Contexte institutionnel et objectifs
Cette opération, initialement menée par la direction de l’Inventaire de la Région Picardie de 2014 à 2016, est poursuivie par le service de l’Inventaire du patrimoine culturel de la Région Hauts-de-France et étendue à l’ensemble du territoire régional sur la période 2018-2020.
L’objectif est ici de produire une synthèse régionale sur le patrimoine de la Reconstruction après la première guerre mondiale, qui s’inscrira dans la suite des commémorations du centenaire, en travaillant sur ce que les habitants de la région ont su reconstruire pour comprendre cette vision d'un nouveau monde. Dans ce contexte, la reconstruction du patrimoine de l’industrie fait l’objet d’une opération d’inventaire spécifique, qui permettra d’en analyser les enjeux et les réalisations.
Pour la Région, les opérations d’inventaire constituent des outils de connaissance qui permettent de répondre aux enjeux d’aménagement et de développement durable du territoire. Cette synthèse régionale permettra de mieux connaître et de mieux mettre en valeur un patrimoine du 20e siècle, emblématique et pourtant peu reconnu, et des territoires fortement marqués par le conflit, tant leurs paysages que leurs habitants.
Le développement des opérations d’inventaire, en partenariat avec les acteurs du territoire, est un des objectifs de la Région pour répondre aux enjeux scientifiques de connaissance du patrimoine culturel et de développement durable des territoires.
Des recherches de partenariat sont en cours auprès des acteurs de la recherche travaillant sur cette thématique1.
Descriptif de l’opération
A - Délimitation de l’aire d’étude
Le périmètre de l’opération est la région et plus particulièrement les secteurs les plus touchés : le département de l’Aisne (Thiérache, Saint-Quentinois, Chaunois, Laonnois, Soissonais), les arrondissements de Montdidier et de Péronne dans la Somme, celui de Compiègne dans l’Oise, ceux d’Arras et de Lens dans le Pas-de-Calais, enfin ceux de Lille et Cambrai dans le Nord.
La période retenue est 1920-1935.
Le territoire
"Véritable cataclysme en Picardie, la Première Guerre mondiale bouleverse de façon irrémédiable les paysages et les localités de l’Aisne, de l’Oise et de la Somme, qui avaient conservé avant 1914 un patrimoine architectural et culturel très riche. Plus que n’importe quel autre conflit, la Grande Guerre a laissé de façon indélébile des traces qui témoignent, encore de nos jours, de l’ampleur des destructions et du sacrifice de plusieurs générations".2
Par sa situation géographique et sa topographie, la région a été placée au cœur des zones de combat de 1914 à 1918. Les ravages de la Première Guerre mondiale ont principalement touché les départements du Nord (4/5) et de l’Aisne (3/4) et une partie des départements du Pas-de-Calais (1/2), de la Somme (1/3) et de l'Oise3. L'état des dommages de guerre est réalisé en 1919-1920.
Dans l’Aisne (816 communes), un des départements les plus touchés par les destructions, 139 villages furent totalement détruits, 461 le furent à plus de 50%, 235 simplement endommagés. Certains ont même été rayés de la carte (Ailles, Beaulne et Chiry, Courtecon et La-Vallée-Foulon) et leur nom subsiste symboliquement dans les villages voisins auxquels leur territoire a été rattaché.
Dans le département du Nord (648 communes), on compte 220 villages touchés, 18 complètement détruits.
Dans le département du Pas-de-Calais (890 communes), on compte 279 villages touchés, 167 complètement détruits.
Dans le département de la Somme (782 communes), on compte 381 villages touchés, 205 complètement détruits.
Dans l’Oise, c’est principalement l’arrondissement de Compiègne et le canton de Noyon, qui sont le plus touchés.
Deux secteurs ont déjà fait l’objet d’un recensement ou d’une opération d’inventaire sur la Reconstruction après la première guerre mondiale en 2003, l’est de la Somme (arrondissement de Péronne) et le Chemin des Dames dans l’Aisne. A ce corpus thématique s'ajoutent les données recueillies lors des inventaires topographiques des canton de Noyon (1983) et de Braine (2002) et les enquêtes menées sur la Thiérache (1990), qui documentent partiellement le département de l’Oise et de l'Aisne, ainsi qu'un recensement du patrimoine Art Déco d'Arras (2008) et de Béthune, dans le Pas-de-Calais.
