Dossier IA00076422 | Réalisé par
Dufournier Benoît
Dufournier Benoît

Chercheur au service régional de l'Inventaire de 1985 à 1992, en charge du recensement du patrimoine industriel.

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Fournier Bertrand (Rédacteur)
Fournier Bertrand

Chercheur de l'Inventaire du patrimoine - Région Hauts-de-France

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Ancien tissage de toiles et de velours, dit manufacture de velours Cosserat
Copyright
  • (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Grand Amiénois - Amiens
  • Hydrographies bras de la); Somme Selle
  • Commune Amiens
  • Adresse 200 rue Maberly
  • Cadastre 1985 IY 34 à 38, 45
  • Dénominations
    tissage
  • Précision dénomination
    tissage de velours, tissage de toile
  • Appellations
    manufacture de velours Cosserat
  • Parties constituantes non étudiées
    stationnement, conciergerie, bureau, édifice commercial, cour, monument aux morts, jardin, logement patronal, entrepôt industriel, magasin industriel, atelier de réparation, chaufferie, cheminée d'usine, aire de stockage du combustible

Des moulins à huile aux premières filatures hydrauliques (1668-1857)

La vocation industrielle du site de Montières, traversée par la rivière de Selle et possédée par l'évêque d'Amiens, est attestée à partir de la seconde moitié du 17e siècle. En 1668, une parcelle de terrain prise au parc du château de Montières est en effet louée par l'évêché à Antoine Boistel, marchand mercier, qui est autorisé à construire deux moulins hydrauliques à huile. Un siècle plus tard, le site, qui a bénéficié du percement d'un nouveau lit de rivière, qui est occupé par un troisième moulin, est exploité par Jacques Jourdin et Pierre Lefebvre. Il est vendu à Jean-Baptiste Morgan, écuyer et négociant textile, connu pour avoir fondé en 1764 la première manufacture royale de velours. L'acte de vente du 18 novembre 1765 souligne l'existence de "trois moulins, dont deux à usage de bois rouge [pour la teinture] nouvellement construits et l'autre à teint, aussi nouvellement construit à la suite des deux premiers et sous une même coulerie." Mais en 1789, la propriété des Moulins Boistel, comme on l'appelle, est acquise par Auguste Deforges avant de passer au début du 19e siècle à Jacques Daire, puis à d'Hervillers [Dervillers] pour une partie, et à André Vincent Boistel d'Escauvillers pour l'autre partie. Ce dernier envisage, en 1803, d'utiliser la force hydraulique de la rivière pour y établir une filature de coton. L'établissement, dirigé par Philippe Irenée Boistel, son fils, est attesté en 1806. Elle constitue alors l'une des premières filatures de coton existant à Amiens au début du 19e siècle. Les autres moulins implantés de ce côté de la rivière, et qui avaient visiblement perdu leur usage, étaient vendu en 1816 à François Auguste Madry, marchand farinier. Sur la rive opposée, les moulins à tan, dits moulins à bois rouge, qui appartenaient à Dervillers sont vendus en 1827 à Dupont-Bacqueville (acte passé devant Me Vion, le 26 novembre 1827) qui y installe un peignage et une filature de laine. A partir de 1830, la vocation textile de l'usine de Montières s'affirme.

L'ère industrielle d'Eugène Cosserat (1832-1885)

Durant cette période, Eugène Cosserat, qui avait succédé à son père, Pierre Cosserat, à la tête de l'entreprise de négoce textile fondée en 1794 à Amiens (7, rue Saint-Martin-aux-Waides), décide de donner une tournure plus industrielle à cette entreprise. Il s'associe avec Ponche-Bellet pour fonder un premier tissage en 1832, dans le centre d'Amiens, près du quartier Saint-Leu (impasse des Passementiers), et il s'associe à Gabriel Marest (1782-1863) et Guénaud, en 1838, pour racheter une petite filature de lin à l'anglaise, située à Saleux.

Il ne s'intéresse au site de Montières qu'en 1857. Il rachète d'abord l'usine de la rive droite de la Selle qui appartient à l'époque à la veuve de François Auguste Madry, et y installe un tissage de toile de lin, complémentaire à sa filature de Saleux. Au moment du rachat en 1857, cette partie du site industriel comprend plusieurs moulins à blé et à moudre le bois, encore munis de leur jeux de meules et pilons, une scierie mécanique avec "cinq vielles roues sur la coulerie", une maison de trois étages dotée d'un atelier élevé sur cave ainsi que plusieurs bâtiments formant remise, écurie, étables et magasins.

