs intérêts en cette fin de 19e siècle. C'est tout d'abord la possibilité de se retrouver à l'abri des rayons solaires et de la chaleur. Plusieurs fois dans son opuscule Jean-Baptiste Theulot nous parle de ces inconvénients : Grâce à la proximité de cette annexe unique, la plage, peut, pendant les heures brûlantes de la journée, être désertée pour le bois. Nulle part sur le littoral pareil avantage ne se rencontre. A la mer, on le sait, lorsque le soleil darde ses plus ardents rayons, alors qu´un peu de fraîcheur serait si vivement appréciée, il est impossible de sortir et l´on est obligé de rester dans des chalets incommodes, construits le plus souvent les uns sur les autres, sans qu´un coin de verdure y vienne jeter sa note gaie. Au dehors la brise de mer est elle-même impuissante à lutter contre l´ardeur du soleil et sa réverbération sur le sable et le galet brûlants. Nul abri sur un sol aride et dénudé. On souffre de la chaleur le jour, et, la nuit, on ne peut trouver le sommeil sous un toit surchauffé depuis l´aube. Au Bois de Cise, au contraire, chacun aura sa maison au milieu d´ombrages merveilleux d´où tombe une fraîcheur apaisante et salutaire, et la forêt est là qui offre à tous un plaisant abri contre l´ardeur du soleil, permettant de réaliser à souhait ce rêve : la campagne et la mer (pp. 9-10).

En cette fin de 19e siècle, les femmes se doivent d'avoir le teint clair, non hâlé, afin de ne pas ressembler aux femmes de la campagne, vivant en plein-air. Outre les voilettes et les ombrelles, le bois leur est parfaitement conseillé : Les mamans, ici, s´en plaindront d´autant moins que, de leur côté, pouvant fuir les ardeurs du soleil, leur teint, embelli par l´air fortifiant et le parfum des plantes aromatiques que la nature a prodiguées dans ce coin privilégié, ne connaîtra pas les inconvénients du hâle (p. 11). L'air assaini des sous-bois est aussi mis en avant : A la plage du Bois de Cise, - et là seulement -, le baigneur, venu se réconforter aux émanations de la brise saline, pourra se reposer en même temps à l´ombre des grands arbres ; lesquels sont, on le sait, de très actifs agents d´assainissement atmosphérique. Il est, en effet, constant qu´au point de vue hygiénique l´air salin imprégné par les arômes des différentes essences sylvestres convient tout particulièrement aux enfants (pp. 10-11).

Les bienfaits de l'air salin mélangé aux effluves balsamiques, la fraîcheur du sous-bois et l'ombre des arbres, sont les atouts essentiels recherchés à la fin du 19e siècle, que possède le Bois-de-Cise et que le lotisseur, Jean-Baptiste Theulot, a eu le talent de découvrir.

La référence à la forêt domaniale

Le choix d'un bois est aussi lié à la volonté d'inscrire le lotissement, création nouvelle, dans le prolongement d'une histoire plus ancienne, aussi séculaire que les arbres qui composent le site. Theulot ne manque d'ailleurs pas de faire remarquer que le bois n'est pas artificiel : La plage du Bois de Cise, est, du reste, on ne saurait trop le répéter, la seule où l´on trouve de vrais arbres : non un bois maigre, sans sève ni végétation, mais de beaux chênes, de superbes bouleaux au feuillage délicat, des châtaigniers, des noisetiers, et même des sapins, qui ne dépareraient pas de nos magnifiques forêts de Saint-Germain, de Blois ou d´Orléans (p. 11). La référence aux forêts royales inscrit durablement le Bois-de-Cise dans une histoire à la fois ancienne et prestigieuse, loin des créations factices de quelques stations de villégiature.

En outre, Jean-Baptiste Theulot s'inspire pour le Bois-de-Cise des lotissements de parcs arborés qui font déjà référence à la fin du 19e siècle : Le Vésinet, Maisons-Laffitte sont des modèles de prestige pour le lotisseur et il ne fait que poursuivre la même idée basée sur le développement d'un héritage historique. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les premiers guides touristiques mentionnent régulièrement l'histoire ancienne du site, avant son acquisition par Theulot, de même que le récit de Cadoudal caché dans sa grotte au pied de la falaise.

