Le Quesnoy XIe-XXe siècle ou comment les contingences militaires ont conditionné la fabrique de la ville
De sa naissance au XIIe siècle
On ne connait pas avec précision la date de fondation du Quesnoy. Bien que des tessons et des monnaies retrouvés lors de fouilles indiquent une occupation romaine du territoire, il ne semble pas y avoir d’implantation humaine conséquente avant les Capétiens, époque où l'essor démographique qui touche toute l'Europe occidentale impose le défrichement de nouvelles terres.
Le premier château et son enceinte sont bâtis en 1150 par Beaudoin IV (1108-1171), comte de Hainaut, après qu’il ait racheté le territoire à l’évêque de Cambrai. Le choix du site peut paraitre surprenant car le lieu est à l’écart des routes commerciales terrestres et fluviales, mais sa position en haut du plateau lui donne un léger avantage pour contrôler l’accès aux territoires du Hainaut. Il s’agit alors de construire un bastion face à Cambrai et au Cateau.
Le castrum, qui bénéficie d’une basse-cour et d’une enceinte indépendante, est bâti au sud de l’agglomération. Au pied du château, et plus exactement en face de la sortie de l'enceinte et au croisement des routes Valenciennes/Mormal et Bavay/Cambrai, une place triangulaire accueille un marché. Le nom initial de la place est d’ailleurs place du Markiet. Cette utilisation de l’espace à la sortie du château comme lieu de commerce est assez fréquent dans les créations urbaines des Pays-Bas méridionaux (DE MEULEMEESTER, 1992). C'est autour de cette place initiale que se développe ensuite la ville : habitations mais également maison communale, église, halles et cimetière. Cette place n’est donc pas au centre de la ville mais marque la jonction entre le pouvoir seigneurial et militaire, et la ville bourgeoise et commerçante. Malgré l'importance de l'armée au Quesnoy, elle ne sera jamais une place d’armes, même si elle en porte parfois le nom sur les plans anciens. Autour de cette place, aucun plan ne fixe l'implantation des constructions : il s'agit plutôt d'une occupation spontanée des espaces disponibles et faciles à viabiliser, en particulier ceux situés au nord-est où le niveau plus élevé du sol protège les constructions des inondations.
La première trame urbaine illustre cependant les intentions de son fondateur (ill.) : les grandes voies publiques sont constituées par le croisement des axes vers Valenciennes au Nord, la forêt de Mormal au sud-est, Mons/Bavay au nord-est, Cambrai à l'ouest - qui sont les axes stratégiques de contrôle de la région par le comte de Hainaut dans la traversée de la ville. Ils se croisent aux angles de la place du Markiet. Bien que n’étant pas rectilignes, ces deux axes structurent l’organisation des autres rues, créant un découpage en ilots plus ou moins égaux mais sans trame orthogonale, ce qui la différencie des bastides ou des villes conçues dans un objectif militaire.
Il semble que la ville ait été protégée dès l’origine par une enceinte en terre dont le tracé exact n'est pas connu avec précision. Il s’agit d’une ville-forte - c’est-à-dire une cité dont les habitants et les activités commerçantes sont protégés par des remparts (levées de terre, fossés, palissades…) -, et non d’une place-forte, soit une ville dont la fonction est d’être au service des ambitions militaires de son suzerain. Le Quesnoy est le premier exemple de la politique d’implantation castrale menée par Baudoin IV, qui reproduira à Ath ou Pont-sur-Sambre un schéma identique : construction d’un castrum et création d’une ville entourée d’une enceinte à laquelle une charte de franchise est assez rapidement accordée. La fonction militaire pour laquelle on connait le Quesnoy aujourd’hui est ainsi une adaptation aux circonstances (CAUE, 1999), en particulier la défense contre les seigneurs voisins du Cambrésis. Le château est une résidence comtale prisée et le restera jusqu’à Charles Quint.
XIIe - XVe siècle : un bourg qui devient une petite ville
En 1184, afin que le comte de Flandre avec lequel Baudoin V (1171-1195) est en conflit ne puisse se servir de la ville comme point d’appui pour faire le siège du château, Baudoin V décide de brûler la ville. Elle est rebâtie au même emplacement. L’octroi d’une charte de franchise dès 1180, qui sera ensuite régulièrement renouvelée, favorise son développement.
En 1194, la ville est dotée par le chapelain du comte d'une maison hospitalière, rebâtie en 1233 grâce à une donation de la comtesse Jeanne de Constantinople (1206-1244) (GENNEVOISE, 1932). La comparaison des informations connues sur les deux états de la maison hospitalière fournit, par extrapolation, des informations sur les matériaux de construction de la ville : le premier établissement est construit "sans nulle maçonnerie de pierre, en bois et mortier" (Annuaire statistique du département du Nord de 1838, cité par Gennevoise), tandis que le second est construit "sur une eschelle plus étendue et en masçonnerie" (Annales de la province du comté de Hainaut, de Vinchant 1850, cité par Gennevoise).
Le cartulaire des cens et rentes établi par Marguerite de Hainaut vers 1250 (Devillers : Cartulaire des rentes et cens dus au comte de Hainaut - 1265 à 1286, publié en 1873, cité par Gennevoise, 1932) indique qu’il y a presque 680 propriétés foncières au Quesnoy, dont la taille maximale est de 33 m de profondeur sur 13 m de "front sur la route". Ce parcellaire en lanière, hérité de la refondation de la ville, est celui qui prédomine encore aujourd'hui au Quesnoy.