Un plan de mars 1859 indique l'existence d'un nouvel atelier, construit en 1857, complété d'un second, daté de 1858. Malheureusement, en mars 1861, le nouveau tissage est visiblement touché par un incendie. L'ampleur des dégâts n'est cependant pas connu. En 1872, après cinq ans d'inactivité, la filature Dupont-Bacqueville est mise en vente et acquise par Samuel Overend. Eugène Cosserat décède le 31 mai 1887 en ayant déjà laissé la direction de l'entreprise à son fils, Oscar.

Oscar Cosserat, bâtisseur de l'usine du Pré l'Evêque (1885-1910)

En février 1885, Oscar Cosserat achète l'ancien peignage de laine de Samuel Overend, auparavant possédés pas Dupont-Bacqueville, et qui avait été partiellement incendié en 1883. L'industriel possède alors l'ensemble du site et va s'attacher à le réorganiser, à reconstruire les ateliers pour former un des plus importants sites industriels textile de la ville. Sur le nouveau terrain acquis de l'autre coté de la coulerie, Oscar Cosserat installe d'abord une blanchisserie et entreprend la construction d'un nouvel atelier de tissage de velours cannelé (côtelé), plus vaste que le précédent (cf. Annexe 2). Les travaux, commencés en février 1886 sont achevés six mois après. En août 1886, les premiers métiers sont mis en action. L'ensemble, avec la blanchisserie de toiles est complètement opérationnelle en avril 1887. En 1889, face à l'entrée du tissage de toile, une dizaine de maisons ouvrières intégrées au site et jugées trop vétustes, ainsi que la maison du sous-directeur, sont démontées pour laisser place à un magasin à fil. Parallèlement, Oscar Cosserat dote le site de plusieurs équipements sociaux. Le magasin coopératif, qui permettait aux ouvriers d'acheter des vêtements, du pain et du charbon, et qui avait d'abord été installé dans l'ancien logement de concierge, est transféré dans un nouveau bâtiment, construit en avril 1890. La nouvelle coopérative est inaugurée le 15 juillet 1890 à l'occasion de la fêtes des Tisseurs. Par la suite, le bâtiment est converti en show room de l'entreprise. L'industriel fait également construire une cantine, inaugurée le 4 novembre 1891, à l'entrée de l'usine afin "d’empêcher les ouvriers d'aller manger dans les cabarets, où ils sont obligés de consommer et trouver bien souvent des occasions de dépenses". Mais Oscar Cosserat décide surtout d'investir dans l'outil de production et d'accroitre le nombre de métiers à tisser le velours, et surtout de développer la production de velours lisses. En 1891, le tissage de velours qui venait à peine d'être construit, est pratiquement doublé pour accueillir 200 métiers à tisser supplémentaires. L'atelier constitue la fameuse "salle des 500 métiers", qui fait l'admiration de Jules Verne en personne. Elle est complétée par un atelier de coupe mécanique et une nouvelle salle des machines, monumentale. Les nouveaux ateliers accueillent deux imposantes statues de Notre-Dame du Travail qui sont bénies en même temps que l'usine, le 25 octobre 1891. Bien qu'éloignée de l'entrée, la salle des machine, flanquée des nouvelles salles de coupe, constitue la partie architecturale la plus soignée et la plus ornée du site. Elle porte au fronton l'inscription "Manufacture de velours" ainsi que les initiales TC pour Tissages Cosserat. Cette partie aurait été construite par l'architecte Paul Pérouse de Monclos (1865-1934), cousin de Didier de Montclos, directeur de l'usine Cosserat à la même période, et encore élève de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. La salle des machines de 1892 serait donc la première réalisation de cet architecte, membre de la Société des Architectes Diplômés par le Gouvernement en 1893.

En janvier 1899, après avoir fait l'acquisition du matériel de teinture provenant de l'usine Requebeuf, Oscar Cosserat entreprend la construction d'un nouvel atelier de blanchisserie.