Sur le Chemin des Dames4, le degré de destruction était variable selon les villages mais la plupart ont été entièrement anéantis. Lors de leur retraite en mars 1917, les Allemands effectuèrent des destructions systématiques. Plusieurs villages furent totalement détruits (Paissy, Chavignon, Chevregny).
Deux publications sur l’est de la Somme rendent compte du recensement réalisé en 2003, portant sur 29 communes des cantons de Ham, Péronne, Roisel, Chaulnes : Architectures de la Reconstruction dans l'est de la Somme (2006) et La Reconstruction dans l'est de la Somme : l'architecture religieuse et son décor (2007). S'y ajoutent deux publications : Bailleul ville reconstruite 1919-1934 (1999) et Béthune-Bruay, régionalisme et Art déco (2011).
L’inventaire du canton de Noyon documente principalement les édifices religieux, les châteaux et les équipements publics qui ont été reconstruits et plus ponctuellement les demeures (maisons et fermes). D´une manière générale, en raison des conditions d'enquête des années 1980, les maisons et fermes postérieures à 1914 ont été écartées de l´étude, excepté dans les communes de Larbroye et de Suzoy, entièrement rasées pendant la Première Guerre mondiale.
Épargné durant la plus grande partie de la Première Guerre mondiale, le canton de Braine est dévasté par les combats qui marquent la contre-offensive alliée et la retraite allemande à la fin de l'été 1918. La reconstruction s'opère de façon relativement rapide et efficace, notamment grâce aux coopératives de reconstruction (diocésaine, communales) qui jouent un rôle pionnier dans l'Aisne.
La Thiérache, longuement occupée, n'a pas été l'objet de bombardements systématiques comme ceux qui ont frappé le Saint-Quentinois, le Soissonais ou le Chaunois. Les destructions n'atteignent pas l'ampleur du cataclysme que connaissent d'autres secteurs du département mais le patrimoine de la Reconstruction y est aussi bien présent notamment dans les cantons de Wassigny (Oisy, Vaux-Andigny, Molin, Saint-Martin-Rivière), du Nouvion-en-Thiérache (Fesmy-le-Sart et Le Nouvion), de La Capelle et Hirson.
Périodisation
Le cadre chronologique est en partie fixé par les réglementations successives ; en 1916, est établi le "Comité interministériel pour la reconstitution des régions envahies – futur promoteur, avec les sociétés d’architectes, du concours de modèles – et, en août 1917, l’Office de reconstitution agricole (ORA) des régions envahies [...]. Ces deux créations engagent de manière institutionnelle et beaucoup plus résolue les services de l’État dans la voie d’une intervention plus directe dans l’organisation de la reconstitution".
Trois textes de lois encadrent l’organisation administrative de la reconstruction à venir :
- La loi Cornudet du 14 mars 1919, qui, au-delà de l’exigence des Plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension bien connus, impose à toutes les communes sinistrées, et ce quelle que soit leur taille, de se doter d’un nouveau plan d’alignement mais aussi d’une « étude sommaire d’aménagement », premier véritable plan d’urbanisme à l’échelle de ces communes rurales sinistrées. L’établissement de ces plans est souvent confié aux architectes désignés par les coopératives civiles de reconstruction.
- La loi du 17 avril 1919, dite "Charte des sinistrés", qui établit et détermine les procédures d’indemnisation au titre des dommages de guerre, assortie de nombreux textes réglementaires destinés à préciser les termes de la loi, ou à servir d’appui aux expertises menées par les architectes des sinistrés. Le ministère des Régions libérées publie des séries de prix et des modèles types de constructions agricoles destinés à harmoniser et simplifier la rédaction des dossiers et l’évaluation des dommages.
- La loi du 15 août 1920, réglementant les coopératives de reconstruction, reconnaît officiellement l’existence et le rôle de ces associations de sinistrés qui assureront la maîtrise d’ouvrage de la plus grande partie des travaux de reconstruction, notamment dans le domaine agricole5. En 1922, il existe déjà 839 coopératives de reconstruction en Picardie regroupant 1034 communes, elles seront 1155 en 1926. On en compte, par exemple, 27 actives dans le canton de Braine, de 1919 à 1930.