Le paysage du lotissement

Le caractère paysager de ce bois naturel est révélé par le lotisseur : la traversée du lotissement, depuis la route menant de Mers à Ault, jusqu'à la plage, est une découverte savamment codifiée.

L'entrée du lotissement était à l'origine marquée par un portique en bois portant l'inscription 'Plage du Bois-de-Cise' [fig. 15]. De style rustique, il est à l'image de certains édicules élevés dans la station et actuellement disparus (kiosques, puits), et de certains détails d'architecture (garde-corps de balcons en rocaille). Ce portique était composé d'un passage central destiné aux véhicules, et de passages latéraux destinés aux piétons. Au premier portique a succédé un second, moins ouvragé au cours de l'entre-deux-guerres. Hautement symbolique, l'édicule marquait l'entrée dans un territoire particulier : actuellement totalement disparu, l'entrée dans le site n'est plus mise en scène [fig. 32].

L'entrée dans le lotissement proprement dit se fait par une immersion dans le bois qui n'était depuis le portique qu'un tapis de verdure lointain [fig. 33]. Au carrefour Saint-Georges, le visiteur a le choix entre plusieurs directions : en face en descente, à gauche ou à droite, en montée. Si le même visiteur est à pied, il trouve ensuite de multiples sentiers et allées à monter ou descendre, se coupant à angles droits comme dans les forêts domaniales. D'emblée, le lotissement s'avère un vaste terrain de découvertes et de surprises.

Enfin, au plus près de la mer, le bois disparaît et laisse place à la falaise dénudée, d'où l'on peut voir la mer, depuis le fond de valleuse ou le flanc des coteaux, sur un site en 'amphithéâtre' comme l'écrivait Theulot [fig. 41].

L'avenue centrale qui traverse d'est en ouest le site est le vecteur qui assure la transition entre ces divers espaces, du plateau à la mer, des terres cultivées à la plage, en passant par le sous-bois. La diversité des paysages qu'elle traverse et les points qu'elle dessert (l'entrée du site et la plage) en font une promenade de choix. Les cartes postales du début du 20e siècle et le plan du lotissement montrent d'ailleurs la présence de sentiers piétonniers et de bancs aménagés le long de l'avenue. De fait, elle remplace une digue promenade qui n'existe pas au Bois-de-Cise, et le choix d'y implanter le casino n'est pas dénué d'allusions. La première portion de la voie, nommée route du Vieux-Chêne, noyée sous le couvert végétal, devient la Grande avenue du Bois-de-Cise après un virage, d'où le promeneur devine peu à peu la présence de la mer [fig. 35].

Un lotissement paysager

Ces ambiances multiples sont le résultat d'une exploitation intelligente des qualités du site, en particulier des pentes de la valleuse. Les routes carrossables suivent en effet les lignes de déclivité, afin de ne pas avoir de pentes trop abruptes pour les véhicules, tandis que les sentiers piétonniers les relient dans le sens de ces mêmes pentes : ce quadrillage du terrain assure un accès aisé aux îlots ainsi dessinés, tandis qu'il permet des promenades, loisir très pratiqué en cette fin de 19e siècle.

La topographie du site, en cuvette, assure aussi de multiples positions du bâti : en hauteur, dans la partie basse, plus près de la mer ou au coeur du bois. Cette position en 'amphithéâtre' comme l'écrit d'ailleurs Theulot, assure aussi des implantations qui ne se gênent pas les unes les autres. L'aspect climatique de la situation n'échappe pas au lotisseur : Située, on pourrait dire au creux d´une cuvette formée dans le plateau des hautes falaises qui l´environnent, cette station est constamment à l´abri des grands vents du sud-ouest, et, cependant, son altitude au dessus du niveau de la mer lui assure un air pur, sec et stimulant, et l´on n´y est exposé ni à l´humidité de la plage, ni aux forts coups de vent, si onéreux pour les propriétaires en raison des frais d´entretien qu´ils occasionnent pour les maisons bâties trop près du rivage (p. 12).