Guillaume Ier, comte d’Avesnes (1286-1337), fait apporter des améliorations aux fortifications en 1314 : les remparts sont épaissis et renforcés de tours terrassées pour supporter le poids des machines de guerre, mais il n’est pas fait mention d’une modification de leur tracé. On peut donc penser que le tracé de l’enceinte du XIVe siècle, auquel aucune modification d’envergure ne sera apportée dans les siècles suivants, est peu ou prou celui de la première enceinte du Quesnoy. À l’achèvement des travaux un siècle plus tard l’enceinte, qui compte une trentaine de tours, fait environ 2 200 m de circonférence. C’est une dimension moyenne pour une ville du Moyen Âge mais conséquente pour une ville neuve créée au début du XIIe siècle (CAUE, 2006).
À l’intérieur de ses remparts, la ville continue à se développer. En 1416, l’église paroissiale est achevée. Le Quesnoy compte 1204 "feus" et quatre paroisses en 1423. La ville vit des revenus qu’elle tire des territoires agricoles qui l’entourent et du commerce. On y trouve de nombreux artisans qui tiennent boutique (boulangers, bouchers, brasseurs, tanneurs, merciers) et de nombreuses foires annuelles y ont lieu. Il ne semble pas qu'il y ait eu de répartition des quartiers par type d'activité.
En 1442, puis de nouveau en 1446, la ville est ravagée par un incendie. À chaque fois, elle est reconstruite. Après le second incendie, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, fait don de chênes provenant de la forêt de Mormal pour reconstruire la cité. On peut ainsi penser que le bâti de cette cité médiévale est majoritairement une architecture à pans de bois, dont il ne reste pas de traces aujourd’hui. Ces destructions à répétition n’empêchent pas la cité de prospérer. En 1492, elle compte un peu plus de 2 000 feus.
Les incendies offrent également à la ville l’opportunité d’investir des zones détruites pour y construire des équipements publics, comme la "Maison des Chartrières", hospice édifié dans l’actuelle rue Thiers qui est à l’origine de l’actuelle maison de retraite. C’est également à cette époque que les Sœurs Grises s’installent dans l’actuelle rue Baillon. L’église est rebâtie en 1523.
Le plan de Deventer établi en 1545 (Bibliothèque nationale d'Espagne, ill.) montre une cité où les rues découpent des îlots de taille et de formes inégales, bien que tous rectangulaires. Les îlots du centre sont bâtis sur tous leurs côtés et ménagent au centre un "espace vert", tandis que ceux en périphérie sont bâtis uniquement le long de la (ou des) rue(s) menant du centre-ville aux remparts. Le côté de l'îlot longeant les remparts n'est pas bâti et tout le centre de l'îlot est laissé libre de constructions. Ceci laisse intra-muros de grands espaces dédiés à l'agriculture et en particulier aux jardins vivriers. Le plan montre aussi que la moitié est de la ville est beaucoup plus densément bâtie que celle ouest.
XVIe - début XVIIIe siècles : les fortifications et les bâtiments militaires sous Charles Quint et Louis XIV
En 1523, après une visite de la cité, Charles Quint demande à compléter les fortifications pour les adapter aux nouvelles armes d’artillerie car la ville devient une des clefs du système de défense des Pays-Bas méridionaux. Les plans sont fournis par l’ingénieur italien Frate da Modena. L’enceinte médiévale est intégrée dans les nouveaux aménagements : épaississement des remparts qui, côté extérieur, sont soutenus par des soubassements en grès et couverts par des murs en brique, et ajout de cinq tours bastionnées. La plupart des tours médiévales sont détruites mais, hormis les portes Saint-Martin (qui ne conserve qu'un accès piéton par une poterne) et celle de la Flamengrie (ou porte de Mons) fermées afin de permettre la mise en eau des fossés, les remparts conservent l’essentiel de leurs portes (ill.). De nouveau, il ne semble pas que ces adaptations aient notablement modifié le tracé des remparts et donc de l’assiette de la ville qui parait globalement identique à ce qu’elle était sous les comtes de Hainaut. Cependant, le château est désormais séparé de son parc et englobé avec sa basse-cour dans l’enceinte urbaine. Il fait désormais partie du système défensif de la ville et sert d’habitation au gouverneur militaire de la cité. Certains espaces au pied des remparts deviennent inconstructibles à cause de l’épaississement des fortifications, entrainant le déplacement de bâtiments comme le couvent des sœurs Augustines reconstruit rue Carlier et dont il ne reste aujourd’hui qu’une partie de la façade. L’hôtel de ville et le beffroi sont construits en 1583, à l’emplacement qui est encore le leur actuellement.
C'est sans doute de cette époque que date la systématisation des voies en pattes d'oies qui existent à chaque porte : la voie centrale mène vers la ville, les deux autres à droite et à gauche constituent la rue longeant l'intérieur des remparts sur toute la circonférence de la ville qui permet le déplacement facile des soldats et des munitions d'un endroit à l'autre des remparts tout en étant protégé par ces derniers. Ces voies sont toujours en place aujourd'hui.
Pour les bâtiments publics comme privés, les constructions se font en pierre blanche, grès et brique, avec couverture en ardoise afin de limiter les risques d’incendie et de lutter contre leur propagation s’il venait à s’en déclarer. Tous les matériaux sont locaux. Le nombre de maisons encore conservées avec des dates portées de la fin du XVIe siècle est une indication de l’intensité de la construction à cette période (CAUE, 1999).