Pour des raisons d´efficacité, la reconstruction s´effectua au gré des priorités successives. Jusqu´en 1920, les travaux concernèrent uniquement la remise à plat des sols et des propriétés agricoles, la reconstitution des réseaux et infrastructures économiques. Sur le Chemin des Dames, les chemins de fer d´intérêt local, les voies d´eau, les routes, les bâtiments publics, les maisons d´habitation, les bâtiments agricoles d´exploitation firent l´objet de rénovation entre 1920 et 1924. Le 18 juin 1924, après plus de cinq ans de travaux, le Service des Ponts et Chaussées ouvre le Chemin des Dames à la circulation automobile.
Dans le canton de Braine, notamment, on observe que généralement, dans un premier temps, les bâtiments d'exploitation des fermes sont relevés par les propriétaires eux-mêmes. Par la suite, les dommages de guerre permettent de construire un logis moderne. Les églises sont bien souvent les derniers édifices a être reconstruits.
Dès 1926, la restauration des régions dévastées connut un net ralentissement dû à de nombreux problèmes de financement (inflation, augmentation des charges, concurrence des sociétés modernes et difficultés de paiement des maîtres d´ouvrage publics). Entre les deux guerres, 100 000 logements furent construits. 25 000 édifices supplémentaires auraient été nécessaires pour compenser les effets de la vétusté.
La périodisation proposée s'appuie en partie sur le corpus documenté, qui porte essentiellement sur les équipements publics et dans une moindre mesure sur les propriétés privées.
On y distingue deux périodes : les années 1920-1926 où les premières reconstructions sont généralement réalisées sur les plans d'entrepreneurs ou d'architectes locaux, puis la fin des années 1920 et les années 1930, où les architectes parisiens et d'autres régions s’imposent et installent des bureaux en Picardie ou dans leur zone d'intervention.
Les formes du bâti
"La Picardie a été l’une des régions les plus meurtries par la Première Guerre mondiale. La reconstruction des villes, villages et bâtiments civils et religieux dévastés a offert aux architectes, artistes et artisans un vaste champ d’intervention durant l’entre-deux-guerres".6
Les constructions provisoires, logements mais aussi écoles et églises, sont connues par les cartes postales et les photographies anciennes ou encore par les autorisations de construction délivrées aux sinistrés. En 1919, à Amiens, l'exposition Le Foyer retrouvé présente des modèles d'abris collectifs ou de baraques à ossature bois et les modèles Nissen, qui seront largement utilisés en Picardie. En 1922, 78.9 % de la population sinistrée de l´Aisne et 91% de celle de la Somme vivent encore dans ces constructions provisoires et on comptait 245 édifices religieux temporaires en Picardie à cette date. En 1924, le comité des Régions dévastées estime à 180 000 le nombre de logements encore à construite. Dans la Somme, comme dans le canton de Braine, des baraques de bois destinées aux équipements publics subsistent jusqu'à la fin des années 1930.
L’architecture de la première Reconstruction se caractérise par des typologies variées (édifices publics, habitat, usines, etc.), par l’emploi de matériaux (la brique et le béton), qui modifient la couleur des paysages, en particulier dans la Somme et le Saint-Quentinois, mais également par de nouvelles règles d’urbanisme, qui modifient la morphologie des agglomérations.
Dans le Soissonnais, les bâtiments endommagés sont le plus souvent relevés en moellons de calcaire, alors que les éléments complètement détruits sont remplacés par des constructions nouvelles en brique ou en béton, recouvertes de tuiles mécaniques ou d'ardoise.
La question des matériaux, comme celle du style, doit être replacée dans les débats qui occupent architectes et urbanistes, dès 1915.
La question du "reconstituer" ou "reconstruire", du "restituer" ou "inventer", est aussi l'occasion pour les architectes d'exprimer de nouvelles revendications sur la place qu'ils entendent occuper dans ce vaste chantier. Plusieurs publications traitent de ces questions et c’est surtout sous cet angle qu’a été étudiée cette production architecturale. L'urbanisme et ses théoriciens ont également été étudiés, généralement à partir de leurs publications.
L'architecture religieuse
Selon J.-Ch. Cappronnier (2009), 10 à 15% seulement des 800 églises détruites ont fait l’objet d’un traitement architectural ambitieux lors de leur reconstruction. On considère généralement qu'à l’exception de ceux protégés au titre des Monuments historiques, peu d’édifices furent reconstruits à l’identique. Il semblerait que cette affirmation doive être nuancée, comme le montre notamment le cas de l'église de Poeuilly (Somme).