Les travaux d'aménagement de la plage

Si le site possède des qualités topographiques, celles-ci étaient au départ une difficulté qu'il a fallu apprivoiser. C'est certainement l'aménagement du front de mer qui a monopolisé le plus d'énergie. Ce dernier était en effet constitué à l'origine d'une falaise culminant à une cinquantaine de mètres qu'il a fallu abaisser afin de faciliter l'accès à la mer : une large entaille est pratiquée à la dynamite pour enlever plusieurs mètres cubes de craie [fig. 10 et 11].

La plage reste néanmoins en contrebas de la falaise, et il est nécessaire d'aménager un escalier d'accès. Il est d'abord percé dans la roche, parallèlement à la mer, entre deux parois [fig. 28]. Mais l'érosion naturelle de la roche conduit à sa destruction partielle [fig. 27]. Un escalier perpendiculaire au front de falaise est finalement aménagé [fig. 31 et 43].

La plage elle-même, composée de marne, a été taillée au pic afin de faciliter les dépôts naturels de sable à chaque marée. Au grand désespoir de Theulot, la marée apporte aussi au pied de la falaise des amas de galets roulés par les algues, à chaque marée haute : afin de ne pas effrayer les premiers investisseurs, Theulot précise dans son guide que l'administration de l'hôtel de la Plage s'engage chaque année à enlever ces galets. Afin de rendre la plage plus accessible encore, un terre-plein en ciment, à usage de digue promenade, est réalisé vers 1906. Selon un guide touristique de 1925, cette digue en ciment armé mesurait 100 mètres de long et 20 mètres de large. Fragilisée par de multiples tempêtes, elle se disloque définitivement au cours de la deuxième décennie du 20e siècle.

Afin de retenir le sable amené par les courants, un épi maçonné est construit, de même que cinq épis brise-lames en charpente. Au cours l'entre-deux-guerres, l'épi en maçonnerie, disloqué, est remplacé par trois épis en charpente.

Les cabines de bains en bois sont disposées en hauteur, à flanc de falaise, afin de ne pas subir les assauts des vagues [fig. 26]. Actuellement, plus aucune cabine n'est visible en bord de plage.

Le plan de lotissement : les voies

Sur le cadastre napoléonien daté de 1825 [fig. 1 et 2], le bois est désigné sous un seul numéro (C 551). Près de la mer, en fond de valleuse (nommé le Fond de Cise), les parcelles, moins boisées, sont plus nombreuses. Les chemins qui desservent actuellement les abords du site existent déjà sur ce plan de 1825 : un premier, à l'entrée du bois, est le chemin qui mène à Mers-les-Bains, un second dessert le versant nord de la valleuse, et un troisième (chemin de Lamotte au Bois) longe la lisière sud.

Une des premières tâches du lotisseur est de percer des routes de desserte, au coeur du bois, dont le tracé constitue par voie de conséquence des îlots ensuite divisés en plusieurs parcelles boisées. Ces voies sont de deux types : les voies routières, carrossables, dès l'origine empierrées et cylindrées, et les voies piétonnes, appelées sentiers ou allées, en terre ou avec marches. Selon le guide écrit par Theulot, 500000 francs ont été dépensés pour ces travaux de viabilité, dirigés à partir de mai 1898 par un certain Chapelle, entrepreneur.

