Le bâtiment avant la Première Guerre mondiale
La gendarmerie est construite sur un emplacement auparavant occupé par une caserne, appelée Caserne sainte-Anne ou pavillon Sainte-Anne, située à l'angle est des anciens remparts. La construction de cette caserne est antérieure au XVIIe siècle où une première modification du bâti est documentée (DÉGARDIN, 1945) : constituée de trois bâtiments parallèles entre eux et perpendiculaires au rempart tels qu'ils apparaissent sur un plan de Bapaume de 1663, elle est transformée en deux bâtiments, dont l'un en L, bordé d'un côté par le rempart et de l'autre par les rues Gambetta et de l'Amiral-Payen. Au cours du XVIIIe siècle, le bâtiment longé par la rue Gambetta est détruit. Le second est transformé pour partie en appartements pour le directeur de l’École Royale d'Artillerie et son adjoint, et en réfectoire pour les élèves. En 1794, il accueille les ménages de gendarmes dont la caserne est désormais occupée par une école et prend le nom de gendarmerie. Sur le cadastre de 1830, le bâtiment apparait précédé d'une grande cour.
Éléments de contexte et de chronologie du projet
Comme le reste de la ville, la caserne est totalement détruite pendant la Première Guerre mondiale. Elle ne fait pas partie des constructions essentielles à la reprise de l'activité économique et sa reconstruction ne commence donc qu'en 1923 même si les plans et le devis descriptif sont établis dès début avril 1922 (AD Pas-de-Calais, N990).
Le terrain appartient au département, ainsi que cela apparait sur le plan d'agrandissement et d’embellissement établi par l'architecte de la ville en 1920. Ce dernier était le propriétaire de la caserne Sainte-Anne (AD Pas-de-Calais, 4N685). C'est donc lui qui en mars 1922 est attributaire des dommages de guerre dont le montant est établi à 250 000 francs (AD Pas-de-Calais, N990). Il est le maître d’œuvre du projet qui est logiquement confié à l'architecte départemental Paul Decaux, assisté d'Édouard Crevel.
La réception des travaux se fait en plusieurs étapes : décembre 1924 pour la couverture, mars 1926 pour la charpente et les menuiseries, mai 1930 pour la peinture et vitrerie et septembre 1934 pour le lot terrassement - maçonnerie - ferronnerie. Le budget final est de 426 000 francs.
Les matériaux préconisés dans le devis descriptif
L'adjudication des travaux, répartis en quatre lots (terrassement, maçonnerie, ferronnerie ; charpente et menuiserie ; couverture et plomberie ; peinture et vitrerie), est arrêtée le 6 mai 1922 pour un budget prévisionnel établi à 401 000 francs. Le devis descriptif fournit quelques informations sur les matériaux mis en œuvre. Les fondations et les murs extérieurs et les murs porteurs intérieurs sont en "briques neuves". Les cloisons intérieures sont en carreaux de plâtre. Les planchers hauts sont en sapin comme les huisseries intérieures, les escaliers en orme et les huisseries extérieures en chêne. Les linteaux, les dés de voussures et les appuis des baies sont en béton armé tout comme les consoles et les rampants des pignons. Le parement extérieur est "en briques apparentes bien dressé à l'anglaise" et il est décoré en partie basse d'un enduit au ciment de la même couleur que les joints. La charpente est en sapin couverte par des tuiles mécaniques. Les marches extérieures sont en pierre de Soignies (calcaire gris-bleu extrait en Belgique). Le mur de clôture et les piles sont en brique avec un chaperon à deux pentes en béton et un enduit ciment.
Tous les murs intérieurs sont enduits au plâtre puis peints et recouverts de papier de tenture avec frise et bordure assorties pour leurs parties hautes dans les appartements. Le sol du rez-de-chaussée est carrelé avec des carreaux de ciment noirs et blancs, avec des carreaux à dessins pour le bureau du brigadier et le vestibule. Dans les étages, les sols sont parquetés en sapin. Les pièces à vivre sont équipées de cheminées capucines en marbre noir et la cuisine d'une paillasse en brique carrelée.