J.-Ch. Cappronnier souligne également la permanence des formes et des matériaux traditionnels, qui "tend à restituer l’image, consciente ou inconsciente, de l’édifice disparu". "Références néoromane ou néogothique éprouvées et conjuguées en de multiples variations, avec une préférence affichée pour le modèle roman ; usage dominant de la brique de four - matériau le plus économique et dont le coût est encore amoindri par la profusion des briqueteries - dans la Somme et dans le nord de l’Oise et de l’Aisne, de la pierre de taille [...] dans le sud de l’Oise et le Soissonnais, des moellons de meulière enduits au plâtre gros dans la vallée de la Marne".
Ce patrimoine de la Reconstruction est mis en évidence par un corpus significatif issu des opérations d'inventaire (près d'une centaine d'églises et de chapelles) mais aussi par les protections au titre des Monuments historiques encore peu nombreuses (moins de 0,01% du patrimoine XXe), dont il a fait l'objet depuis 1994.7
La plupart des églises du canton de Braine sont très endommagées, voire détruites durant la Première Guerre mondiale. De nombreuses églises sont classées Monuments historiques dans l'immédiat après-guerre afin de bénéficier d'une restauration à l'identique. La Coopérative diocésaine de reconstruction des églises, dont l'architecte est Robert Chaleil, assure la renaissance de nombreuses églises paroissiales, y compris des édifices classés dont les architectes des Monuments historiques restent maîtres d'oeuvre, tel Lucien Sallez qui intervient sur de nombreux chantiers de restauration d'églises du canton.
Émile Brunet, architecte en chef des Monuments historiques pour l'Aisne, est pionnier dans l'emploi du béton armé pour la restitution des charpentes, les chaînages et les injections dans les maçonneries anciennes.
Cependant, certaines églises sont réédifiées dans une forme moderne plus ou moins élaborée, en écho au renouveau de l'art liturgique qui s'épanouit durant l'entre-deux-guerres. La Coopérative diocésaine de reconstruction de Soissons, dont les statuts sont approuvés le 20 juillet 1922, assure la renaissance de nombreuses églises paroissiales. Les trois chantiers les plus ambitieux du canton (Ciry-Salsogne, Limé, Mont-Notre-Dame) sont menés par des agences d'architectes très actives dans le domaine de la reconstruction d'églises.
Les églises de la Reconstruction sont élevées, dans la plupart des cas, avec la pierre calcaire traditionnelle du Soissonnais associée au béton en structure. Elles adoptent en revanche les formes d'élévation complexes et le plan centré qui sont caractéristiques de la période. Conforme aux nouvelles dispositions liturgiques, l'espace intérieur est largement dégagé. Les architectes tempèrent l'usage du béton par la persistance de la pierre de taille traditionnelle, mais le magnifient par la qualité et la diversité des techniques décoratives mises en oeuvre. Selon les moyens dont ils disposent, ils font appel à de nombreux artistes (sculpteurs, peintres et cartonniers, mosaïstes, maîtres verriers, ferronniers) en accord avec la sensibilité artistique et religieuse de l'époque.
Les équipements publics
Le corpus identifié comprend une cinquantaine de mairies et écoles (13 dans le canton de Noyon, 14 dans la Somme et 22 dans l'Aisne), quelques mairies et hôtels de ville (Chemin des Dames), un hôpital et deux collèges (Péronne), salle des fêtes et poste (canton de Noyon), quelques gares (Guise, Boué, Doingt, Laon). Ce patrimoine n'a généralement pas bénéficié d'une protection au titre des Monuments historiques, à l'exception des gares de Senlis et de Saint-Quentin (Gustave Umbdenstock), inscrites en 2001 et 2003, et de l'hôtel de ville de Montdidier, inscrit en 2003.