En 1654-55, les remparts qui viennent d’être détruits par les Espagnols sont relevés par les Français sur leur ancien tracé. Il faut attendre 1659 et l’entrée du Quesnoy dans le royaume de France pour que la ville devienne une ville-frontière où la fonction militaire va désormais primer. L’année 1668 marque le début de la modernisation des remparts suivant les plans de Vauban avec la construction de nouveaux bastions protégés par des demi-lunes en avant des fortifications existantes et l’agrandissement des remparts dans la partie sud de la ville. Le Quesnoy devient une place forte régulière à huit bastions. Cette dernière intervention, menée par les ingénieurs La Touche et Aubigny, a modifié à la marge le tracé urbain intra-muros puisqu’elle a nécessité la destruction d’une partie du parc entourant l’ancien château comtal et de la rue qui le bordait. Si les buttes de terre placées derrière les murailles ont réduit l’espace disponible intra-muros pour les constructions, il ne semble pas qu’elles aient impliqué des déplacements de bâtiments. Après la fermeture de la porte de Saint-Martin (ou de Cambrai) en 1672, seules deux portes restent ouvertes dans les fortifications (portes de Valenciennes et de Faurœulx), créant un axe de circulation nord-sud le long duquel s’installent les commerces. Cet axe, constitué par les actuelles rues Thiers et Maréchal-Joffre, est encore aujourd’hui l’axe commerçant de la ville. A contrario, la suppression de la porte Saint-Martin a transformé la rue qui menait à la porte (actuelle rue Nouvelle-Zélande) en cul-de-sac lui faisant perdre ses activités de commerce et d’artisanat. Enfin, à l’extérieur de la ville, les fortifications sont complétées par un grand ouvrage à cornes qui vient enserrer le faubourg du Faurœulx.
Le plan établi en 1692 (ill.) témoigne de ces modifications et confirme que l’intervention de Vauban s’est limitée à l’enceinte urbaine sans modifier la trame des rues et des places de la cité. Ceci correspond aux limites imposées au pouvoir de l’armée dans ses interventions urbaines : sauf lors d’une création de citadelle ex nihilo où l’armée décide de toute l’organisation spatiale et des typologies de bâtiments qui seront présents dans l’enceinte comme à Lille (59) ou Neuf-Brisach (68) ainsi que des matériaux de construction à employer et des élévations à respecter, l’armée n’a de pouvoir que sur la rue qui longe le côté intérieur du rempart. Dans cette rue appelée "rue sur les murs" ou "rue sur les remparts", l’armée peut décider des autorisations de bâtir et imposer ses règles en matière de hauteur du bâti, d’ouverture, de matériaux de construction ou de couleurs. À ce jour, aucun document n'a été retrouvé pour attester que le Quesnoy ait été concerné par de telles mesures.
Intra-muros, l’architecture civile du XVIIe siècle ne se démarque pas de celle du siècle précédent. On retrouve des matériaux de construction identiques, comme le grès en soubassement ou l’association brique et pierre en façade, ainsi que des formes de bâti similaires : pente importante des toitures à longs pans, faible présence des maisons à pignon sur rue (essentiellement utilisées pour des commerces ou des ateliers d’artisans), développement des constructions en longueur sur les parcelles, en particulier dans les rues au centre de la ville.
Cette période voit également la construction de casernes à l’intérieur de la ville (près de la porte Saint-Martin en 1716, Montplaisir près de la porte de Valenciennes en 1717, et Tournefort près du bastion vert en 1716). Ces dernières figurent sur le plan dressé en 1721 par Lajoue (ill.). L’objectif est d’améliorer l’efficacité des soldats et de régler les problèmes de discipline, ce que ne permettait pas le logement chez l’habitant pratiqué jusque-là. La question est d’autant plus importante qu’à la fin du XVIIe siècle, la ville compte plus de soldats que d’habitants (CAUE, 1999). La construction des casernes s’accompagne de celle d’équipements nécessaires à la vie quotidienne et à l'entretien des troupes dans la ville, désormais à la charge du pouvoir militaire : boulangerie militaire (rue de Turenne), magasins de vivres (rue de Goa), arsenal pour le génie et l’artillerie (angle rues de Goa et rue Désiré-Tanis), écuries (rue Saint-François), transformation de l'hôpital civil en hôpital militaire (rue Thiers), pavillons des officiers… Ces bâtiments, distribués par des rues et des cours, ont une emprise au sol et une volumétrie importantes. Leur implantation n'a cependant pas modifié la trame des rues et des places : le pouvoir militaire s'est adapté à l'urbanisme préexistant. Pour des raisons pratiques (terrains disponibles) et d’efficacité militaire, ils sont édifiés intra-muros à proximité des remparts et de leurs portes. Ceux qui ont été conservés constituent encore aujourd’hui des marqueurs forts dans l’urbanisme du Quesnoy : la caserne Tournefort (sur la place éponyme) construite Intra-muros à proximité de l’ancien château comtal afin d’accueillir les officiers de passage a été transformée en logements dans les années 1990, celle Palavicini (rue Baillon) construite vers 1720, devenue salle spectacle en 1928, puis cinéma-théâtre en 1995. À l'emplacement de l'arsenal construit vers 1720, qui occupait une grande zone regroupant aujourd'hui la rue Roger-Salengro, l'allée de l’Arsenal et la rue Jean-Baptiste-Lebas, est construit vers 1950 un lotissement d’habitations individuelles. Les deux postes de garde, rue du Maréchal-Joffre et place du Général-Leclerc, accueillent depuis les années 1980 l'office du tourisme pour le premier et des bureaux (centre des impôts) pour le second.
Enfin, on doit à l’ingénieur militaire chargé par Vauban de la construction des remparts la réfection du clocher de l’église paroissiale relevé en grès, et l’extension du château comtal pour y accueillir le gouverneur de la place.
Après l’intervention de Vauban, les remparts ne seront plus modifiés. Au cours des siècles ces derniers prennent de plus en plus d’ampleur, allant jusqu’à 400 m d’emprise au sol au niveau des portes précédées de bastion, alors que la surface urbaine à défendre n'a pas augmenté. Le rapport entre l’espace militaire et la ville intra-muros est ainsi passé de 10% sous Charles Quint, à 25% sous Louis XIV (CAUE, 1999). La carte établie en 1769 (ill.) avant les destructions des guerres révolutionnaires, en donne une bonne représentation, appuyée par la légende précise qui accompagne le plan.
