L'orphelinat entre 1867 et 1924
Un orphelinat géré par les religieuses de l'ordre des Servantes de Marie est créé dans une petite maison de la rue Sainte Anne (actuelle rue Gambetta) en 1867. Il porte également le nom d'"orphelinat des sœurs bleues", de la couleur des habits de leur ordre. La désaffectation de la caserne Vauban en 1868 est l’occasion d'acheter une partie du bâtiment pour y installer un orphelinat plus grand. Elles s'y installent la même année, mais ce n'est qu'en janvier 1869 que les sœurs peuvent s'en porter acquéreuses, en y consacrant une partie de leur dot (Dégardin, 1945). Il prend alors le nom de Notre-Dame de Pitié. Toute la surface entre l'ancienne caserne et les remparts est transformée en jardin potager. Seuls huit enfants sont accueillis à son ouverture mais ils sont plus de 50 à la veille de la guerre.
Dès le début du conflit, l'orphelinat est transformé en hôpital militaire. Comme le reste de la caserne, il n'est détruit que partiellement pendant la guerre mais les murs restants sont inutilisables pour reconstruire. Malgré tout, les sœurs reviennent à Bapaume dès juin 1920, et installent un orphelinat provisoire sur Les Promenades, à l'emplacement de l'actuel Square des Mères, juste en face du futur orphelinat.
Éléments de chronologie du projet de reconstruction
C'est la Société civile de l'ancien orphelinat de Bapaume qui prend en charge le dossier de reconstruction, confié à l'architecte Eugène Bidard. Pour ce projet, ce dernier travaille hors coopérative. Le projet est achevé en juin 1924 et la première pierre posée en octobre 1924 (Dégardin, 1945) après la validation du dossier par la commission cantonale. Les travaux s’achèvent fin 1926 avec l'installation de l'électricité, de l'eau chaude et du chauffage central. Le bâtiment peut désormais accueillir 60 orphelins. Le dossier administratif est clôturé en février 1929. La reconstruction aura coûté 1,1 million de francs.
L'orphelinat n'est pas reconstruit sur son ancien emplacement, désormais entièrement occupé par l'Institution Saint-jean-Baptiste, mais au bout de la rue de l'église.
Le projet de l'architecte : les plans
Les plans et le devis descriptif détaillé, conservés aux AD du Pas de Calais (10R9/97), permettent de bien connaître le projet de l'architecte. Le bâtiment doit comporter un réfectoire, une lingerie, des dortoirs, des salles d’étude, un parloir, une chapelle et doit être complété par un préau couvert, "une cour de service avec remise, bûcher, clapier, poulailler". Le plan montre un bâtiment en L qui s'adapte à la forme de la parcelle, avec un large pan coupé à l'angle des rues de l’Église et du Donjon. Tout le reste de la parcelle est occupé par une cour, un jardin d'agrément et un potager. Chaque jardin était "clos de murs avec une porte charretière".
A l'intérieur de l'orphelinat, les espaces sont bien séparés : au rez-de-chaussée côté rue de l'Eglise on trouve les espaces dédiés à la vie en collectivité (cuisine, réfectoire, lingerie), la salle d'étude et un large vestibule d'accueil qui donne accès au parloir. Côté rue du Donjon, c'est à dire le petit côté du L, on trouve un logement et un second vestibule, en enfilade avec le premier, qui permet d'accéder à l'arrière du bâtiment et à la cour, tout en desservant la chapelle. L'accès à la chapelle peut également se faire directement depuis la cour. Au premier comme au second étage, l'ensemble du bâtiment est desservi par un couloir central. On y trouve, au premier étage les petits appartements des sœurs "cinq de chacun une pièce avec entrée et toilettes et cinq de deux pièces avec entrée et toilette", et au second les dortoirs des enfants, une infirmerie et une pharmacie. Pour l'ensemble des étages, tous les "water-closets" sont réunis dans l'extrémité de la petite aile donnant sur la cour. L'étage sous-comble, dont aucun plan prévisionnel de distribution n'est conservé aux archives, doit accueillir "deux chambres de domestiques et deux chambres de réserve et un grand grenier". Les escaliers, encagés tournants à retours autour d'un jour central, sont situés à l'extrémité de la grande barre du L pour celui de service, et au centre du bâtiment près du hall d'accueil pour les résidents.