Sur le Chemin des Dames, la Reconstruction permet aux communes de se doter d´édifices spécifiques. La baisse démographique touchant la plupart des villages justifie la réunion des deux fonctions, école et mairie, sous le même toit et la création d´écoles mixtes. La loi du 17 avril 1919 définit les modalités de reconstruction des bâtiments communaux en insistant sur le remploi à l´identique (même caractère, même destination, même importance, mêmes garanties de durée). Son application engendre parfois des aberrations, comme c´est le cas à Craonne où la mairie, reconstruite selon les proportions d´avant-guerre, ne correspond plus à la modestie de l´actuel village. La personnalité des membres du Conseil municipal et celle de l´architecte responsable du projet conditionnent le choix du style : la commune peut exiger un édifice prestigieux (comme c´est le cas à Bouconville-Vauclair), classique (Chavignon) ou résolument moderne (Berry-au-Bac, Vendresse-Beaulne). La reconstruction des bâtiments communaux a donc fait l´objet d´un cheminement long mais réfléchi et pensé, donnant l´occasion aux architectes de rendre les nouveaux édifices mieux adaptés à leur destination.
Les destructions de la Première Guerre mondiale dans bien des communes du canton de Braine ont amené la construction de mairies-écoles aux formes modernes et harmonieuses qui traduisent l'influence des courants architecturaux contemporains. A la fin du 19e et au début du 20e siècle, certaines mairies-écoles, comme celle de Ciry-Salsogne, présentent déjà la forme qui prévaudra dans les constructions de l'entre-deux-guerres avec un corps de bâtiment central abritant la mairie au rez-de-chaussée et le logement de l'instituteur à l'étage, flanqué des deux ailes basses abritant les salles de classe éclairées de larges baies. De fait les architectes de la Reconstruction seront dans l'ensemble fidèles à ce modèle symétrique (Bazoches-sur-Vesle, Longueval, Saint-Mard, Vieil-Arcy) même si l'on trouve des partis plus originaux séparant clairement les deux fonctions en deux entités distinctes (Augy, Chassemy, Cys-la-Commune, Limé).
L'architecture domestique
Pour J.-Ch. Cappronnier (2009), "l’organisation en 1916 de l’exposition de la « Cité reconstituée », la création en 1917 de l’Office de reconstitution agricole (ORA) des régions envahies, et, enfin, le lancement la même année du concours de modèles types, faisant suite à l’exposition d’architecture régionale, vont être trois facteurs préalables et déterminants pour engager une véritable pensée sur l’architecture agricole".
Ce corpus est représenté de manière inégale dans les opérations d'inventaire ; s'il est très présent dans l'étude sur le Chemin des Dames (213 maisons et 49 fermes, 4 presbytères), il est généralement très faible pour l'est de la Somme (10 demeures et 7 fermes) et le canton de Noyon (12 maison et fermes, 2 presbytères). Le nombre de châteaux est également assez faible (8 sur le Chemin des Dames, 2 dans le canton de Noyon).
On constate cependant que dans le canton de Braine, comme sur le Chemin des Dames, les maisons modestes sont généralement reconstruites sur un modèle standardisé à trois travées avec des matériaux traditionnels, certaines plus vastes, sur le modèle pittoresque de la "villa" avec une utilisation de nouveaux matériaux.
Bien peu de ces demeures ont fait l'objet d'une protection au titre des Monuments historiques et elles sont toutes localisées dans l'Aisne : le château de Caulaincourt, inscrit en 1992 puis classé en 1998, et celui de Villeneuve-Saint-Germain (ISMH 2006), les deux grandes fermes de Margival (ISMH 2002, cl. MH 2013) et d'Essigny-le-Grand (ISMH 2004). Au contraire, le château de la Bôve (Bouconville-Vauclair), reconstruit suivant un parti original, qui s'inspire du château de Champs-sur-Marne, n'est pas protégé.
Villes et villages
La reconstruction des villes et des villages est principalement documentée par les publications de 1915, Comment reconstruire nos cités détruites. Notions d’urbanisme s’appliquant aux villes, bourgs et villages, par Alfred-Donat Agache, Marcel Auburtin et Edouard Redont, et de 1917, Nos agglomérations rurales. Comment les aménager. Etude monographique comparée d’un concours de plans de bourgs et villages, par Agache ou encore La cité de demain dans les régions dévastées, par Jean-Marcel Auburtin et Henri Blanchard.