Bien qu'une partie de ce bâti ait disparu ou ait été transformé, il occupe encore presque 15% du territoire intra-muros du Quesnoy (voir le dossier "Le bâti militaire intra-muros du Quesnoy : une présence très prégnante dans le tissu urbain" - IA59005701) et marque fortement la perception de l'espace urbain de la ville.
Le XVIIIe siècle : des améliorations sans réels bouleversements
À partir du XVIIIe siècle, la ville devient définitivement française. En terme de taille, c'est la seconde ville de la province du Hainaut français (GENNEVOISE, 1932).
Bien qu'aucun document n'ait été retrouvé à ce jour, il y a eu, comme dans d'autres villes du Nord passées sous domination française, un règlement d'urbanisme pour "embellir" la ville en réglant la hauteur des immeubles ou les matériaux à mettre en œuvre. Ainsi l'article 4 de l'arrêté validant le plan d'alignement de 1821 (AD Nord, 2O345-169) mentionne, hélas sans donner plus de détails, que "le projet de règlement local est basé sur les anciens règlements pour déterminer : la hauteur des cordons du rez-de-chaussée et du premier étage des façades bordant les rues ; les mesures propres à assurer la solidité des bâtiments et à prévenir les incendies [...]".
Ces règlements du XVIIIe siècle réaffirmaient à leur tour des décisions antérieures lesquelles, en plus des conflits armés, ont contribué à la disparition du bâti ancien. Afin de limiter la naissance et la propagation des incendies, interdiction est faite de construire des maisons neuves à pans de bois, en torchis, ou de les couvrir en chaume, ni de restaurer celles édifiées dans ces matériaux. Cette interdiction est assortie de l'obligation de construire ou restaurer dans des matériaux non combustibles : brique et/ou pierre pour les murs (y compris mitoyens entre deux maisons), et tuile ou ardoise pour les couvertures. Ces changements de matériaux ont une conséquence directe sur les formes de l'habitat : ainsi le passage d'une couverture en chaume au profit de l'ardoise ou de la tuile diminue l'inclinaison des toits de 60° à 40°. Les règlements souhaitent également limiter les risques d'accident. On interdit donc les accès de cave par une trappe ou par les marches dans les trottoirs, on impose la suppression des enseignes et des appentis de magasin empiétant sur la voie publique ainsi que la destruction des étages en encorbellement ou des saillies sur les murs comme les oriels. Enfin, comme à Condé-Sur-L'Escaut (1752) ou à Lille, la municipalité peut imposer que toute restauration de façade ou construction neuve ait bénéficié d'un accord de la ville, lequel s'appuie sur l'étude des plans et devis fournis par le demandeur. Cette autorisation municipale préalable entraine de facto une certaine harmonisation des façades, tant dans l'élévation que dans les matériaux.
Quelques particularités du bâti du Quesnoy peuvent cependant être mises en regard des décisions imposées par les édiles municipaux dans ces autres communes hennuyères. Ainsi, les pignons découverts et débordants (ou wambergues) destinés à éviter la propagation des incendies par les toitures qui sont visibles au Quesnoy, sont mentionnés dans le règlement d'Aire-sur-la-Lys en 1722 ; les soubassements en grès, les murs en brique et les entourages de baies en pierre blanche visibles sur de nombreuses façades quercitaines se retrouvent dans celui de Valenciennes (1689). La mitoyenneté des gouttières, qui entraine la destruction des pignons et leur remplacement par des toitures à croupes, visibles sur beaucoup de maisons étroites du Quesnoy, est obligatoire à Valenciennes depuis 1728. Et, comme à Valenciennes, les pignons dit "à pas de moineaux" (ou à redents) sont détruits car trop fragiles et donc dangereux (CAUE, 1999). Il est également possible que, sous couvert de supprimer des éléments architecturaux fragiles, il se soit s'agit de donner à ses villes nouvellement intégrées au royaume de France, un aspect moins flamand et plus français. Les matériaux de construction restent identiques à ceux du siècle précédent, mais on voit apparaitre des toitures brisées lorsque la maison présente sur la rue son plus grand côté. La ville, qui compte de nombreux fonctionnaires (magistrats par exemple) et connait une certaine richesse grâce au commerce, voit se construire de nombreux hôtels particuliers que l’on reconnait à la largeur de leur façade, à la présence d'une porte bâtarde et/ou d’une porte cochère.
Comme pour les autres villes, les modifications induites par les règlements d'urbanisme affectent le bâti, mais ne concernent ni le parcellaire, ni le tracé général des rues, bien que tous les règlements insistent sur la nécessité de l'alignement des façades pour fluidifier la circulation.
En 1700, l’hôtel de ville est agrandi dans un style classique et abrite une halle en rez-de-chaussée ainsi que dix salles au premier étage. L'ensemble est éclairé de 43 fenêtres (GENNEVOISE, 1932). Tout comme l'association du beffroi et de la maison communale, cette répartition des espaces entre le commerce au rez-de-chaussée et l'administration municipale dans le ou les étages supérieurs est une constante des hôtels de ville des pays du Nord depuis le XVe siècle.
Prisonnière de ses remparts, la ville ne s'agrandit pas par l'adjonction de nouveaux quartiers. Le recensement de la population en 1755 compte à peine 3000 habitants (GENNEVOISE, 1932). La comparaison du plan de 1769 avec celui de 1794 (AD Nord, ill.) montre deux villes identiques. Il ne semble pas non plus que la reprise économique, apportée par la paix née du Traité d'Aix-la-Chapelle et par la prise en charge par l'État du financement des troupes et des fortifications, ait provoqué à partir des années 1750 (comme cela a été le cas à Lille ou à Arras), de regain de constructions d'envergure publiques et/ou privées reprenant le langage classique des modèles parisiens (BEAUDOUX-ROUSSEAU, 2006).
