Dans l’immédiat après-guerre la volonté politique de démocratiser l’accès à l’enseignement secondaire multiplie de manière très rapide le nombre d’élèves. Ce phénomène est amplifié dans la décennie suivante par la nécessité de scolariser les enfants du baby-boom. Les années 1950 marquent une nouvelle phase de croissance de la construction scolaire. Dans une volonté de rationaliser la construction et de diminuer les coûts "notamment en recherchant une normalisation du plus grand nombre d'éléments constitutifs d'une construction scolaire pour rendre celle-ci moins onéreuse" (Locaux scolaires, normes de construction. Paris, Ministère de l'Éducation Nationale, Circulaire ministérielle du 1er septembre 1952), l’État prend en charge l’édification des collèges et lycées et édicte des normes constructives. La circulaire de 1952 précise aussi "que tout accroissement de dépenses qui résulterait de dimensions différentes de celles optimales ainsi arrêtées, pourra rester à la charge des collectivités locales".
La première décision est de faire appel à une architecture industrialisée. Une ossature de béton ou de métal, préfabriquée ou réalisée sur le chantier, est associée à des éléments de remplissage en béton, bois ou brique. On vient y fixer les planchers, les panneaux de façade qui contiennent déjà les fenêtres dans leur dormant, les panneaux intérieurs avec leurs portes… Afin de pouvoir préfabriquer ces éléments pour qu’ils s’ajustent parfaitement et permettre à des entreprises variées de travailler ensemble aux mêmes chantiers, la définition d'une norme commune est indispensable. Après plusieurs essais, on choisit, avec ses multiples, le "plus grand diviseur commun entre toutes les dimensions d’un bâtiment". Cette norme, appelée trame, constitue un carroyage sur lequel viennent se fixer tous les éléments de la construction. D’abord fixée à 1,75 m par une circulaire de 1952, aussi bien pour les élévations que pour les plans, la trame est augmentée à 1,80 m sur l’insistance des entreprises de Bâtiment et Travaux Publics (BTP) afin de correspondre aux dimensions des matériaux de construction de second œuvre comme les carrelages ou les carrés de moquette, et éviter ainsi de trop nombreuses chutes au moment de la pose.
Cette circulaire fixe également la surface par élève à 1,50 m2 dans une salle et à 5 m2 dans les cours de récréation. Elle donne des indications de programme architectural en fixant le nombre des salles proportionnellement au nombre d’élèves de l’établissement, selon la norme de trente élèves par classe. Toutes les salles sont identiques hormis celles de sciences, de dessin, de musique et d’histoire-géographie qui demandent du matériel spécifique, en particulier un espace de stockage des cartes de géographie. Les salles de classe, d’une surface variant de 35 m2 pour les salles de langues à 46 m2 pour les salles d'enseignements généralistes, sont réparties le long d’un couloir, qui de latéral, devient bientôt central pour des raisons d’économie. Les salles de permanences font 90 m2. La largeur des salles reste toujours identique, l'augmentation de la surface étant due à la seule augmentation de la longueur : pour une largeur invariante de quatre trames, une salle de vingt élèves est longue de trois trames, une de trente élèves de quatre trames, une de quarante élèves de cinq trames et une de cinquante élèves de six trames. Le bâtiment de quatre étages s’allonge proportionnellement au nombre d’élèves. Les escaliers sont rejetés aux extrémités des bâtiments et un escalier central est ajouté dans les grands établissements. En fonction de la taille de l’établissement, les salles de sciences physiques, de sciences naturelles et de chimie, équipées de paillasses et jouxtées par un laboratoire de préparation des expériences, sont regroupées dans les étages du bâtiment ou font l’objet d’un bloc spécifique. Les préaux sont réalisés par des évidements de la trame au rez-de-chaussée. Le lycée doit compter trois WC pour quarante filles, et un WC à la turque et deux urinoirs pour quarante garçons.
Tous les bâtiments, salles de classe, administration, cantine, logements de fonction, internats… sont réalisés à partir de la même trame. La forme en barre est imposée par la volonté de rationaliser l’organisation du chantier en simplifiant les "chemins" des grues. Le toit terrasse devient la règle. "C’est une architecture indifférente aux reliefs, au climat ou à l’environnement urbain, issue d’une logique d’ingénieurs, au service d’un programme minimum. L’intervention de l’architecte se limite souvent à l’orientation et aux choix des couleurs" (Antoine Prost, Jalons pour une histoire de la construction des lycées et collèges de 1960 à 1985. In CASPARD, Pierre, LUC, Jean - Noël, SAVOIE, Philippe (Dir.). Lycées, lycéens, lycéennes, deux siècles d'histoire. Lyon : INRP, 2005, p. 459 - 478).
