Dossier d’œuvre architecture IA59005069 | Réalisé par
Dupuis Leslie (Enquêteur)
Dupuis Leslie

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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  • opération d'urgence
Annexe des Archives départementales du Nord, actuellement désaffectée
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Métropole européenne de Lille - Lille (arrondissement)
  • Commune Lille
  • Adresse 74 rue Jacquemars-Giélée
  • Cadastre 2016 NX 5
  • Précisions
  • Dénominations
    archives, établissement administratif
  • Précision dénomination
    annexe, archives départementales

Un bâtiment d'archives ambivalent et singulier

En 1910, les Archives départementales du Nord inaugurent au n°74 de la rue Jacquemars-Giélée à Lille un dépôt annexe destiné à désengorger l’ancien hôtel des Archives de la rue du Pont-Neuf. Construit sur les plans de l’architecte départemental Léonce Hainez (1866-1916), en collaboration avec l'entreprise de béton armé Hennebique, le dépôt est présenté dès son édification comme un lieu de stockage exemplaire. Il fait l’objet d’une publication dans La Construction Moderne du 26 mars 1910.

Son étude révèle en effet une utilisation novatrice et ingénieuse du béton armé (système Hennebique) en matière de dépôt d’archives : les structures porteuses internes supportent les circulations et les rayonnages. De même l’architecture et l’aménagement du dépôt sont systématiquement mis au service du travail des archivistes et de la bonne conservation des fonds. Par son aménagement interne, le dépôt de la rue Jacquemars-Giélée s’inscrit donc bien dans la tradition novatrice des archives du Nord de la France mise en évidence par Stéphanie Quantin-Biencalani.

Cependant, contrairement à ce qui est écrit à l’époque, le bâtiment n'est pas construit uniquement en béton armé : la clôture de l’édifice est faite de simples murs en brique partiellement réemployés. En outre, le dépôt est caché en cœur de parcelle et qui plus est fondu dans un programme plus global de bâtiment administratif mixte. De l’extérieur, le bâtiment d'archives est pour ainsi dire architecturalement inexistant : il s’agit d’un coffre-fort isolé, sans fenêtre (ou presque), ni façade architecturée. L’édifice ne manifeste son existence que par la façade sur rue, par ailleurs très neutre, de l’annexe administrative. Tout ce qui fait la modernité du projet est rendu invisible au public. On est donc loin du bâtiment d’archives indépendant, tel que l’ont inauguré dès 1844 les Archives du Nord avec l’hôtel des Archives de la rue du Pont-Neuf.

Nous sommes donc confrontés à un bâtiment d’archives ambivalent et singulier. Novateur, son aménagement intérieur marque une étape dans l’élaboration d’un programme architectural propre au dépôt d’archives. L’édifice reste pourtant traditionnel dans sa façon de s’insérer dans un bâti existant. Un coffre-fort aveugle isolé au sein d’un ensemble administratif plus large, comme beaucoup de dépôts d'archives du XIXe siècle.

Un programme mixte : « une annexe des bureaux de la Préfecture avec dépôt d’archives »

En 1901, le directeur des Archives du Nord s’inquiète de la saturation de l’hôtel des Archives de la rue du Pont-Neuf (Lille), construit en 1844, et demande son agrandissement. En 1906, le Département choisit de construire un local annexe, dédié aux archives administratives. Ce nouveau bâtiment doit également accueillir une annexe des bureaux de la Préfecture.

Léonce Hainez (1866-1916), architecte départemental, est chargé du projet. Le 10 mai 1906 l’Inspecteur général de la direction des archives (Ministère de l’instruction publique, des Beaux-Arts et des cultes) valide les plans qui vont cependant évoluer jusqu'en 1908. L’adjudication a lieu le 19 décembre 1906 et le permis de construire est publié le 18 mars 1908. Un marché complémentaire est passé en 1909. Le 26 mars 1910, un article illustré de La Construction Moderne décrit l'édifice et met en avant son côté novateur. La réception définitive des travaux a lieu en juillet 1910.

