Qu'est-ce qu'un parrainage ?
Aucune définition ne précise la distinction entre dons et parrainages. Il semble cependant que le terme parrainage soit générique, tandis que celui d'adoption est réservé à des décisions validées par une municipalité et concerne de plus gros montants dédiés spécifiquement à la reconstruction. Ainsi le rapport du préfet de 1927 sur l'état de la reconstruction dans le Pas-de-Calais liste les nombreux parrainages, mais précise que seules 30 communes du Pas-de-Calais ont été adoptées… Cependant, lorsque le maire de Bapaume, adoptée par la ville de Sheffield, parle de cette dernière, il emploie le mot "marraine"...
Les parrainages sont assez fréquents après-guerre. Ainsi que l'indique ce même rapport : "(...) la conscience humaine se révolta devant ce désastre sans précédent. De toute part affluèrent des concours spontanés (...)". Ainsi, en 1927, le Pas-de-Calais a reçu 6,675 millions de francs d'aides étrangères, sans compter les aides en nature et les aides spécifiques pour la réédification des églises, ce qui représente 0,04% des sommes utilisées pour la reconstruction (La grande reconstruction, reconstruire le Pas de Calais après la Grande Guerre, p. 103 à 111). Les aides étrangères (principalement celles anglaises et hollandaise) représentent à elles seules 50% des sommes reçues par les communes du département.
On compte 73 parrainages pour l’arrondissement de Béthune et 175 pour celui d’Arras. Parmi ceux-ci : 113 sont le fait d’une commune ou d’un département français ; 40 associent commune ou département français à un pays ou une ville étrangère ; seuls 20 sont le fait exclusifs d’étrangers (dont 99% sont des anglais et 1% d’australiens). Bapaume fait donc partie des rares communes qui ont bénéficié uniquement d’un parrainage étranger.
Les différents types de parrainages
Les dons en nature doivent permettre la réinstallation rapide des sinistrés : vêtements, charbon, livres et matériel scolaire, arbres fruitiers, graines, animaux de ferme, meubles, literie, outils de jardinage, vélos, matériel scolaire, ou encore maisons provisoires ! Les États-Unis, dès 1917, apportent leur aide à la population, en fournissant du matériel, mais aussi des infirmières, ou en construisant des lieux polyvalents où sont associés aussi bien une bibliothèque qu'une salle de soin, une garderie pour les enfants ou même un cinéma. C'est le cas à Liévin ou à Sallaumines.
Les dons en argent ont été moins fréquents dans le Nord de la France que dans l'Est. Ils viennent de particuliers, de communes et de départements français épargnés par le conflit, des colonies (en particulier l’Algérie) et de villes ou de pays étrangers (en particulier anglo-saxons, qui privilégient les communes du territoire où des soldats de leur nation se sont battus ou sont morts). Chaque commune peut utiliser les dons en argent comme bon lui semble, mais une circulaire du ministre des régions libérées de mai 1921 précise cependant qu'ils doivent servir à la reconstruction d'un équipement public et qu'ils ne peuvent être redistribués. Certains dons ont été fléchés par leurs donateurs : ainsi, 90% des dons en argent des Américains ont été spécifiquement destinés à la reconstruction des églises et à la reconstitution de leur mobilier.
Les montants vont de quelques dizaines de francs à plus de 750 000 francs (don de Newcastle à Arras). Ce sont généralement des dons ponctuels. On n'en compte qu'un seul reconductible sur une longue période : la ville Saint Louis du Sénégal s'engage à donner tous les ans pendant 10 ans la somme de 2 500 francs à la commune d'Athies. 80% des dons sont inférieurs à 1 000 francs. La commune Bapaume avec une aide de 210 000 se situe donc dans la fourchette haute (voire très haute). À titre de comparaison : Bristol adopte Béthune et verse 470 000 francs pour la construction de 16 maisons ouvrières (achevées en 1923).
Le mouvement des adoptions atteint son plus haut niveau entre juillet et septembre 1920.
Comment se « rencontrent » les villes sinistrées et leurs marraines anglaises ?