Les matériaux utilisés pour les dépendances (bûcher-buanderie-salle de bain, porcherie-clapier) et l'écurie sont identiques à ceux mis en œuvre pour la construction du bâtiment principal : murs en brique avec soubassement enduit au ciment, béton armé pour les linteaux et les appuis des baies et les rampants et les consoles des pignons, marches et seuils en pierre de Soignies, charpente en sapin et couverture en tuiles. Dans l'écurie et la porcherie le sol est pavé en brique. Il est en sapin dans la dépendance qui accueille la buanderie-salle de bain. Les murs intérieurs sont enduits en plâtre et peints à l'huile.
Le projet de l’architecte : les plans
Les plans montrent un bâtiment principal en U au centre d'un grand espace. La partie gauche du grand parvis qui précède le bâtiment principal est occupée par une dépendance qui réunit dans un même bâtiment une buanderie, un bûcher et une salle de bain. On accède au parvis par un grand degré adouci interrompant le mur bahut qui longe toute la parcelle le long de la rue de la République. À l'arrière, l'architecte a prévu sur la gauche un bâtiment pour abriter les écuries et la réserve de paille et de fourrage et à droite une petite construction à vocation de porcherie et de clapier.
Le bâtiment principal accueille à la fois des activités de gendarmerie avec, au rez-de-chaussée du corps central, un bureau pour le brigadier, deux cellules de dépôt de sureté. Les logements de fonction pour les gendarmes sont répartis au rez-de-chaussée des ailes en retour et au premier étage. Les cinq appartements sont organisés de façon identique : une entrée, appelée antichambre sur le plan, donne accès à la totalité des pièces qui sont disposées tout autour : une cuisine, trois chambres et un débarras. Tous les appartements sont traversants et disposent d'une cave et d'un grenier. Ce dernier abrite également un local dédié aux archives. À chaque niveau, deux escaliers droits tournants situés entre la partie publique et la partie privée permettent d'accéder à l'étage supérieur. Au rez-de-chaussée, on y accède soit depuis les portes situées sur la façade principale soit depuis la cour.
Le projet de l’architecte : les élévations du bâtiment principal
Le corps central, en rez-de-chaussée surélevé bâti sur cave, compte un rez-de-chaussée, un étage carré et un étage de combles. Il est couvert par une toiture à longs pans percée de lucarnes. Les ailes en retour sont couvertes par une toiture à longs pans qui s'achève par un pignon débordant côté rue et par une croupe côté cour. Tous les longs pans reposent sur une corniche moulurée. La façade principale est organisée symétriquement par rapport à la travée centrale qui accueille la porte monumentale : de chaque côté on compte deux travées puis l'aile en retour également percée de baies. Les travées qui jouxtent la porte centrale en plein cintre ne sont composées que de fenêtres tandis que celles aux extrémités du corps central comptent une porte à linteau droit au premier niveau. Sur les plans, seules les trois travées centrales s'achèvent par une lucarne en pavillon. Cependant, les photographies faites à l'achèvement du chantier montrent que les cinq travées s'achèvent par une lucarne simple. Toutes les baies ont un appui débordant reposant sur deux petits modillons. Celles du premier niveau sont couvertes par un arc en plein cintre interrompu en son centre par une agrafe à volute et celles rectangulaires du second niveau voient leurs angles soulignés par un bloc enduit en ciment. Celles des ailes en retour sont en plus surmontées d'un bandeau droit puis d'un arc de cercle. Enfin les baies du dernier niveau des ailes, alignées sur les lucarnes des combles du corps central, ne sont soulignées que par un demi-cercle reposant sur un bandeau.
Les façades latérales ne sont percées que d'une travée s'achevant par une lucarne. La forme des baies reprend celles de la façade principale. Elles sont aussi décorées d'un bossage continu au-dessus d'un soubassement enduit en béton.