Le projet de l'architecte : les élévations
Le bâtiment compte un sous-sol, deux étages carrés et un étage de combles. L'architecte a imaginé une élévation ordonnancée à travées, particulièrement lisible sur la façade rue de l'Eglise. On compte huit travées pour cette façade, trois pour le pan coupé et quatre pour la façade sur la rue du Donjon, bien que pour cette dernière, la superposition verticale des baies soit moins affirmée. A chaque niveau de façade, la forme des baies est différente : rectangulaires avec un linteau droit au premier niveau, rectangulaires surmontées d'un petit fronton triangulaire au second niveau et enfin en plein cintre pour le dernier niveau. Cette superposition de baies est reproduite à l'identique sur les façades postérieures. Les baies de la chapelle tranchent nettement avec les autres : beaucoup plus larges, elles sont en plein cintre, entourées de ciment teinté pierre, et leur remplage accueille un oculus en partie haute. Un large bandeau entre le premier et le second niveau et une corniche sous le toit, apportent du relief à la façade et créent la continuité entre les trois façades extérieures du bâtiment. Enfin, un large pignon percé d'une baie rectangulaire sous un arc en plein cintre vient couronner les trois travées à l'extrémité de la façade rue de l'église, qui accueillent au centre la porte d'entrée monumentale surmontée d'un balcon. Ses rampants sont interrompus à mi-hauteur par un petit redent.
Le bâtiment est couvert par une toiture à longs pans à croupes, interrompue par des lucarnes au dessus de chaque travée. Seul le pan coupé bénéficie d'un rythme différent, avec une seule lucarne au dessus de la travée centrale. De nombreuses souches de cheminées, fines, hautes et couvertes par une mitre en terre cuite en forme de dôme, devaient être disséminées sur la toiture.
Les matériaux préconisés par l'architecte
Outre les affectations des différents espaces du bâtiment, le devis descriptif permet de connaitre avec plus de précisons les matériaux prévus par l'architecte. Après déblaiement de la parcelle et nivellement du sol, les "murs de fondation seront construits en briques brutes cuites en moule de Bapaume [...]", comme les murs de refend et de clôture du jardin, mais "les murs en élévation des façades, pignons et souches de cheminées seront en briques cuites au four continu." "Tous les linteaux des baies sur façades seront en béton armé avec enduit sur faces vues". Sont également en béton armé les planchers hauts des caves, de la chapelle et du réfectoire "comprenant les poutres, poutrelles et poteaux nécessaires pour recevoir au dessus le mur des étages". L'architecte précise pour la composition du béton les proportions de graviers "bien lavés", de sable et de ciment et indique que toutes les armatures seront en "acier doux du commerce [...] d'une seule longueur pour les poteaux, poutres et poutrelles. [...] Le décoffrage ne sera toléré que dans les délais suivants : 4 jours pour les poteaux, 21 jours pour les hourdis, 45 jours pour les poutres et poutrelles". A partir du plancher haut du rez-de-chaussée, "tous les murs seront chainés par des chaines en fer plat". Les cloisons de distribution seront soit en carreaux de plâtre "avec 3 rangs de fils de fer galvanisé" pour les plus fines, soit en briques pour les épaisses. L'ensemble des murs intérieurs et des plafonds reçoit un enduit en plâtre qui sera lissé puis peint à l'huile, quelquefois avec un décor de faux appareil de couleur pierre (chapelle, vestibules) ou de faux lambris (parloir, salle d'étude). Les murs des logements et du parloir reçoivent du "papier de tenture" (c'est à dire du papier peint). Les sols sont en béton, laissé nus pour les sous-sols, "carrelé en carreaux de céramique à 60 francs le m2" pour les vestibules d'entrée et de la chapelle ainsi que le couloir vers le réfectoire, "dallé en mosaïque granito au prix de 55 francs le m2 pour la chapelle et le réfectoire, parqueté de chêne pour le parloir et la salle d'étude. Dans les étages, les planchers en sapin seront "brochés sur solives". Enfin, les seuils de porte et les départs d'escalier seront en "roche de Comblanchien", les autres marches des escaliers étant en chêne pour l'escalier central et en fer pour l'escalier de service. Les portes sur l'extérieur et celles des pièces d'apparat du rez-de-chaussée sont en chêne, les autres en sapin. La charpente, également en sapin, est couverte par de l'ardoise d'Angers "carrée de grand format" posée au clou, de même que les lucarnes. Pour le préau, l'architecte fait le choix d'une couverture en zinc.