Si une hiérarchie est opérée entre les voies carrossables et les voies piétonnes, nous notons aussi une hiérarchie des voies carrossables entre elles. Une voie principale mène de l'entrée du bois à la mer (route du Vieux Chêne prolongée en Grande avenue du Bois-de-Cise). Celle-ci suit fidèlement la topographie du site, en fond de valleuse, en imprimant un virage. Depuis cet axe central, diverses routes carrossables naissent non loin du carrefour Saint-Georges et desservent l'ensemble de la station. Au nord, la route des Ormeaux se prolonge en route d'Ault et se termine en route des Mouettes au dessus du square Dusautoy. Cette voie suit les courbes de niveaux et irrigue le versant nord de la valleuse en passant en son centre. Près de la mer, la route des Mouettes a pour fonction de desservir le fond de la cuvette, grâce à des voies en lacets. Le versant sud est irrigué par la route des Tilleuls qui, près de la mer, se divise en deux routes de la Falaise, l'une remontant le coteau, et rejoignant l'ancien chemin en bord de lisière, l'autre redescendant en fond de valleuse par le même système de lacets [fig. 36]. Ces trois principales voies fonctionnent en circuit fermé. La partie nord-est du site, sur un plateau, présente un réseau différencié, sans grande relation avec la logique d'ensemble, si ce n'est le débouché des routes de la Belle-Hortense et la route d'Ault sur la voie principale du coteau. Afin d'éviter la monotonie, ces routes sont courbes (la route de la Belle-Hortense part de l'est pour arriver à l'ouest en imprimant deux virages opposés) et forment de nombreux croisements (la route d'Ault coupe le tracé de la route de la Belle-Hortense, de même que la route de la mare aux Biches, pour déboucher sur la route des Pins). De fait, une organisation des voies en circuit fermé, autour de l'avenue centrale, apparente sur les plans, disparaît sur le terrain, derrière la sinuosité des routes.

A ce réseau carrossable s'ajoute le réseau des allées et sentiers dont les appellations sont liées au règne animal et végétal [fig. 37 à 40]. Celles-ci sont de deux types : parallèles à la mer ou parallèles à l'avenue centrale. Le premier réseau, parallèle au front de mer, présente des sentiers tracés à équidistance les uns des autres, menant d'un versant à l'autre de la valleuse, coupées par les routes carrossables. Les pentes étant fortes, ces sentiers sont le plus souvent aménagés de marches grâce à des rondins de bois [fig. 39]. Un second réseau suit le tracé des routes carrossables, allant de l'est vers l'ouest, et coupant donc parfois les sentiers orientés nord-sud (allée Germaine, allée Marie) [fig. 38]. Sur le plateau, au nord-est, l'ensemble des sentiers mènent à la route d'Ault, ossature centrale de cette partie du site. Le chemin du Paradis tient une place particulière et assure une fonction très symbolique, comme l'évoque d'ailleurs son appellation [fig. 40]. Tracé sur une forte pente, ses marches en rondins mènent à la chapelle, en prolongement de la ligne droite de l'avenue centrale, et donc dans l'axe de la percée sur la mer.

Certains sentiers, ont été abandonnés (source : repérage) : sentier des Eglantines, sentier des Lapins (portion entre la route de la Belle-Hortense et route des Ormeaux), une partie de la route de la mare aux Biches (portion entre la route de la Belle-Hortense et route des Pins). Le tracé de la route des Pins a été modifié.

Afin de faciliter l'accès à la station, Theulot avait envisagé, dès la création du lotissement, une liaison avec la gare de chemin de fer d'Eu grâce à un tramway électrique, prévu en 1900. Ce même tramway principal devait d'ailleurs être relayé au sein de la station par plusieurs petits tramways électriques assurant la circulation au sein du bois. Une Société anonyme du tramway électrique est constituée vers 1898, avec un capital de 500000 francs divisé en 5000 actions de 100 francs chacune. Celle-ci avait pour but de construire la future ligne ainsi qu'une usine électrique à Eu, qui fournira dans le même temps l'énergie à la station. Mais le projet n'est jamais réalisé, les routes et sentiers restant uniquement carrossables ou piétonniers.

Les espaces libres

Les divers plans du lotissement présentent plusieurs espaces libres dont certains sont actuellement abandonnés.