Publié avant la fin de la Première Guerre, dans un contexte très axé sur les questions de reconstruction, l'ouvrage d'Auburtin et Blanchard traite du fondement, de projets et de réalisations entrant dans le cadre du concours de plans d'aménagement de villages. Il postule la nécessité d'études d'ensemble pour la remise en état de villages abîmés ou détruits et distingue les agglomérations urbaines et rurales. Il comprend des projets proposés pour un grand village de l'Aisne (la commune de Vailly), un bourg de la banlieue de Lille (Templeuve), un village moyen sur les Hauts de Meuse (Sommedieue). Les questions abordées dans ces projets concernent la circulation, les places, les carrefours, les établissements et services publics, la conservation du caractère rural. La troisième partie analyse des exemples d'aménagements de bourgs et villages. Outre les préconisations en faveur d’une conception hygiéniste et de la place des architectes et urbanistes, cet ouvrage propose une typologie des agglomérations et une grille de lecture, qui sera testée dans le cadre des enquêtes complémentaires.
Les enquêtes menées dans le canton de Braine et sur le Chemin des Dames montrent que les projets de reconstitution des villages se limitent généralement à l'élargissement des rues et des carrefours ou à l'aménagement d'une place publique près de l'église ou de la mairie. On y observe également que la totalité de l'habitat détruit ne sera pas relevé sur place. Ces constats seront également vérifiés sur l'ensemble de la zone d'enquête.
Raisons scientifiques du choix de l’aire d’étude
Le choix de l’aire d’étude résulte de la nécessité de produire aujourd’hui des synthèses régionales sur les thèmes caractéristiques du territoire.
Le périmètre de la région offre l’opportunité de réaliser une synthèse à cette échelle, à partir d’opérations thématiques menées sur des secteurs emblématiques. L'une est principalement orientée sur les questions architecturales et les architectes (est de la Somme), l'autre propose une approche plus spatialisée (Chemin des Dames). La synthèse s'appuiera aussi sur des enquêtes topographiques sur des cantons de l’Oise (Noyon) et de l'Aisne (Braine), fortement touchés par les ravages de la première guerre mondiale. Cette synthèse permettra aussi de recontextualiser des édifices étudiés dans des cadres d'opération topographique, notamment en Thiérache ou dans le Laonnois. Des compléments seront apportés pour élargir le corpus et le périmètre de l'étude menée sur l'est de la Somme, qui ne comprenait pas l'arrondissement de Montdidier, ni l'est Amiénois et notamment la région d'Albert.
Le service de l'Inventaire du patrimoine culturel de la Région est engagé depuis 2009 dans des problématiques de recherche sur le périurbain, qu’il a également choisi d’aborder sous l’angle de la villégiature. Ces opérations offrent également l’opportunité de travailler sur la manière dont les usages construisent l'espace dans lequel vivent aujourd'hui les habitants de la région, et les nouveaux paysages.
B - Les enjeux scientifiques
Intérêt scientifique de l'opération
Le principal intérêt scientifique de l’opération est de renouveler l’approche sur ce patrimoine, la question architecturale de la Reconstruction, tant du point de vue des auteurs, que des styles, étant déjà bien connue et documentée. Cependant, dans la Haute-Somme, les œuvres mises en évidence ne s’appuient pas sur un corpus exhaustif documenté, qui permette de mieux contextualiser ces productions. Ont ainsi été ignorées des réalisations dont l’auteur est inconnu. Il s’agit donc ici d’aborder la question de la Reconstruction par une approche spatiale, en s’intéressant aux nouveaux paysages urbains et ruraux qu’elle produit. Le périmètre retenu permet de montrer comment elle s’est traduite, en fonction des périodes et des mobiles.
Enfin, dans la cadre des recherche sur le périurbain, cette opération doit également permettre de modéliser l’impact de la Reconstruction sur l’espace et de documenter, tant les processus que les résultats, c'est-à-dire les oeuvres elles-mêmes.
Les problématiques scientifiques
- Industrie et Reconstruction8.
- La reconstruction des villes et des villages : il s’agira notamment de vérifier l’application des préconisations dans les villages reconstruits et d'en mesurer l'impact en matière de paysage bâti.
- Les édifices et les équipements publics : il s'agira notamment de construire un corpus plus représentatif de la diversité de ces équipements et d'en affiner la chronologie.
- La modélisation des mobiles : Il s'agira de construire un outil d'analyse et de restitution du "pourquoi et comment on reconstruit".
Chercheur du service de l'Inventaire général du patrimoine culturel de Picardie, puis des Hauts-de-France, depuis 2002.