La façade arrière, qui compte neuf travées, est beaucoup plus simple. Ainsi, elle comprend un soubassement enduit en ciment mais pas de bossage et les arc des baies sont en appareil mixte (brique et ciment). Comme pour les autres faces du bâtiment, les baies du premier niveau sont en plein cintre, celles du second rectangulaires surmontées par un bandeau droit puis un arc de cercle et toutes ont un appui débordant reposant sur deux modillons. Les deux petites fenêtres en demi-cercle au premier niveau correspondent aux deux cellules du dépôt de sureté. Disposées symétriquement par rapport aux extrémités de la façade, deux perrons donnent accès à deux groupes de portes géminées réunies sous un auvent qui permettent d'accéder par des couloirs séparés aux espaces publics et aux espaces privés. Elles sont surmontées de baies géminées rectangulaires, décalées par rapport à la ligne horizontale des baies du second niveau et surmontées d'un calepinage de brique pris entre deux bandeaux enduits en ciment.
L'architecte a compté sur l'utilisation de matériaux de couleurs différentes pour animer la façade qui comporte peu de décors. L'enduit en béton utilisé pour le soubassement lisse qui court sur toute la façade, les bossages plats continus qui occupent les trumeaux du premier niveau, les linteaux et les agrafes des baies, les rampants, les consoles et les coins rentrants des pignons ainsi que la frise "Gendarmerie nationale" tranchent sur le rouge des briques. Deux décors plus imposants étaient cependant prévus : deux volutes enveloppées dans une feuille d'acanthe affrontées à chaque extrémité de la frise sous la corniche pour encadrer "Gendarmerie nationale" et un écusson portant les lettres RF entrelacées et encadrées par des feuilles de lauriers en chute réunies par un ruban au-dessus des portes d'entrées latérales de la façade principale. Enfin, l'architecte a pris la peine de dessiner les fers d'ancrage dont la forme chantournée contribue au décor de la façade.
Le projet de l’architecte : les élévations des dépendances
Toutes les dépendances sont en rez-de-chaussée avec un étage de combles. Elles sont couvertes par une toiture à longs pans qui vient buter sur des pignons débordants. Les baies ont des formes adaptées à leur fonction : fenêtre de service au-dessus de l'écurie, porte coulissante pour accéder aux box, grandes portes pour accéder à la salle de bain ou à la buanderie, petites fenêtres rectangulaires pour éclairer la porcherie.
Le projet de l’architecte : le mur-bahut
La parcelle sur laquelle la gendarmerie est construite est totalement close par un mur bahut. Côté rue de la République, il est surmonté d'une grille et scandé aux extrémités et autour du degré par de grands pilastres. Les pilastres font alterner assises de briques nues et assises de briques enduites en ciment. Ils sont couverts par un chaperon conique en ciment. Côté rue Gambetta, le mur bahut qui ferme la cour arrière est percé d'un portail métallique fixé à des pilastres identiques à ceux de la rue de la République mais le mur bahut est ici surmonté par un mur plein en brique.
La réalisation et les modifications ultérieures
La photographie réalisée par le cabinet Decaux à la fin du chantier montre que plusieurs différences entre le projet et la réalisation finale datent de l'époque de la construction : la toiture est en ardoise et les pilastres prévus sur le plan pour scander la grille le long de la rue de la République n'ont pas été construits. Contrairement aux plans qui ne prévoyaient de lucarnes en pavillon que sur les trois travées centrales, ces dernières achèvent chaque travée de la façade principale.
Les vues aériennes IGN montrent que les bâtiments ont été construits conformément au plan d'ensemble de l'architecte et que les dépendances ont été partiellement détruites entre 1983 et 1988. Dans le même intervalle, les écuries et la porcherie-clapier situés sur l'arrière ont été remplacées par un bâtiment rectangulaire parallèle au corps principal qui occupe tout le côté de la cour.
Photographe au service régional de l'Inventaire général du patrimoine culturel.