Le square Dusautoy (actuellement Pomeranz) est le plus emblématique : situé en fond de valleuse, il assure la transition entre le bois et la falaise. C'est à cet endroit que les voies carrossables principales convergent, formant un carrefour en amont. Par ailleurs, la route du Casino et la route de la Plage qui le contournent lui donnent sa forme ovale. Il était à l'origine parcouru d'allées sinueuses, avec pour référence un 'jardin anglais', comme il était souvent décrit et prévu sur le plan de lotissement [fig. 4, 12, 19, 20, 21]. Un bassin avec jet d'eau occupait son centre, des kiosques couverts de chaume ou construits en faux pans de bois l'agrémentaient en périphérie afin de laisser libre vue sur la mer. Un court de tennis, initialement prévu par Theulot sur le versant nord de la valleuse, est finalement installé sur le square jusqu'au milieu du 20e siècle. Dans les années 1950, l'Association syndicale et l'Association sportive aménagent deux courts supplémentaires, ainsi qu'un terrain de volley. Actuellement, une petite salle de réunion avec toilettes publics, des jeux pour enfants et un boulodrome constituent les aménagement du square gazonné, les allées sinueuses, le bassin central et les équipements sportifs n'existent plus.

Le square se prolonge vers la mer par une plate-forme en pente douce, résultant de l'entaille pratiquée dans la falaise. Ce dernier espace est à la fois un espace de circulation, grâce à des allées en zigzags qui mènent à la mer [fig. 41], et un espace de détente par le panorama qu'il propose (des bancs sont placés).

Deux seconds espaces libres, plus restreints, subsistent au sein du lotissement : devant l'emplacement du casino détruit, une parcelle de forme triangulaire (AM 86) plantée d'arbres [fig. 46], et devant la maison dite Le Chaume des Rossignols (non cadastré) un espace avec panneaux indicateurs, un ancien puits ayant connu plusieurs aspects successifs et des bancs (square du Vieux-Chêne ou carrefour du Vieux-Puits) [fig. 34]. A côté de ce square, un lot était réservé pour le marché ; il est actuellement construit.

Edifices structurants

Entre le plan du lotissement établi vers 1898, les réalisations effectives et la situation actuelle, nous notons quelques disparités.

La construction d'un hôtel de voyageurs d'une capacité de 100 chambres est prévue sur le plan du lotissement, sur une vaste parcelle située à gauche de la falaise. Les plans de l'édifice sont confiés à l'architecte Théophile Bourgeois. De même, un casino est envisagé en front de mer, en contrebas de la falaise [fig. 3, 5 et 7]. Pour ce faire, une Société immobilière de l'Hôtel et du Casino de la Plage du Bois-de-Cise, au capital de 450000 francs, divisé en 4500 actions de 100 francs est constituée dès les années 1898. Mais pour des raisons inconnues, vraisemblablement l'échec de la société, les deux édifices ne sont jamais élevés. Le casino est finalement implanté au sein d'un café restaurant situé au centre de l'avenue principale, renforçant le rôle structurant de cette dernière, en même temps que la voie mettait en valeur l'édifice. La destruction de ce petit casino au cours de la Seconde Guerre mondiale a fait perdre à cette partie de l'avenue sa fonction centralisatrice.

La chapelle reste finalement le seul édifice en place dont la position structure l'espace : prévue sur le plan de lotissement, elle domine la station, de par sa position haute, désaxée par rapport à la voie que l'on emprunte depuis l'arrivée, mais placée dans l'axe de la plage, de la Grande Avenue du Bois-de-Cise et du chemin du Paradis.

Le parcellaire

A l'origine, les tailles des parcelles varient de 180 à plus de 1700 mètres carrés. Les premières constructions, situées le long de l'avenue et près de la mer, sont implantées sur des parcelles étroites, traversantes, entre une voie carrossable et un chemin piétonnier.