L'entreprise Cosserat au 20e siècle

Au début du 20e siècle, l’œuvre d'Oscar Cosserat se poursuit par la modernisation du premier tissage de toiles qui rassemble désormais tous les métiers de velours lisses, auparavant. Les ateliers sont alors agrandis et surélevés en 1902 et 1903 (date portée). Au décès d'Oscar Cosserat le 24 août 1910, la direction de l'entreprise est assurée par ses deux fils, Maurice (1861-1940) et Pierre (1864-1945). A l'issue de la Seconde Guerre mondiale, la direction de l'entreprise est assurée par André Cosserat (1893-1972) et son cousin germain, jacques (1900-1965). Malgré des difficultés économiques, ils parviennent à maintenir l'activité, jusqu'à ce que Guy Cosserat (1926), malgré d'importants investissements et une adaptation des produits au marché, ne soit contraint de vendre l'entreprise familiale en 1985 à un industriel marseillais, Gérard Bittan. L'établissement est déclaré en redressement judiciaire en 2004. Il est vendu à une entreprise allemande Cord & Velveton qui transfère peu à peu les activités du site amiénois vers l'Allemagne. L'usine ferme définitivement en 2012.

Équipement industriel et machines

En 1857, Eugène Cosserat équipe son tissage de 300 métiers automatiques Platt Brothers et Cie à Oldham (G.-B.) et Lacroix de Mulhouse. Ces machines et métiers fonctionnent alors en partie grâce à l'énergie hydraulique d'une roue par-dessous nouvellement construite, et d'une machine à vapeur du constructeur lillois Legavrian (Lille-Moulins), déclarée quelques années plus tard. En 1873, sans doute à la suite du rachat de la filature Dupont-Bacqueville, Eugène Cosserat fait installer une nouvelle machine à vapeur plus puissante pour son tissage de toile par le constructeur amiénois Velliet. Il déclare également construire une nouvelle roue hydraulique, de type Sagebien dont la mise en place est autorisée le 30 juin 1874. Cette roue, cassée en 1879, est reconstruite dans des dimensions plus importantes en janvier 1880. Cette roue Sagebien est toujours en place. De l'autre côté de la coulerie, l'ancienne usine Dupont-Bacqueville rachetée par Cosserat en 1885 fonctionnait avec une machine à vapeur Corliss de 180 chevaux, qui est incluse dans la vente de l'époque. Oscar Cosserat fait cependant installer un nouvel équipement plus adapté au développement de son activité. Il achète ainsi une nouvelle chaudière à vapeur Babcock & Wilcox, réalisée par Fontaine, constructeur à Lille, et fait installer un nouveau matériel de blanchisserie pour 38500 francs. Il achète également quarante métiers à velours "du meilleur système" pour les monter dans l'ancien tissage et les tester avant de s'engager sur des investissements plus conséquents. Le nouveau tissage de velours qu'il construit en 1886 abrite un ensemble de 300 métiers à tisser. Les ateliers bénéficient d'un éclairage électrique à arc Henrion. En 1890, le lancement de la fabrication de velours lisse occasionne de nouveaux investissements matériels. Les essais sont d'abord effectués avec quatre métiers à tisser provenant du tissage Requebeuf et poussent Pierre Cosserat (1864-1945) à acheter les brevets anglais pour la coupe mécanique de velours lisse. En 1891, la salle des machines nouvellement construite accueille une machine de 1000 chevaux de puissance, fournie par Dujardin à Lille, et considérée comme l'une des plus imposantes machine à vapeur d'Europe. Elle est mise en service le 6 avril 1892. En 1899, cette machine à vapeur est complétée d'une dynamo de 600 chevaux. En 1906, Oscar Cosserat achète 62 métiers à tisser le velours lisse lors de la cessation d'activité du tissage Boulant, au Hamel et investit dans l'équipement de deux nouvelles chaudières en juillet 1909.

Approche sociale et évolution des effectifs

En 1871, l'usine emploie 351 ouvriers, dont 51 ont moins de 16 ans. En 1890, le tissage de velours et de toile emploie environ 700 ouvriers. En 1893, après la construction des nouveaux ateliers, l'effectif atteint 1100 ouvriers. La même année, une importante grève éclate le 7 avril 1893 et conduit Oscar Cosserat femer l'usine durant près de deux mois, et à licencier 200 ouvriers. Les mouvements sociaux de 1904 sont contrecarrés par la mise en place d'un "lock out" de l'usine. En 1939, au moment de la déclaration de guerre, l'usine n'emploie plus que 564 salariés. En 1986, l'entreprise Cosserat, qui est fortement frappée par la crise, ne possède plus qu'un effectif que de 151 salariés. Cet effectif est maintenu jusqu'au redressement judiciaire de 2004. En 2008, la production amiénoise en forte baisse conduit à une réduction massive des effectifs qui ne compte plus que 63 salariés en 2008.