Deux bâtiments distincts, une seule architecture visible

La parcelle choisie est une propriété du Département, proche de la Préfecture, abritant un couvent depuis 1860. Elle est divisée en 1909. Au nord, côté rue Boileux, un premier fonds est cédé à l’Administration des Hospices Civils de Lille qui y construit un orphelinat (voir le dossier de l’hospice Lemay, IA59000340). L’annexe des Archives départementales et de la Préfecture est prévue sur la partie sud de la parcelle, côté rue Jaquemars-Giélée. Le terrain présente une forme particulière : partant d’un axe sud-ouest/nord-est depuis la rue, il s’oriente très vite vers l’est et se déploie en longueur en cœur d’îlot selon un axe ouest-est.

Pour répondre à la mixité du programme, Léonce Hainez conçoit deux bâtiments distincts. Côté rue, il développe le « bâtiment des bureaux » qui correspond au volet administratif et public du projet. L'accueil et le service des Archives sont installés en rez-de-chaussée, les bureaux départementaux dans les étages (service du vétérinaire départemental, service de l’hygiène et des épizooties). Le service des Archives comprend dès le projet de 1906 deux pièces successives : une salle de consultation-bureau et une salle de triage, celle-ci faisant l'interface entre la salle de consultation-bureau et le dépôt. Pour ce « bâtiment des bureaux », Léonce Hainez réalise d'abord un projet de façade ordonnancée assez démonstrative, avec un avant-corps et une porte monumentale surmontée d’un fronton curviligne ornementé. Finalement, se conformant à la demande de la Commission départementale des bâtiments civils, il conçoit la façade actuelle, plus discrète.

Le dépôt des archives est prévu dans un second bâtiment, qui se déploie d’ouest en est, en cœur d’îlot. Il communique avec le bâtiment administratif grâce à la salle de triage. Cette stricte séparation entre le dépôt et les lieux de consultation tire parti de la forme de la parcelle et s’appuie sur les normes de l’époque concernant la sécurité des archives. Elle donne une grande liberté à l’architecte pour développer son programme : sécuriser les fonds, optimiser le stockage et faciliter le travail d’archivage.

Un dépôt "coffre-fort"

En 1909 le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts rappelle à la Préfecture du Nord la principale mesure à prendre contre l’incendie dans les bâtiments d’archives : « Le local affecté à la conservation des archives doit être établi dans des conditions d’isolement qui écartent toute crainte d’incendie » (circulaire du 8 août 1839).

L’architecte limite tout d’abord les risques d’incendie en séparant le dépôt des salles de consultation et de triage. La chaudière est reléguée sous la salle de triage. Le béton armé, utilisé pour la structure et les rayonnages, a pour vocation de remplacer le bois, inflammable. Mais le risque le plus important vient sans conteste des maisons voisines ; Léonce Hainez choisit donc d’isoler le bâtiment au maximum, en le concevant comme un coffre-fort en cœur de parcelle.

Il est notable que les plans conservés aux Archives départementales du Nord ne comportent aucune élévation de ce bâtiment, pourtant au cœur du projet. Concernant le mode de construction employé, les documents d'archives consultés sont contradictoires. Le 30 juillet 1909 Léonce Hainez rassure le Préfet : "Le nouveau bâtiment annexe des Archives départementales de la rue Jacquemars-Giélée est entouré de murs pleins, entièrement construits en ciment armé avec des galeries de fer. Ne recevant que le jour du haut, l’édifice, par les matériaux incombustibles employés pour sa construction, est à l’abri de toute cause d’incendie". L’article du 26 mars 1910 paru dans La Construction Moderne indique de même une construction ex nihilo en béton armé : "M. Hainez a complètement isolé le dépôt, ne s’appuyant sur aucun mur mitoyen, construisant, sans aucune ouverture par où le feu pourrait pénétrer, des murs formant en quelque sorte un bouclier de protection contre l’ennemi du dehors. Et ces murs constituent les parois mêmes du dépôt".

