Dossier d’œuvre architecture IA62005155 | Réalisé par
Girard Karine (Rédacteur)
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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  • patrimoine de la Reconstruction
  • enquête thématique régionale, La première Reconstruction
Maisons jumelles, ancienne propriété de M. François Théry-Emmery
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Communauté de communes du Sud-Artois - Bapaume
  • Commune Bapaume
  • Adresse 17 - 19 rue Gambetta
  • Cadastre 2017 000 AB 01 239  ; 2017 000 AB 01 240
  • Parties constituantes non étudiées
    jardin d'agrément

Contrairement à beaucoup de propriétaires, M. Théry n’habite pas sur place et n’utilise donc pas les dommages de guerre pour se reloger. Toutes ses constructions sont des maisons de rapport. Ceci explique sans doute la date tardive de ces constructions, car ces dernières ne contribuant ni à la reprise de l’activité économique ni au relogement du propriétaire, elles n’étaient pas prioritaires dans l’attribution et le versement des dommages de guerre. Ainsi, aucun Théry n’apparait rue Gambetta dans le recensement de 1931. En revanche, à cette même date, des Théry habitent rue Lequette et Payen. Si l’on s’en réfère aux dates de naissance indiquées dans le recensement, on peut imaginer que la maison rue J.B.-Lequette est construite pour des membres de sa famille, peut-être ses enfants. Un Paul Théry né en 1899 (son fils ?), exerce ses activités de médecin rue Lequette (recensement de population de 1931, archives du Pas-de-Calais M4346, p. 31), et la maison de la rue de l’Amiral-Payen est occupée par une Élise Théry, née en 1902 (sa fille ?) et sa famille (recensement de population de 1931, p. 3).

Le niveau de détail fourni par l’architecte est impressionnant et peu fréquent : le dessin de la façade est extrêmement fouillé (on voit les agrafes des fenêtres et l’enduit tyrolien du mur), la forme des moulures des encadrements de baies fait l’objet d’un dessin spécifique et le motif en fer forgé qui doit orner les portes d’entrée apparait clairement sur le projet d’élévation. Les matériaux sont aussi soignés et sont soit luxueux (mitrons en gré vernissé, ardoise en couverture) soit donnent l’apparence du luxe : ciment peint pour ressembler à la pierre bleue de Belgique, traitement des linteaux des baies avec des agrafes qui ressemblent à un moellon alors qu’il ne s’agit que d’une peinture appliquée sur une partie des briques...

L’étude du prix confirme qu’il s’agit d’une construction « haut de gamme ». Sans se livrer à une étude exhaustive, on peut comparer son coût de construction (144 000 francs) avec celui d’autres maisons de rapport. Ainsi les quatre maisons jointives édifiées pour M. Vasseur rue de la République ont coûté 175 000 francs, les deux habitations du même propriétaire faubourg de Péronne 95 000 francs… Les maisons de M. Théry sont donc des "maisons ouvrières" de luxe, même si elles restent moins onéreuses que les maisons individuelles des rues Jean-Baptiste-Lequette et Payen (qui ont respectivement coûté 167 000 et 235 000 francs), construites par le même architecte pour le même propriétaire. Si l’on compare avec les constructions équivalentes réalisées par Rousseau pour d’autres propriétaires, on voit que les prix sont équivalents à ceux des maisons de la rue Gambetta… et plus élevés que ceux des projets des autres architectes !

La distribution des maisons est typique des "1930", ainsi que ces maisons sont appelées dans le nord de la France où elles sont extrêmement fréquentes et présentent des caractéristiques identiques : maisons mitoyennes tout en longueur avec pignon sur rue, deux étages desservis par un escalier qui prend naissance dans le couloir qui longe l’enfilade salon – salle à manger du rez-de-chaussée pour aboutir à la cuisine, chambres dans les étages et jardin à l’arrière. Mais l’élévation est radicalement différente : la façade est crépie et non en briques apparentes, et surtout elle présente un imposant pignon-lucarne totalement étranger au vocabulaire architectural des "1930".