L'architecte accorde aussi de l'importance à l'aspect qu'aura son bâtiment. Ainsi, les murs extérieurs en briques (y compris pour les jouées des mansardes) seront jointoyés au ciment Portland, matériau qui sert aussi pour l'enduit des soubassements et des marches des escaliers extérieurs où il est bouchardé. Le ciment utilisé pour réaliser "les bandeaux, corniches, linteaux de baies et sommiers", sera teinté à la chaux. Pour "le grand pignon" l'architecte préconise, pour recouvrir le béton, un "enduit tyrolien moucheté, jeté au balai, à 3 couches, sur crépi de fond et teinte ton pierre de 25 mm d'épaisseur".
La réalisation et les évolutions ultérieures
Si l'architecture du bâtiment initial n'est quasiment pas modifiée, il a été complété par des extensions qui sont venues se greffer à lui. Les vues aériennes (IGN) attestent la construction d'une aile prolongeant le bâtiment au nord (rue de L’Église) avant 1947. Ce bâtiment de classes est également visible sur une carte postale des années 1940. Sur la vue de 1963, on distingue un bâtiment nouvellement construit à l'arrière de cette nouvelle aile. Le témoignage d'un ancien pensionnaire vient confirmer que la construction a eu lieu au tout début des années 1960 "en parpaings avec au sol des carrelages rouge-bruns et des fenêtres en haut [dans la toiture] que l’on ouvrait au moyen d’un câble coulissant. Ce bâtiment possédait une seule porte d’accès qui donnait dans la cour. Un autre petit bâtiment y était accolé, qui servait essentiellement de garage à la 2CV de la sœur infirmière avec un accès à la cour par une large porte". Il confirme que les jardins étaient toujours là en 1960, délimités par un petit muret de briques surmonté de grilles en fer forgé : celui d'agrément côté rue du Donjon, et celui potager, qui accueillait aussi les animaux de bassecour, du côté du presbytère. Dans l'angle du jardin d'agrément se trouvait une petite grotte du modèle de Lourdes avec sa statue mariale. En 1967, lors de son départ de l'orphelinat, le jardin d’agrément existait toujours… A partir de 1969, tous les enfants sont scolarisés dans les autres écoles de Bapaume. L’enseignement n’est plus à la charge des religieuses qui en profitent pour aménager leurs locaux afin d’offrir des activités sportives et culturelles aux enfants. L'orphelinat devient une maison des enfants.
Sur la vue de 1967, un préau a été construit à l'ouest de la cour, qui n'apparaît plus sur la vue de 1983. Enfin, cette vue de 1983 montre aussi la reconstruction (?) du bâtiment de 1963 et son extension, qui correspondent à la disposition actuelle. Une campagne de restructuration du rez-de-chaussée menée en 2019 a fait disparaitre les logements, le réfectoire, le parloir et la chapelle transformés en bureaux et salles de classe.
Photographe au service régional de l'Inventaire général du patrimoine culturel.