Au contraire, dans sa correspondance Léonce Hainez mentionne un dépôt "complètement entouré de murs mitoyens" dont certains, menaçant ruine, sont démolis puis reconstruits sur ses ordres. En fait, on découvre sur le terrain que l’architecte a bel et bien installé le dépôt entre des murs pré-existants : il s'agit au sud de murs mitoyens, et à l'ouest du mur d'un ancien édifice, non identifié, inexistant en 1881. En d’autres termes, les structures porteuses internes sont en béton armé mais la clôture, non porteuse, est en brique.

Un système constructif original en béton armé

À l’intérieur, l’architecte élabore un système constructif véritablement original : une structure porteuse interne en béton armé qui fait également office de rayonnages et porte les circulations. Il s'appuie sur l'entreprise Hennebique, spécialisée dans les constructions en béton armé, dont le bureau d'étude réalise les calculs et les plans. La réalisation est confiée à l’entrepreneur Debosque-Bonté d’Armentières, concessionnaire Hennebique.

La Construction moderne du 26 mars 1910 explique : "Toute la construction est portée par [cinq] piliers rectangulaires en béton armé reposant par l’intermédiaire de semelles sur des puits en maçonnerie. Ces piliers ont […] une hauteur d’une dizaine de mètres ; ils sont entretoisés à chaque étage par les planchers et la terrasse. Les planchers de chaque étage sont constitués par une série de cinq passerelles reposant sur les piliers et formés d’une partie médiane de 0,80 m de largeur portant les casiers et de deux parties latérales servant de passage et entourées de garde-corps". Les ensembles pilier/rayonnages/passerelles sont séparés par des puits de lumière.

Il est intéressant de noter, comme précédent et source d’inspiration possible de ce système, que Dubosque-Bonté fait parvenir à Léonce Hainez une photographie intérieure du dépôt des archives du Comptoir National d’Escompte de Paris, construit en 1905 à Rueil-Malmaison par l'architecte Constant Bernard associé à la SGCBA, concessionnaire Hennebique. On y distingue très bien une structure en béton, des casiers en béton armés, des puits de lumière, ainsi qu’un rail de wagonnets et un monte-charge.

Un stockage optimal dans de bonnes conditions de conservation

De façon très novatrice, l’architecture et l’aménagement du dépôt sont systématiquement mis au service du travail des archivistes et de la bonne conservation des fonds.

Le dépôt s’inscrit dans un vaste rectangle dont l’angle sud-est est étiré puis au contraire tronqué à partir de 1908 suite à un problème de mitoyenneté. À l’intérieur, le dépôt est d’un seul tenant : "la conception d’un grand hall [...] supprime les portes de dégagement encombrantes des petites salles" (La Construction Moderne). L’éclairage étant assuré par des verrières zénithales et des puits de lumière, les rayonnages peuvent être disposés sur les parois périphériques et sur chaque pilier porteur. La hauteur sous plafond réduite à 2,10 m facilite la manipulation des liasses et rend inutile l'emploi d'échelles qui feraient perdre de la place au sol.

Un premier projet non daté propose deux étages. En août 1906, un troisième étage est ajouté, sans doute en prévision de l’accroissement des fonds. En 1911 le dépôt conserve 4 km linéaires d’archives.

Sur les plans de 1906 des escaliers en colimaçon sont installés dans les angles. À partir de 1908 l’escalier devient central, plus large et à volée droite, forme plus adaptée à la circulation. De part et d’autre de celui-ci, deux rayonnages sont supprimés probablement pour faciliter les déplacements. Suite à la visite en 1908 de Max Bruchet, tout nouveau directeur des Archives du Nord, un monte-charge est installé ainsi qu’ "un système de wagonnets sur rails Decauville" qui assure au rez-de-chaussée le transport des liasses de la salle de triage au monte-charge. Max Bruchet élabore également une signalétique ad hoc qui est intégrée directement au projet architectural. Détail notable, des pupitres sont installés sur les garde-corps de façon à poser et consulter les archives, en face de leur casier de rangement.

Enfin, le souci manifesté par Léonce Hainez pour le climat du dépôt est remarquable. Dès 1907 des systèmes d’aération apparaissent sur les plans, à chaque angle du dépôt. En 1908 Léonce Hainez visite les archives de Gand, installées dans le château de Gérard le Diable, et revient convaincu de la nécessité de chauffer le dépôt à 12°C minimum. Il revoit également le plan des casiers, supprimant la cloison du fond pour améliorer la ventilation et gagner en luminosité.