Éléments de contexte et chronologie du projet de reconstruction

Le dossier de réemploi des dommages de guerre (AD Pas de Calais, 10R9/102) déposé par François Théry-Emmery porte sur la construction d'un groupe de deux maisons de rapport rue Gambetta. Monsieur Emmery-Théry (1863-1935) était déjà domicilié rue du Presbytère (actuelle rue Jean-Baptiste-Lequette) avec ses parents, puis avec sa mère, de 1896 à 1911, dates des seuls recensements qui les signalent. En 1924, au moment de la signature des marchés avec les entrepreneurs et la coopérative, il est domicilié à Compiègne.

Dans le marché avec l’entrepreneur et le devis descriptif, les maisons de rapport sont appelées indifféremment "maisons ouvrières" ou "maisons d’habitation" avec dépendances. Le projet est réalisé par Eugène Rousseau, qui travaille pour la coopérative n°3, dite "L'Amicale".

Le devis descriptif est validé en mai 1925, la réception des travaux a lieu en mai 1927 et la clôture du dossier administratif en novembre 1932. Le coût total de la construction a été de 144 300 francs.

En 1927, Monsieur Théry-Emmery fait de nouveau appel à Eugène Rousseau pour la construction d'une maison particulière rue de l'amiral Payen (dossier de réemploi, archives du Pas-de-Calais, 10R9/111), puis de nouveau en 1928, pour l’édification d’une maison d'habitation rue Jean-Baptiste-Lequette.

Le projet de l’architecte : les élévations

Le projet de l’architecte montre deux maisons identiques et parfaitement symétriques, réunies sous la même toiture. Construites sur cave, elles comprennent un étage carré et un étage de combles. Chaque maison compte deux travées. Celle extérieure est composée de la porte d’entrée en plein cintre, d’une baie rectangulaire et d’une lucarne rampante. Celle intérieure, plus large, s’achève par une grande lucarne-pignon percée d’une petite baie rectangulaire qui surmonte une grande baie rectangulaire ornée d’un balcon et une large baie en plein cintre. Les baies des premier et second niveaux s’achèvent par une agrafe. L’architecte prend soin de fournir le dessin des moulures (un tore entre deux baguettes) qu’il souhaite pour l’encadrement des baies, et le remplage des baies du rez-de-chaussée est particulièrement travaillé, tout comme le motif en fer qui doit venir occuper le centre de la porte d’entrée.

Le projet de l’architecte : les plans

Au rez-de-chaussée, le plan montre un couloir desservant latéralement un salon sur rue communiquant avec une salle à manger sur cour, et aboutissant à la cuisine. Les sanitaires sont situés derrière la cuisine, par laquelle on accède à la petite terrasse qui précède le jardin. L’escalier desservant les étages est situé dans le couloir. Il est "d’une seule volée par étage, avec limon droit sur poteaux, à quartiers tournants". Le premier étage accueille une chambre sur rue et une chambre sur cour, cette dernière accolée à un cabinet de toilette. L’étage sous-comble n’est pas habité. Toutes les pièces sont équipées d’une cheminée "capucine ordinaire, […] en marbre noir veiné blanc dans les salles à manger, en marbre rouge dans pour les salons et en chêne à vernir pour le premier étage".

Les matériaux préconisés dans le devis descriptif

Le devis descriptif apporte des précisions sur les matériaux mis en œuvre. La première précision apportée est que les parties de maçonneries encore présentes devront être démolies. Les matériaux récupérés appartiendront à l’entrepreneur mais ne doivent pas être réutilisées dans la construction. Les nouveaux murs de fondation sont en brique brute, ainsi que les voutains de la cave. Les murs des façades sont en maçonnerie de briques. Elles sont laissées nues à l’arrière mais recouvertes d’enduit tyrolien en façade. Les dalles des balcons sont en béton armé et les appuis de fenêtres, les consoles et les "seuils et marches des portes" sont en béton moulé enduits en ciment, ce qui est également le cas du soubassement et des clefs au-dessus des baies. L’architecte indique "TOUS (en majuscule dans le texte) les ciments seront ton pierre de Belgique", c'est-à-dire gris-bleuté. La toiture débordante est couverture "d’ardoises d’Angers première carrée demi-forte" posées au clou sur une charpente en sapin. Les chenaux et descentes de pluie, ainsi que les jouées des lucarnes sont en zinc. Les cheminées sont en briques avec un mitron en gré vernissé.