La période révolutionnaire apporte son lot de destructions : entre septembre 1793 et août 1794 les armées autrichienne puis française cherchent à s’emparer de la ville. L’état des lieux établi après les deux sièges dénombre deux tiers des habitations détruites ou endommagées, en particulier dans les rues à proximité des remparts dans la zone nord de la ville, là où se trouvaient les casernes et l’arsenal (rue Thiers, rue de l’Arsenal…), et déplore la destruction du beffroi et de l’église paroissiale, momentanément remplacée par une place publique (visible sur le cadastre consulaire dressé en 1793 ; ill.).
Le XIXe siècle : une ville sur le déclin
Avant la Révolution, la ville comptait environ 100 fonctionnaires, de nombreux avocats, 132 religieuses, 20 prêtres et deux bataillons d’infanterie soit environ 1 500 hommes (DUVIVIER). Mais en 1790, la ville perd son état-major, ses tribunaux et la maitrise des eaux et forêts. C'est le début de son déclin. Ainsi que l’indique la Statistique du département du Nord établie par le préfet Dieudonné en 1804, la ville qui "n’est vivifiée par aucune manufacture ni par le commerce présente un aspect misérable". Le Mémoire sur la place du Quesnoy, rédigé en 1846 par l'officier en charge de la ville (AD Nord, 66J1725), donne quelques indications sur la population : elle compte 3922 habitants dont 450 militaires et "600 hommes de 20 à 60 ans aptes à porter les armes en cas de besoin". Le rapport complète l'image de la ville : "étant dépourvue de tous commerces et n'étant située ni sur une rivière navigable ni sur une grande route [la ville du Quesnoy] n'est point un lieu de passage", et quelques pages plus loin : "Il n'y a pas au Quesnoy de fabrique de draps, mais il y a 6 marchands de draps, 15 marchands de toile et rouennerie et 17 maîtres tailleurs avec ouvriers." Cette dernière remarque montre à quel point la présence militaire influe, au-delà de l'emprise architecturale, sur la population de la ville puisque tous ces métiers sont en lien avec l'habillement des militaires. D'autres métiers sont recensés un peu plus loin "dont on pourrait utiliser les services en temps de siège" (voir en annexe : Les métiers d'art utiles aux armées présents au Quesnoy (1846)) : jardiniers, meuniers, maréchaux, maçons, couteliers, couvreurs, menuisiers, tailleurs de pierre, sabotiers... soit au total 88 artisans en sachant que "ce nombre ne comprend que les gens établis, les maîtres. On peut supposer en moyenne que chaque maître a deux ouvriers. Il faut donc multiplier 88 par 3 et l'on aura approximativement le nombre d'ouvriers qui se trouvent au Quesnoy." L'officier liste un peu plus loin les métiers de bouche, tels que bouchers ou boulangers. Au-delà de donner une idée de la composition sociologique de la ville, tous ces métiers également utiles à la population civile en temps de paix, permettent d'extrapoler sur l'architecture civile de la cité et en particulier d'expliquer la présence fréquente de gros bâtiments en fond de parcelle, parfois reliés au bâtiment sur rue, qui pourraient être des ateliers. Ainsi, le bâtiment en fond de parcelle du n°5 rue Goa a-t-il abrité une forge jusqu'à la première Guerre mondiale (témoignage oral recueilli auprès des descendants).
La municipalité s’attelle dès 1804 et pour plusieurs décennies à la reconstruction de la ville : hôpital civil et militaire (rue Thiers), hôtel de ville et beffroi reconstruits à l’identique (1807), collège (1816, rue Victor-Hugo), dépôt de vivres (1820, porte de Valenciennes), transformation du château comtal en caserne (1824), construction de nouvelles casernes (Lowendal, rue Juhel en 1839 ; Montplaisir, rue Thiers en 1840), église (1828), chapelle de l’hôpital militaire dans un style néo-gothique (1840, actuelle rue Jean-Jaurès) - seul exemple de ce type d'architecture au Quesnoy…
L'état des rues établi en 1819 pour préparer le plan d'alignement (AD Nord, S417) fournit quelques indications sur la typologie du bâti présent intra-muros (liste détaillée des typologies par rue en annexe). Il dénombre 608 maisons dont une maison avec une cour, 32 jardins (au sens de jardin vivrier et non de jardin d'agrément), mais seulement deux maisons avec jardin jointif (toutes deux dans la rue en face de l'ancien château comtal, c'est à dire un endroit de la ville peu bâti où l'espace est disponible), cinq granges ou écuries, quatre ruines, une brasserie et une tannerie (parcelle 618 du cadastre de 1817, actuellement 9, impasse du Flageolet). Sans surprise, les granges et écuries ainsi que les jardins sont situés aux extrémités des rues les plus proches des remparts. Les rues du centre-ville ne disposent le plus souvent que d'une cour, parfois d'un jardin d'agrément, en particulier lorsqu'il s'agit de maisons bourgeoises.