Dans son opuscule, Theulot expliquait la façon dont il voyait se combler le lotissement, résultat d'une spéculation étudiée : Prenant le prix moyen de 10 francs d´un lot, très bien situé, ayant vue sur la mer, et chaque lot étant de 1000 à 1200 mètres, nous disons à l´acquéreur d´un de ces lots : vous achetez 1000 mètres boisés à 10 francs, cela vous fait, acte en main, 10800 francs. Vous faîtes élever dessus une villa de 8000 francs, d´où un coût total de 18800 francs. Comme chaque lot a accès sur deux avenues, vous avez placé votre maison de façon qu´elle n´occupe, avec le bouquet d´arbres qui l´entoure, que 500 mètres, et dans les deux ans au plus, vous revendrez, à 45 francs ou 40 francs, au minimum, l´autre partie de 500 mètres, ce qui vous fera rentrer dans 20000 francs. Vous aurez donc pour rien votre terrain de 500 mètres et sa construction, plus un reliquat de 1200 francs pour l´intérêt de vos 18000 francs pendant un an ou deux. L´avenir dira si nous nous trompons (p. 34). Dans les faits, cette solution n'a pas vraiment été suivie par les propriétaires, seuls quelques cas de division de terrain ont pu être rencontrés (Béatrice et Marie-Josée et Cizette). La solution contraire serait par contre la plus fréquente, de nombreuses parcelles ayant été réunies. Les constructions les plus récentes elles aussi sont élevées sur de vastes parcelles.

Actuellement, de nombreuses parcelles ne sont pas construites, mais toutes sont pourtant des propriétés privées. Les quelques destructions de villas au cours de la Seconde Guerre mondiale n'expliquent pas cette situation, qui est plutôt le résultat d'associations de parcelles qui n'ont jamais été construites. Déjà sur le plan de 1898 [fig. 5], de nombreux lots avaient été vendus, vraisemblablement dans un but spéculatif. Il semble que ces acheteurs n'ont jamais trouvé de nouveaux acquéreurs, traduisant le relatif insuccès du lotissement. Il est d'ailleurs intéressant de constater que le nombre de constructions nouvelles chute après 1918 [fig. 9]. La mode n'est plus à se cacher du soleil, mais au contraire, à s'exposer et vivre au grand air pour chasser les maladies. Le sous-bois de Cise n'est plus attractif, d'autant plus que sa plage est difficilement accessible.

Après la Seconde Guerre mondiale, la limite de constructibilité portée à 1500 mètres carrés de superficie (révision des statuts en 1970) entraîne une diminution du nombre de constructions, ce qui ensuite renforcé quand cette limite est portée à 2000 mètres carrés, associé à une interdiction de construire en lisière du bois. Le Plan d'occupation des sols de 1992 qui protège le Bois-de-Cise en 'espace boisé classé' renforce les prescriptions (source : Mme Lecoeur).

Le bâti

Contrairement à ce qui a souvent été écrit et repris dans la tradition orale, le Chaume des Rossignols et les pavillons des gardes ne sont pas antérieurs à la création du lotissement. Les plans du lotissement à notre disposition [fig. 3 et 5] montrent par contre une construction au niveau du virage de l'avenue principale, sous Le Chaume des Rossignols, en partie sur l'emplacement ensuite réservé au marché. Cette construction est aussi visible sur une photographie ancienne issue du guide de Theulot [fig. 14]. Il semblerait que cet édifice ait pu servir de rendez-vous de chasse pour Chardin, ce qui aurait ensuite prêté à confusion.

Majoritairement, les constructions de la station sont des maisons individuelles (53 repérées, y compris les détruites) (voir les caractéristiques dans le dossier collectif communal 'maisons'). Nous notons la présence de quelques hôtels de voyageurs transformés en immeubles à logements (6 hôtels repérés). Quelques échoppes ont existé, mais nous n'en dénombrons plus aucun actuellement, à l'exception d'une charcuterie artisanale sise route d'Ault, installée dans les locaux d'une ancienne fonderie (Jolly) (source : Mme Lecoeur).

Les édifices sont construits en milieu de parcelle, encadrées d'un jardin boisé. Leur façade est orientée sur la rue, de même que pour les constructions les plus proches de la mer qui ne montrent qu'une façade latérale côté mer (volonté de lutter contre les assauts du vent). Les terrains en pente nécessitent souvent la présence d'un étage de soubassement.