Postérité

Après 1911 l’annexe administrative de la Préfecture accueille le bureau de l’Architecte en chef du Département du Nord qui devient ensuite le service des édifices départementaux. La direction départementale des services vétérinaires est installée dans les locaux jusqu’en 1966.

Les archives quittent le site en 1961, rapatriées lors de la mise en service du nouveau bâtiment des Archives départementales, construit rue Saint-Bernard. Le dépôt est ensuite occupé par le service départemental de l’Office National des Anciens Combattants qui y installe ses archives vers 1967-1969.

Le site, désaffecté, est mis en vente par le Département du Nord en 2015. Il accueille aujourd'hui (2023), Artchives, un lieu concept composé d'une galerie d'art contemporain, d'un bar à cocktail et d'un restaurant.

L’édifice est composé d’un "bâtiment des bureaux" côté rue et d’un "bâtiment des archives" (ou du dépôt) en cœur de parcelle, tous deux reliés par une salle de triage.

Le bâtiment des bureaux se développe dans un plan rectangulaire légèrement irrégulier, sur deux étages carrés. Les murs sont en brique, en appareil double régulier, partiellement enduites au rez-de-chaussée, sur un soubassement en pierre de taille. Le bâtiment est couvert d’un toit à deux pans en tuile. La façade présente une ordonnance à trois travées. L’ornementation, constituée de bas-reliefs à motifs floraux et d'un cartouche, se concentre autour de la porte d’entrée et au niveau de l’entablement.

La salle de triage est accessible depuis le vestibule comme depuis la salle de consultation-bureau. Elle forme un coude, en simple rez-de-chaussée, jusqu’au bâtiment du dépôt. Elle est construire en brique et était initialement couverte d’une verrière supportée par une charpente métallique, aujourd'hui remaniée. L’éclairage zénithal est complété au nord et au sud par des baies géminées, ouvrant sur deux cours latérales.

Le bâtiment du dépôt est accessible, à couvert, depuis la salle de triage. De plan rectangulaire légèrement irrégulier au sud-est, il se développe sur trois étages carrés et est couvert d’un toit terrasse. Les lanterneaux initiaux (verrières sur charpentes métalliques) sont aujourd’hui très remaniés. Les murs extérieurs sont en brique, parfois en réemploi de murs pré-existants dont les baies ont été murées. Tous les murs sont aveugles à la notable exception de deux des murs bordant la cour au sud est, qui présentent une baie à chaque étage. À l’intérieur, l’espace est divisé dans la longueur par trois rangs de piliers porteurs en béton armé. Ils forment quatre vaisseaux numérotés dans ce dossier de 1 à 4, du nord au sud. Le vaisseau 4, le plus au sud, suit la forme de la parcelle, elle-même irrégulière. Chaque vaisseau est éclairé par des puits de lumière, alignés et séparés par les paliers de l'étage supérieur ou de simples entretoises. Les piliers en béton portent les circulations (coursières) et les systèmes de rayonnages, en béton également.

  • Murs
    • brique enduit partiel
    • béton béton armé
  • Toits
    tuile, verre en couverture, matériau synthétique en couverture
  • Étages
    2 étages carrés, en rez-de-chaussée, 3 étages carrés
  • Couvrements
    • charpente métallique apparente
  • Élévations extérieures
    élévation ordonnancée
  • Couvertures
    • toit à deux pans
    • terrasse lanterneau
  • Escaliers
    • escalier dans-oeuvre : escalier tournant à retours
    • escalier dans-oeuvre : escalier droit
  • Autres organes de circulation
    monte-charge
  • Énergies
    • énergie thermique produite sur place générateur
  • État de conservation
    désaffecté
  • Représentations

Sollicité par les Archives Départementales du Nord, le service de l'Inventaire général du patrimoine culturel de la Région Hauts-de-France a entrepris la rédaction du présent dossier d'urgence en 2016.