Des projets d'alignement sont envisagés dès le début du XIXe siècle. Ainsi, le Rapport explicatif et motivé sur le projet des alignements et redressement des rues de la ville du Quesnoy établi en 1819 (AD Nord, S417) indique en préambule qu'il est nécessaire de réduire la sinuosité des rues ainsi que les décrochements importants, d'augmenter la largeur des rues principales à 8 m pour permettre le croisement de deux voitures et de maintenir cette largeur tout au long de la rue. Le projet détaille ensuite les modifications à apporter rue par rue. On peut noter celle de la rue des Écoles (actuelle rue Achille-Carlier) qui répond à des contingences militaires : son élargissement est rendu nécessaire afin de faciliter la circulation des voitures transportant des vivres qui, entrées par la porte de Valenciennes empruntent ensuite la rue des Écoles jusqu'à l'Établissement des vivres militaires (boulangerie militaire située à l'entrée de l'actuelle rue de Turenne). En dehors des conséquences, sur le tracé urbain, des modifications des remparts aux siècles précédents, cette demande de redressement de la rue des Écoles est l'une des très rares modifications du tracé urbain, proposée pour des raisons militaires. Des plans ont été produits à l'appui du projet d'alignement. Ils indiquent en jaune les zones qui doivent être consolidées, reconstruites ou détruites si elles sont trop vétustes ; et en rose les zones de l'espace public qui peuvent être construites pour améliorer l'alignement des façades mais sans que soit modifiée l'implantation de la maison (AD Nord ; ill.). Cependant, la superposition des cadastres de 1817 (AD Nord ; ill.) et 1897 (AD Nord ; ill.) ne met aucun alignement en évidence. Elle montre en revanche la densification du bâti intra-muros du côté est de la ville, avec le comblement des dents creuses et surtout l'extension du bâti dans les extrémités des rues menant aux remparts ou les longeant. C'est par exemple le cas des parcelles propriétés de l'hôpital situées à l'extrémité de la rue Thiers, louées comme jardins en 1817 mais occupées par des maisons en 1897. Ces nouvelles implantations, également visibles rues Goa, Beaudoin-l'Édifieur, Baillon ou Saint-François respectent cependant l'organisation générale des îlots en préservant l'espace central non-bâti.
Il semble que, comme cela s'est passé à Condé-sur-l'Escaut avec le règlement de 1834 (interdiction de construire des bâtiments de moins de deux et de plus de trois niveaux, obligation de réaliser un cordon entre le premier et le second niveau à 3,50 m au-dessus du soubassement ou de faire déborder de 20 cm par rapport à la toiture le mur de séparation entre deux maisons), les règles imposées dans l'arrêté validant le plan d'alignement pris en 1819 au Quesnoy - et seul document mentionnant des règles d'urbanisme et d'architecture retrouvé à ce jour pour le XIXe siècle -, s'appuient sur des règlements antérieurs tout en réaffirmant certaines contraintes. Ainsi toute nouvelle construction ou restauration doit encore et toujours faire l'objet d'une autorisation municipale, mais l'arrêté indique seulement la nécessité de respecter l'alignement et ne donne aucune précision sur la hauteur ou la largeur des immeubles, les matériaux ou la composition de la façade. Pour certains éléments caractéristiques d'une façade, comme la hauteur des cordons entre les étages, il est seulement fait référence aux règlements antérieurs sans aucune autre précision... Les constructions en saillie sont interdites sauf autorisation dérogatoire de la municipalité. Enfin, quand l'alignement de la rue (sont concernées les rues Tanis, Juhel, Thiers et Maréchal-Joffre) oblige à la destruction totale ou partielle des façades, la reconstruction de ces dernières ne peut se faire sans la validation préalable du projet par l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées. Mais de nouveau, aucune indication relative à l'aspect de la façade n'est donnée.
La rareté des archives relatives à l'habitat privé rend difficile la spéculation d'une assise historique étoffée sur cette thématique. Quelques documents abordent cependant cette question au détour d'autres sujets. C'est le cas du Mémoire sur l'état du Quesnoy qui parle des matériaux de construction utilisés : "La brique est généralement employée dans le pays, presque toutes les terres qui entourent la ville sont propres à sa fabrication. Comme dans tout le Nord, elle se cuit au charbon de terre par fourneaux de 3 à 400 000. Les pierres dures que l'on emploie sont le grès et la pierre bleue de Marbaix. Quelquefois, mais rarement, on se sert de la pierre blanche d'Ornaing. Le grès [est] extrait aux alentours de la place, en blocs isolés. La pierre bleue est loin de valoir le grès : une fois qu'elle a été employée, il n'est plus possible de l'utiliser car elle se délite quand on veut la retailler. les pierres bleues de Soignies, en Belgique, d'un bleu plus pâle que celles de Marbaix, sont préférables [car] elles ont peu ou point de mauvaises veines tandis que les pierres de Marbaix en sont pleines. Quand une construction exige une grande quantité de pierres et qu'il est nécessaire qu'elles soient de grande dimension, on emploie la pierre bleue parce que l'on se procurerait difficilement le grès et que la taille en est très chère. Il existe deux fours à chaux aux environs de la place [d'où] l'on tire toute la chaux que l'on emploie dans les travaux. Il n'y a point de chaux hydraulique aux environs. Quand on a besoin d'en employer, on en fait venir de Tournai." On peut imaginer que cette description concerne les bâtiments en cours de construction, mais également ceux construits dans les décennies précédentes. Le mémoire indique aussi que "dans presque toutes les maisons il y a au moins une citerne. Les habitants préfèrent l'eau de pluie à toute autre pour laver et faire cuire les légumes. [...] Douze puits publics sont répartis sur divers points de la ville et servent aux habitants pour l'eau potable". Une de ces pompes est toujours en place rue Nouvelle-Zélande (ill.).
L'étude de l'état de section de 1897 fait apparaitre quelques particularités quant à la typologie du bâti. Les propriétés d'artisans se caractérisent par une maison sur rue et un atelier situé en fond de cour, sans accès sur la rue. Ces maisons sont situées dans les extrémités des rues vers les remparts et l'organisation du bâti du bas de la rue Thiers constitue à ce titre un excellent exemple. On peut également signaler que dans le cas des deux boulangeries situées au 24, place du Général Leclerc et au n°8 rue Joffre, le fournil qui porte le nom de "boulangerie" est signalé au fond de la cour, bien séparé de l'habitation. Pour quelques maisons, le cadastre indique que la cuisine est séparée de l'habitation et installée dans un bâtiment indépendant, souvent dans la cour. C'est le cas pour le n°27, rue Carlier ou pour la ferme au n°7, rue Beaudoin l'Édifieur. Les rues à proximité du centre-ville accueillent presqu'exclusivement des commerces. Il semble y avoir un "zonage concentrique" de la ville, bien que ce terme soit anachronique : commerces réunis vers le centre, puis habitations, puis artisans aux extrémités des rues, et enfin fermes ou jardins à proximité des remparts. Il n'y a cependant pas de rues cantonnée à l'une ou l'autre typologie. Dans les rues éloignées du centre, la majorité des maisons possède un jardin vivrier, lequel est remplacé par une cour au centre-ville. Le jardin vivrier est associé à un jardin d'agrément pour les maisons bourgeoises, lesquelles sont réparties dans toute la ville... Le médecin installé au n°24 place du Général Leclerc possède même une orangerie !
