Très tôt, les chefs du diocèse de Soissons et le clergé de la cathédrale ont cherché à inhumer dans cette église les corps de saints personnages ou à y constituer un trésor de reliques. L'un des meilleurs illustrateurs de cette piété est l'évêque Nivelon I de Chérizy ou de Quierzy qui, croisé en 1201, envoie au chapitre en 1202 depuis la Terre Sainte un grand nombre de reliques insignes, telles qu'une partie du chef de saint Marc, la tête de saint Etienne, le doigt que saint Thomas avait mis dans le côté du Christ, une épine de la Couronne du Christ, une partie de la robe de la Vierge, et bien d'autres encore. Le chanoine Cabaret rapporte que ce zèle à doter sa cathédrale de nombreuses reliques lui avait mérité dans certains documents le surnom de "Nivelon de Reliquiis".
Des reliquaires sont alors réalisés pour contenir et exposer ces restes des saints, et ces objets en matériaux précieux sont abrités dans un meuble spécifique : l'armoire à reliquaires. Contrairement à d'autres éminentes églises picardes où des armoires médiévales sont encore visibles in situ (basilique de Saint-Quentin), ou bien sont connues par le biais du dessin ou de la photographie (cathédrale de Noyon), la cathédrale de Soissons n'a pas conservé d'armoire à reliquaires de cette période, et les rares archives subsistantes ne paraissent pas en faire mention. Il s'agissait probablement d'un meuble en bois, installé dans le côté nord du sanctuaire (emplacement attesté au 17e siècle).
La prise et l'occupation de Soissons par les protestants en 1567-1568 portent un coup fatal à ce trésor : le métal précieux des reliquaires est dérobé et fondu, et les reliques sont presque totalement détruites. Les décennies qui suivent sont consacrées par le clergé à la restauration de la cathédrale et à l'acquisition de mobilier et d'objets indispensables à la décence du culte. Ce n'est qu'au 17e siècle que peut être entreprise la reconstitution du trésor des reliques. Parmi les divers dons et translations rapportés par les archives, trois se remarquent par l'étroit rapport que les saints entretiennent avec le diocèse. En 1617, l'évêque Jérôme Hennequin fait transporter à la cathédrale les reliques de saint Rufin et saint Valère - évangélisateurs du Soissonnais - qui se trouvaient alors à l'abbaye de Saint-Paul-lès-Soissons et risquaient de quitter le diocèse pour Reims. En 1629, l'évêque Simon Legras obtient du diocèse de Reims une partie des reliques de saint Sixte et saint Sinice, premiers évêques de Soissons. Mais surtout, le 16 juin 1685, la cathédrale reçoit des reliques de ses saints patrons, Gervais et Protais, provenant de Brisach. La construction d'une nouvelle armoire à reliquaires est sans doute consécutive à cette dernière translation.
La date de 1687, gravée à l'intérieur du meuble sur une traverse, et les annotations concordantes d'un inventaire de 1672 permettent de dater avec précision cette armoire et de l'attribuer à la générosité du chantre Nicolas Lombard. Elle remplace alors la précédente à l'intérieur du sanctuaire. Son installation dans la troisième chapelle nord du chœur date du réaménagement complet du chœur de la cathédrale, de 1767 à 1775. En 1771, nous rapporte Cabaret, certains chanoines font peindre l'armoire couleur "faux bois", pour lui donner l'aspect du palissandre, et la font également dorer. Et pour la rendre plus majestueuse encore, on en augmente le fronton d'une croix, de vases, de guirlandes et d'autres sculptures. Une partie de ce décor a disparu en deux étapes : probablement pendant la Révolution ou dans le courant du 19e siècle, puis à la suite de la Première Guerre mondiale qui n'a pourtant pas endommagé gravement le meuble. Il semble qu'on doive à ce conflit et à la restauration consécutive l'effacement de l'inscription peinte au centre de la frise, la disparition du sujet qui occupait le nuage supérieur du fronton, enfin la réfection totale d'au moins un des anges de ce même fronton, si ce n'est des deux. Les photographies antérieures à 1914 attestent en effet que les deux anges portaient chacun une grande palme, et l'ange original de gauche (en très mauvais état) est actuellement déposé dans la chapelle supérieure du bras sud du transept.
Chercheur de l'Inventaire général.