  • Période(s)
    • Principale : 3e quart 19e siècle, 4e quart 19e siècle, 1er quart 20e siècle, 2e quart 20e siècle, 3e quart 20e siècle, 4e quart 20e siècle
  • Dates
    • 1885, porte la date
    • 1886, porte la date
    • 1889, porte la date
    • 1890, daté par source
    • 1891, porte la date
    • 1898, daté par source
    • 1899, daté par source
    • 1902, daté par source
    • 1903, daté par source
    • 1908, daté par source
    • 1910, daté par source
    • 1911, daté par source
    • 1919, daté par source
    • 1920, daté par source
    • 1926, daté par source
    • 1930, daté par source
    • 1949, daté par source
    • 1958, daté par tradition orale
  • Auteur(s)
    • Auteur :
      Pérouse de Monclos Paul
      Pérouse de Monclos Paul

      Architecte né à Rousillon (Isère), le 25 juin 1865 et mort à Voiron (Isère), le 11 août 1934.

      Elève d'Honoré Daumet, il est admis à l'école des Beaux-Arts de Paris en 1884. En 1892, alors qu'il est encore élève de première classe, il édifie "le bâtiment de la salle des moteurs et douze bâtiments chevaux" pour les filatures de lin Cosserat à Amiens. (A.N. : AJ 52.378). En 1893, il est diplômé de l'école des Beaux-Arts de Paris, après avoir présenté un projet de maison bourgeoise à la campagne (construite à la Côte-Saint-André pour son père Henri de Montclos. En janvier 1893, il devient membre de la Société des architectes diplômés par le Gouvernement. Il possède un cabinet à Paris (110 Bd Saint-Germain, Paris 6e) et un autre à Lyon (18 rue Franklin).

      Source A.N. AJ 52 378.

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      architecte attribution par source

Le site industriel est situé à la périphérie ouest de la ville d'Amiens, au faubourg de Hem. Il couvre une superficie de 131000 m², dont 25850 m² couverts. L'ensemble est traversé d'est en ouest par la rivière de Selle qui se jette dans la Somme, dont l'un des bras longe l'usine au nord. L'usine est desservie par un embranchement ferroviaire et par une route en impasse. L'entrée, flanquée de la conciergerie à droite, est bordée d'un bâtiment en brique, construit en rez-de-chaussée sur neuf travées largement ouvertes de baies en plein-cintre et ponctuées de contreforts. Ce bâtiment, qui sert de réfectoire d'usine, est couvert d'un toit en tuile, à longs pans et pignons couverts. Le centre de la couverture est marqué par d'un clocheton en charpente qui accueille une horloge et porte la date de 1891, sculptée sur la face ouest. En face, les bureaux, construits en brique et béton, datent du 3e quart du 20e siècle. L'entrée, qui constituait l'accès principal pour le personnel et les fournisseurs, débouche sur une place aménagée en partie en jardin et plantée d'arbres. Sur son côté sud, se dresse un monument dédiés aux membres du personnel morts pour la France.

La Selle qui traverse le site et alimente une roue Sagebien abritée sous une cage en essentage de planches verticales, sépare les deux grands ensembles d'ateliers. A droite, le tissage de toiles, construit en brique, porte la date de 1903.

A gauche, le tissage de velours.

A l'ouest, à l'arrière de l'atelier de tissage s'élève la salle des machines, monumentale, sur trois niveaux d'élévation. Orientée vers le sud, sa façade est peu visible. Elle constitue néanmoins l'élément architectural le plus soignée et le plus orné de l'usine. La partie centrale est appareillée de briques rouge et de briques silico-calcaire blanche alternées.

A l'arrière de la teinturerie et blanchisserie subsiste une cheminée tronconique en brique, aujourd'hui tronquée.

  • Murs
    • brique
    • pierre
    • essentage de planches
  • Toits
    tuile flamande mécanique, matériau synthétique en couverture, verre en couverture
  • Étages
    2 étages carrés
  • Élévations extérieures
    élévation à travées, élévation ordonnancée
  • Couvertures
    • shed
    • toit à longs pans pignon couvert
    • croupe
  • Escaliers
  • Énergies
    • énergie hydraulique roue hydraulique verticale
    • énergie thermique
    • énergie électrique
  • État de conservation
    établissement industriel désaffecté
  • Techniques
    • sculpture
  • Précision représentations

    Support : table saillante de l' élévation antérieure de la salle des machines ; sujet : console, support : élévation antérieure de la salle des machines.

  • Statut de la propriété
    propriété privée
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler
  • Éléments remarquables
    salle des machines, atelier de fabrication, machine de production

Ce dossier de repérage du patrimoine industriel établi en 1987 a été mis à jour et enrichi en 2014.