En ce qui concerne l’habitat intra-muros, les maisons reconstruites au cours du XIXe siècle sont d’apparence très modeste : elles sont entièrement en brique, y compris les soubassements et les encadrements de baies (avec parfois un linteau en bois), mais on y voit apparaitre l’emploi de la pierre bleue pour les seuils de porte et quelquefois les appuis de fenêtre ou le décor des linteaux et pieds-droits. Le nombre de "couvreurs en ardoises" signalé dans l'état de section associé au cadastre de 1897 donne cependant une indication sur les matériaux de couverture mis en œuvre dans la construction... La ville présente peu de décors en brique vernissée ou en carreaux de faïence dans les façades, d'immeubles de style néo-classique ou anglo-normand pourtant à la mode dans la seconde moitié du XIXe siècle et qui sont, chacun à leur échelle, la traduction architecturale de l'aisance financière de leur propriétaire. Aucune maison Art Nouveau n'a été repérée, seul le remplage d'une imposte de porte d'entrée dans une vitrine de la rue Joffre (n°25) rappelle la ligne "coup de fouet" chère à ce style. Mais il s'agit uniquement d'un décor plaqué sur un immeuble plus ancien et, faute de sources, il est actuellement impossible de savoir quand cette modification de la façade a eu lieu.
Au cours du XIXe siècle, la ville a compté plusieurs brasseries dont aucune ne subsiste aujourd'hui. Celle située ruelle Barzille, propriété de messieurs Dugimont et Longuepée, est clairement identifiable grâce au panneau en céramique qui orne sa façade. L'étude des cadastres de 1817 et 1897, ainsi que celle des états de section qui les accompagnent, permet d'en identifier sept. Une fabrique de cidre est également identifiée rue Juhel, à l'arrière de l'hôpital. Si, bien que les affectations aient changé, une partie des bâtiments a parfois été conservée et est toujours visible aujourd'hui, d'autres ont été entièrement détruits en particulier lors de la seconde Guerre Mondiale. Cependant, même pour les bâtiments brassicoles partiellement conservés, aucun élément architectural ne permet plus aujourd'hui de les distinguer du reste du bâti.
La ville est déclassée en 1867, ce qui marque le début du développement des faubourgs sur les espaces des anciennes servitudes militaires : construction de la gare en 1872 et de l’axe qui va de la gare à la ville avec réouverture de la porte de Flamengrie, installation d’usines (briqueterie, verrerie, sucrerie, gaz), construction de grandes maisons bourgeoises en milieu de parcelle qui profitent d’un espace non contraint (contrairement à celui intra-muros). Cette période est également propice à l’installation dans les anciennes zones non aedificandi situées à l’intérieur des remparts de vastes fermes sur cour. Ces dernières sont encore en place aujourd’hui. L'éclairage public au gaz est installé en 1874.
Lors de sa remilitarisation entre 1878 et 1901, elle devient un fort d’arrêt (c'est à dire capable de fonctionner en autonomie totale et d’assurer son auto-défense) dans le système Séré de Rivières. Ceci n’a pas d’influence sur les remparts, si ce n’est la réfection des portes de Valenciennes et du Faurœulx et le creusement dans l’épaisseur des remparts d’abri-traverses : elle n'en a aucune sur la trame urbaine.
La ville et les conflits du XXe siècle
Lors des deux conflits mondiaux, Le Quesnoy ne joue pas de rôle stratégique. Les destructions subies par la ville sont donc identiques à celles de n'importe quelle autre ville et non à celles d'une place-forte qu'il aurait fallu raser.
La Première Guerre mondiale n’est pas très destructrice pour le Quesnoy, qui est loin de la zone de front, lequel a concentré presque toutes les destructions. Sans surprise, les clochers des églises et le beffroi sont détruits mais le reste du bâti n’a à déplorer que des destructions partielles, ce que confirme le plan des destructions établi en 1921 où les destructions apparaissent en jaune (AD Nord, 50Fi2285 ; ill.) et l’étude des dommages de guerre accordés par les deux commissions cantonales gérant les dossiers du Quesnoy. Il s’agit presqu’exclusivement de biens de première ou de deuxième catégories (c’est-à-dire de réquisitions, de prélèvements ou d’occupations faites par l’ennemi, destruction de biens meubles). Le rédacteur du plan d'alignement de 1921 (AD Nord, 2O345-336) se plaint d'ailleurs que "dans cette vieille ville aux rues tortueuses [...] le hasard a fait que les immeubles gênants ont presque tous été épargnés". Plusieurs modifications du plan sont envisagées : augmentation de la largeur des rues au croisement des rues de l'Aulette et Victor-Hugo ou Saint-Martin et Carlier, destruction d'une partie des maisons espagnoles à l'extrémité de la place Saint-Jean (ill.) afin de ménager un espace entre ces maisons et le jardin de l'église, création de pans coupés à certains croisements, élargissement des rues Thiers et Saint-Martin, alignement des rues de Goa ou Tanis, destruction des portes de Landrecies et Faurœulx (et même projet de "déraser" les fortifications !), élargissement des voies au pied des fortifications... Ces propositions sont visibles sur le plan d'alignement établi en 1921 (AD Nord). La superposition des cadastres de 1897 et 2024 montre que, hormis la création de la placette entre le jardin de l'église et les maisons espagnoles, aucun de ces projets n'a été réalisé.