Ainsi, les maisons du Bois-de-Cise appartiennent majoritairement au type 'villa', maison mono-familiale implantée en milieu de parcelle, ce qui implique le développement de quatre façades. Il existe aussi des maisons inspirées de modèles urbains. La maison de type 'une travée', développée en hauteur, peut être illustrée avec la maison dite La Marsa, qui présente d'ailleurs une façade latérale droite aveugle, comme pour accueillir une seconde maison accolée. Seule adaptation, l'entrée est ici latérale, alors que la mitoyenneté de la ville aurait imposé une entrée en façade antérieure. De même, nous trouvons le type de la 'maison à deux logements accolés', avec entrée en façade antérieure ou latérale, qu'il est fréquent de rencontrer en milieu urbain sur des parcelles coûteuses et étroites. Ici, pourtant, l'édifice est implanté en milieu de parcelle (Villas Bambous et Les Roses).

Dans son opuscule, Theulot conçoit qu'une fois l'acquisition du terrain faite, il est parfois difficile de se faire construire une maison, les finances de l'acquéreur s'étant amenuisées. C'est la raison pour laquelle il propose des constructions à forfait, de tous styles, modifiables selon les volontés du client, aux prix de 6.000, 8.000 ou 10.000 francs, avec une possibilité de régler en 4 ou 5 annuités (p. 29). Ces plans types sont dressés par Théophile Bourgeois, dont les réalisations marquent le paysage du bois. Ce dernier, architecte à Poissy (Yvelines), publie d'ailleurs deux recueils avec des plans de villas, dont on retrouve un extrait au début du 20e siècle, dans le chalet de l'Administration (villa Le Chat Noir, ou Fanfreluche, actuellement Le Manoir). Avec une même distribution intérieure, l'architecte réussissait à multiplier les physionomies extérieures : l'exemple des 'Trois Chalets', implantés au sud du square Pomeranz, en est un parfait exemple. Le style du maître d'oeuvre est hybride, mélange de style néo-normand (faux pans de bois en ciment, demi-croupes du toit), de détails balnéaires (emploi du bow-window, des balcons et décrochements du mur), et ponctuellement, des détails Art nouveau dans l'emploi des menuiseries avec motifs d'animaux sculptés. Ces détails tendent malheureusement à disparaître avec le temps. 9 maisons lui sont attribuées au Bois-de-Cise.

14 autres maisons sont attribuées, par signature portée sur l'édifice ou par source :

- Balbiano, E. : Les Charmilles

- Blanchet, E. : Les Coucous

- Chauvin, Léon : La Pinada, Villa Georges, Val-de-Cise, Le Tourbillon

- Lasnel : La Sauvagère

- Lanco : Le Chaume des Rossignols

- Oget, Zéphir : Le Cottage

- Ogez et Koenig : Villa Yvonne et Chalet Marie-Pierre

- Pellet et Gontard : La Boisière

- Ricadat, P. : Les Noisettes

- Tronchet, Guillaume : Lumen

Au cours de l'entre-deux-guerres, le style régionaliste banalisé se développe dans la station, avec des réalisations confiées à des entrepreneurs (Léon Chauvin, E. Balbiano, Pellet et Gontard). Les poncifs des styles régionaux sont utilisés, comme le pignon en façade couvert d'une demi-croupe, le gros-oeuvre enduit et le faux pan de bois en ciment en partie supérieure du mur, citant tantôt le style néo-normand (La Boisière), tantôt le style basque (La Pinada). Les maisons sont de plus petites dimensions, le plus souvent à rez-de-chaussée et étage de comble en surcroît sur le pignon en façade. On peut noter l'apparition du garage dans-oeuvre en soubassement à cette période (Les Pinsons).

La période d'après Seconde Guerre mondiale est caractérisée par quelques reconstructions grâce aux dommages de guerre, la rénovation de maisons sinistrées (Lumen) ou la mise en place de 'pieds à terre' [fig. 54, 65]. Les maisons construites à partir des années 1960 utilisent peu les attributs caractéristiques du balnéaire, à l'exception du balcon [fig. 58, 63].