En 1916, dès avant la fin du conflit, se constitue un comité France - Grande Bretagne, présidé en France par le président Deschanel puis par le sénateur du Pas-de-Calais Charles Jonnart, et en Angleterre par le Comte de Derby, avec pour objectif de "sceller dans tous les domaines l'amitié des deux plus anciennes nations d'Europe pour la sauvegarde de la paix et de la civilisation".
En 1918, en Angleterre, à l'initiative de l'éditeur du Morning Post, est créée The British League of Help. Elle regroupe des hommes politiques influents, des industriels, des représentants de la noblesse. Elle organise des tournées dans les villes industrielles anglaises en présentant les dégâts subis par les communes des sinistrées et leurs besoins… afin de provoquer des dons. Elle organise aussi des voyages en France pour que les élus et les notables des futures communes marraines puissent "choisir" leur(s) filleule(s).
En effet, l'Angleterre, outre la commisération pour la détresse des populations qui ont tout perdu, montre un attachement particulier à une terre où beaucoup d'Anglais sont morts et enterrés. Il existe ainsi entre les communes françaises sinistrées et leurs marraines anglaises "une sorte de contrat tacite qu'a admirablement résumé le maire de Liverpool [qui a adopté la commune de Givenchy en novembre 1921] : "Vous veillez nos morts, nous aiderons vos survivants" (rapport de la préfecture en 1927). C'est également ce qui motive le don de particuliers qui donnent à la commune où leur proche est tombé.
Dans le même temps, de nombreux maires publient dans la presse des appels aux dons. Ainsi, le maire de Bapaume fait-il paraître en le 3 février 1919 dans le journal Le Petit Parisien un article intitulé "Pour Bapaume - le maire de la vaillante cité cherche une marraine pour sa ville natale détruite par les allemands" (cité par Dégardin, La vie quotidienne à Bapaume pendant la première guerre mondiale). Ces appels sont relayés auprès de la British League of Help.
Les villes anglaises financent leur parrainage en prélevant sur les finances municipales ou en organisant des souscriptions publiques.
Le maire de la commune intéressée peut ensuite venir visiter la commune sinistrée, et établir à cette occasion la liste des besoins, en nature ou en argent. Quelquefois, les dons sont faits sans qu'aucune visite dans la commune sinistrée ait eu lieu, pas plus qu'un échange avec les municipalités sur le terrain pour connaitre leurs attentes. Les dons en nature répondent alors moins aux nécessités du terrain et les dons en argent sont souvent moins importants. Les parrainages qui se sont construits sur de véritables collaborations ont en revanche donné lieu à des réalisations plus pérennes. Ainsi en est-il à Béthune ou à Bapaume : en 1921, après échanges entre la ville de Bapaume et celle de Sheffield, il est décidé que la meilleure manière d'utiliser le don est la construction d'un ensemble de maisons ouvrières, qui seront édifiées sur un terrain donné par la commune. Bâties entre 1927 et 1929, ces maisons prennent le nom de Cité Sheffield. A Béthune, la ville de Bristol finance la construction de 16 maisons ouvrières (détruites en 1968).
Il semble que les villes très sinistrées aient peu bénéficié de parrainages anglais, l'ampleur des reconstructions à mener ayant sans doute été décourageant. Il était aussi visiblement été plus gratifiant d'aider à relever des monuments historiques que de l'architecture vernaculaire : Arras est la ville qui a reçu le plus de subsides britanniques.
Le cas particulier de l'aide hollandaise
La Hollande est le seul pays dont le gouvernement s'engage au nom de la nation. Elle finance pour 1,360 millions de francs la construction, à Lens et à Liévin, de deux cités réservées au relogement des sinistrés avec leurs équipements publics (école, salle des fêtes, bains-douches, commerces). Elle envoie sur place ses ingénieurs, ses architectes et une partie des matériaux nécessaires à la construction, le reste étant récupéré sur place. Mais les maisons construites en bois ne disposent ni d'eau courante ni d'électricité, sont mal isolées et se dégradent vite. Elles seront détruites avant la seconde guerre mondiale.
Photographe au service régional de l'Inventaire général du patrimoine culturel.