Tout comme la modification du plan de la ville, la reconstruction des immeubles a donc été limitée. Ainsi, on ne trouve pas ou peu d'immeubles représentatifs du style régionaliste caractéristique de la Première Reconstruction dans le Nord, de maisons de style Art déco ou néo-flamand. Les maisons espagnoles, qui ont conservé leur pignon caractéristique, sont augmentées d'une travée s'achevant elle aussi par un pignon à volutes. Mais ces immeubles, détruits ensuite pendant la seconde Guerre Mondiale ne seront pas reconstruits.
Enfin, pour répondre à la partie "embellissement" de la loi Cornudet (voir annexe "La loi Cornudet et la Reconstruction"), la ville décide de la construction d'un monument commémoratif néo-zélandais implanté à l'endroit où ils sont entrés dans la ville pour la libérer, de créer un petit jardin devant l'ancien château comtal et de transformer le château, désormais propriété de la ville, en lieu pour la population en y installant une salle des fêtes et une bibliothèque. Contrairement aux plans de modification de la voirie, tous ces projets ont été réalisés. Il est à noter que le maire en fonction au moment de la reconstruction, Daniel Vincent (1874-1946), fait adopter en 1925 une délibération demandant l'utilisation des dommages de guerre pour restaurer les remparts et en faire un musée des fortifications Vauban à ciel ouvert, ce qui lui est accordé par le ministère en charge de la Reconstruction.
En novembre 1932, eu égard au caractère exceptionnel de ses remparts, la Commission Supérieure d'Aménagement d'Embellissement et d'Extension des Villes approuve l'inscription de la ville sur la liste des localités présentant un caractère pittoresque, artistique ou historique telle que définie par la loi Cornudet proposée par la Commission Départementale des Sites et Monuments Naturels du Nord (AD Nord, 2O345-337).
Un règlement de voirie est adopté en 1936 (AD Nord, 2O345-340). Il reprend des éléments issus des règlements antérieurs comme l'interdiction de construire ou modifier un bâtiment à front de rue sans autorisation préalable de la mairie, ou de construire en saillie même si les anciennes sont tolérées. Certaines réparations sont autorisées si elles ne modifient pas la structure des façades comme la réparation des fenêtres si les pieds-droits sont conservés ou le percement d'une porte cochère à condition d'utiliser un linteau en bois. Toutes les baies doivent s'ouvrir vers l'intérieur et les barres d'appui doivent avoir au moins un mètre de hauteur. Les marquises vitrées sont autorisées à condition d'avoir une ossature métallique, d'être à au moins 3,5 m du sol et de ne pas dépasser de la façade de plus de 2,5 m - en sachant que leur présence entraine le paiement d'une redevance spécifique ! Les perrons sont interdits mais les chasse-roues encadrant les portes cochères ou les décrottoirs de forme arrondie ne dépassant pas le seuil de porte sont autorisés. Il est indiqué que les matériaux de construction doivent être résistants et incombustibles, mais sans précision supplémentaire. Les murs séparatifs entre propriétés doivent être maçonnés et s'ils forment un pignon, celui-ci doit dépasser la toiture d'au moins 30 cm. Le plancher du rez-de-chaussée doit être à 15 cm au-dessus du seuil de porte qui sera au niveau du trottoir. Pour le revêtement des façades, le crépi est autorisé mais pas l'enduit béton. Le gabarit des nouvelles constructions est également fixé en fonction de la largeur de la rue. La hauteur minimale du rez-de-chaussée est de 3 m et celle des étages de 2,60 m. Aucune hauteur maximale de façade n'est cependant fixée et les pignons, frontons ou lucarnes peuvent augmenter la hauteur du gabarit de 4 m. La profondeur d'une maison est au maximum de deux fois sa hauteur. Les bâtiments aux angles de rue peuvent adopter le gabarit de la rue de leur choix.
Tous ces éléments contribuent à déterminer l'aspect du bâti et des façades de la ville. Cependant, ils s'appliquent essentiellement aux constructions neuves, lesquelles sont dans leur quasi-totalité situées à l'extérieur des remparts.
Les dernières modifications importantes ont lieu après la seconde Guerre Mondiale, qui a été plus destructrice que la Première. En mai 1940, un incendie ravage le beffroi et l’hôtel de ville et les maisons alentour, ainsi qu’une grande partie des rues des Lombards, Thiers et Désiré-Tanis. On déplore une centaine de destructions de maisons intra-muros pour toute la durée du conflit (CAUE, 1999). La reconstruction se fait à partir des années 1950, intra-muros avec la construction d’immeubles sur les zones détruites (rues des Lombards, Thiers, Désiré-Tanis), ou avec la création de nouveaux quartiers sur des zones peu bâties car occupées par des bâtiments militaires désaffectés (rues Saint-François, Salengro, Jean-Baptiste-Lebas, Victor-Hugo). À la différence des reconstructions qui se font en dehors de l'enceinte, il ne s'agit pas ici d'expansion urbaine car même si certaines de ces zones n'étaient pas bâties, les nouvelles constructions restent contraintes par le tracé urbain préexistant et la présence des remparts (ill.). Ces reconstructions ont été confiées à l’architecte Marcel Melon (1895-1969). Dans ces rues, la reconstruction est l’occasion de procéder à de légers alignements. À cette époque, la porte de Cambrai est également ouverte, créant un accès vers l’ouest.
Déjà ralentie par la démilitarisation et la Première Guerre mondiale, l’économie du Quesnoy ne redémarre pas après la Deuxième Guerre mondiale. Les développements urbains, peu nombreux, se font en dehors des fortifications qui sont conservées en l’état, comme le lycée Eugène Thomas et les immeubles d’habitation, avenue Léo-Lagrange.
Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.