Si le sol de la cave reste en terre battue, au rez-de-chaussée, le vestibule, le couloir, la cuisine et la salle de bain sont "carrelés en carreaux de ciment à dessin" tandis que le salon et la salle à manger sont parquetés de chêne. Les sols des chambres sont en sapin. Comme souvent, les cloisons intérieures sont soit en brique enduites en plâtre pour les plus épaisses, soit en carreaux de plâtre pour les plus fines. Elles sont systématiquement peintes à l’huile pour le rez-de-chaussée mais recouvertes de papier peint pour l’étage. Les huisseries intérieures sont en sapin et celles extérieures en chêne pour la façade sur rue, mais en sapin pour la façade arrière. Les murs des salons et des salles à manger sont lambrissés en partie basse. L’escalier est en orme. Tous les bois sont peints, avec en plus un décor de faux bois pour les parties lambrissées.

Les baies du rez-de-chaussée sont « défendues par des persiennes en fer et tôle ferrée », tandis que celles du premier étage ne sont équipées que d’un volet mécanique en sapin.

Chaque maison est équipée de huit lampes électriques, c'est-à-dire une dans chaque pièce et le couloir ainsi qu’une à la cave.

Chaque maison dispose d’une fosse septique, ce qui n’est pas le cas pour toutes les reconstructions généralement raccordées au réseau de tout à l’égout.

Le mur entre les jardins est "composé de poteaux et traverses en ciment armé, avec lattis de planches verticales.

Les maisons sont situées sur deux parcelles rectangulaires contiguës.

Elles sont construites à front de rue et se prolongent à l’arrière par un long jardin.

La comparaison de l’existant avec les plans fournis par l’architecte montre que la construction a été fidèle au projet, qu’il s’agisse de l’élévation, de l’ordonnancement de la façade ou de la forme de la toiture.

Les maisons ont subi très peu de modifications. Celle de gauche est sans doute celle qui a été le plus remaniée : le balcon a perdu la rambarde en bois prévue par l’architecte (remplacée par un balcon en fer de forme galbée), les huisseries des baies du second niveau ont perdu leur dessin, et la petite fenêtre à gauche de la porte qui correspondait à la montée de l’escalier a été murée.

S’agissant d’une propriété privée, l’intérieur actuel des maisons n’a pas été étudié. Il n’est donc pas possible de savoir si la construction s’est faite conformément aux plans de l’architecte, ni si cette dernière a été modifiée par la suite.

  • Murs
    • brique
  • Toits
    ardoise
  • Étages
    sous-sol, en rez-de-chaussée surélevé, 1 étage carré, étage de comble
  • Couvertures
    • toit à deux pans pignon couvert
  • Statut de la propriété
    propriété d'une personne privée

Documents d'archives

  • AD Pas-de-Calais. Série R ; 10R9/102. Dossier 1564. François Théry - Emmery. Habitations et dépendances. Devis descriptif, marché, conventions d'acompte, compte de mitoyenneté, procès-verbal de réception définitive, plans.

    Liste des documents figurés utilisés dans la notice :

    - Propriété de M. Théry-Emmery - rue Gambetta - Bapaume : façade sur rue, coupe. Signé et daté par Eugène Rousseau, architecte, F. Théry, propriétaire et l'entrepreneur, le 29 décembre 1924.

    - Propriété de M. Théry-Emmery - rue Gambetta - Bapaume : plans du sous-sol et du rez-de-chaussée. Signé et daté par Eugène Rousseau, architecte, F. Théry, propriétaire et l'entrepreneur, le 29 décembre 1924.

    - Propriété de M. Théry-Emmery - rue Gambetta - Bapaume : plans du premier et du second étage. Signé et daté par Eugène Rousseau, architecte, F. Théry, propriétaire et l'entrepreneur, le 29 décembre 1924.

    Dossier 1564. François Théry - Emmery. Habitations et dépendances. Devis descriptif, marché, conventions d'acompte, compte de mitoyenneté, procès-verbal de réception définitive, plans.
Date(s) d'enquête : 2018; Date(s) de rédaction : 2019
(c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
Girard Karine
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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