L'idée de décor est peu présente sur l'ensemble des maisons, tenant plus des effets de la mise en oeuvre des matériaux du gros-oeuvre que d'un décor apposé. Ainsi, l'appareil mixte de briques de couleur rouge et brique est souvent employé avant 1918. L'idée de style 'rustique', à l'image du cadre boisé, est utilisé pendant toute la première moitié du 20e siècle : à l'image du portique à l'entrée du lotissement, et des kiosques et puits couverts de chaume, certaines maisons ont arboré des garde-corps de balcons en ciment imitant des branches d'arbres (Val de Cise). La maison dite Le Chaume des Rossignols, avec de vrais pans de bois aux formes naturelles, est à l'image de ces réalisations.

Activités touristiques, clientèle et image de la station

Les guides touristiques anciens nous renseignent sur les activités mises en avant pour attirer les baigneurs, touristes et clients de la station. Très souvent, la promenade dans le bois, à l'abri des rayons du soleil, est l'activité privilégiée à la fin du 19e siècle. Les guides énumèrent quel type de faune et de flore le promeneur aura la joie de rencontrer dans le bois, avec l'idée sous-jacente d'enrichissement personnel.

Dans son opuscule, en 1898, Theulot cite la chasse de grève à la sauvagine de même que la chasse au gibier d'eau dans le Hâble d'Ault. La plage de sable, qu'il décrit en pente douce et sans trous, est le paradis des enfants qui s'adonnent à la pêche à la crevette et aux coquillages. Il prévoit l'organisation de promenades en bateau.

Les excursions en dehors du Bois-de- Cise sont aussi conseillées : à pied, vers Mers-les-Bains par le sentier des douaniers, au Bois de Rompval, à vélo, vers Ault, ou plus loin, en véhicule hippomobile, puis automobile.

Un guide touristique de 1925 résume ainsi le Bois-de-Cise : " En résumé, on trouve tout au Bois-de-Cise : des roches, des galets, du sable, des routes et des sentiers accidentés pour la cure de terrain, des fleurs et des oiseaux pour entretenir un moral de joie et de gaieté et enfin, la mer, source de toute vie qui fournit en abondance poissons, moules, et crevettes".

Actuellement, le Bois-de-Cise a perdu beaucoup des caractères d'une station balnéaire : le casino n'existe plus, aucun hôtel n'accueille le touriste, la plage n'est pas aménagée, les équipements sportifs ont été supprimés. Le site est devenu une station de villégiature, ayant la mer pour cadre, seul élément invariable.

Les guides touristiques sont peu prolixes sur le type de clientèle, mais les activités proposées tendent à montrer qu'elle était de type familial, sans grandes mondanités. La station serait avant tout un repère d'habitués, un guide touristique relatant en 1912 qu'il y a peu de locations dans le bois (guide Joanne).

Ce qui est certain, c'est que les commanditaires des maisons viennent majoritairement d'Ile-de-France : sur 71 maisons recensées dans les matrices cadastrales, 50 l'ont été par des Franciliens habitant l'ouest de la région, toutes périodes confondues (Paris : 32, Hauts-de-Seine : 12, Seine-Saint-Denis : 3, Val-de-Marne : 2, Yvelines : 1). 5 maisons sont construites par des habitants d'Eu et du Havre (Seine-Maritime), avant 1910. Une maison est construite par un habitant de l'Aisne, et deux du département du Nord.

Les origines professionnelles des commanditaires de maisons sont moins bien renseignées (46 réponses sur 71), mais l'on peut dégager quelques grandes catégories : les professions libérales (architecte, docteur médecin, notaire), des industriels et ingénieurs, des négociants, et de propriétaires ou rentiers. A cette petite bourgeoisie montante de la fin du 19e siècle, succèdent au cours de l'entre-deux-guerres des employés et des enseignants du Nord et du Pas-de-Calais (tradition orale).

Actuellement, si beaucoup de maisons sont encore des maisons de vacances, biens d'héritage, certaines deviennent des maisons résidentielles, à l'année.

Affiche touristique, 1er quart 20e siècle (AD Somme).