Une organisation administrative spécifique est mise en place afin de mettre en œuvre cette politique de constructions scolaires. En 1956, au sein du ministère de l’Éducation Nationale, on crée une direction qui édicte les normes architecturales, fixe des prix-plafonds pour le coût de construction au mètre carré, valide les projets, accorde les financements. Elle est d’abord appelée DESUS (Direction des Équipements Scolaires Universitaires et Sportifs), puis DEC (Direction des Équipements et de la Construction). Les délais d’instruction sont très longs et peuvent atteindre six ans ! Plusieurs étapes sont en effet nécessaires : la validation du programme de l’établissement par l’État, lequel concerne à la fois les effectifs prévus, leur répartition dans les différentes filières et la traduction architecturale ; l’approbation par la collectivité du projet validé par l’État ; la désignation d’un architecte et d’une ou plusieurs entreprises pour mener le chantier, qui fournissent plan masse et devis, lesquels doivent à nouveau être validés par l’État avant que ce dernier n’accorde ses subventions et que le chantier puisse commencer. Une modification des effectifs scolaires en cours de projet impose de reprendre depuis le début toute la procédure…
À partir de 1962, l’État organise des appels d’offres nationaux pour sélectionner des binômes architecte / entreprise qui pourront ensuite intervenir sur l’ensemble des chantiers, chacun faisant l’objet d’une mise en concurrence réduite entre les entreprises locales précédemment sélectionnées par le ministère.
En ce qui concerne les financements, la solution finalement adoptée impose aux collectivités de fournir un terrain viabilisé et de prendre en charge 40% du coût de la construction, pour lequel elles peuvent souscrire un emprunt auprès de la Caisse des Dépôts. L’État finance le reste de la construction et peut assurer, à la demande de la collectivité et contre une rémunération forfaitaire, la maîtrise d’ouvrage du chantier, de la passation du marché jusqu'à la livraison des bâtiments en passant par le suivi des travaux.
Cette organisation administrative et le choix d’une architecture tramée de type industriel ont permis, entre 1960 et 1970, de construire un établissement scolaire par jour – la seule année 1968 voit la construction de 255 CES (collège d'enseignement secondaire) et 35 lycées – et de scolariser 80% des collégiens et lycéens : entre 1958 et 1973, leur nombre est en effet passé de 340 000 à 939 000… Pour le département du Nord, entre 1958 et 1961, le nombre de lycéens est passé de 34 100 à 41 400, et le nombre de lycées atteint 51 en 1962.
Pendant les Trente Glorieuses, l’Éducation Nationale est le ministère qui engage et finance le plus de chantiers. Mais l’incendie du collège de la rue Pailleron à Paris en 1973, qui fait vingt morts, suivi la même année de ceux de Nice et de Canteleu, associé aux réflexions du philosophe Michel Foucault qui, en 1975, dans Surveiller et punir, montre la similitude architecturale et conceptuelle entre le lycée à la française et la prison ou la caserne, sonne le glas de cette architecture. On en condamne les manques en termes de pédagogie, de sécurité et d’esthétique. On en souligne l’appauvrissement architectural. Jean-Yves Andrieux évoque "la tristesse rampante du style hexagonal", une architecture "ingrate, monocorde, itérative… un type innombrable et maussade". Les critiques viennent également des services de l’État. Ainsi, le directeur de l’équipement scolaire dénonçait déjà, en 1963, "cette architecture qui supprime toute surprise pour le promeneur, qui abuse de la ligne droite, souffre d’une insuffisante variété des niveaux et de la suppression des espaces clos ou resserrés". L’État tente bien quelques améliorations en demandant aux architectes d’intégrer dans les lycées des CDI (centres de documentation et d’information), des salles audiovisuelles, des laboratoires de langues, ou quelques espaces polyvalents. Il renforce également les contraintes de sécurité. Dans les trente-cinq modèles qu’il présente en 1974, l’État propose de nouvelles formes pour certaines salles (audiovisuelles par exemple) et privilégie les petits immeubles d’un étage plutôt que les barres. Toutefois, il ne remet pas en cause les plans types et le système de trame.
L’histoire de cette architecture est à rapprocher de celle des grands ensembles urbains. Ils naissent à la même époque, juste après la Seconde Guerre mondiale, répondant à la même nécessité d’accueillir une population qui manque de logements et d’écoles, en construisant vite et de manière économique dans des zones encore vierges de toute urbanisation. Les grands ensembles sont alors considérés comme l’expression de la modernité, du rationalisme et du fonctionnalisme. Le choix d’une architecture préfabriquée et normée donne lieu à l’édification d’immeubles aux lignes droites, grands parallélépipèdes verticaux ou horizontaux couverts de toits terrasses. La construction de grands ensembles prospère jusqu’au choc pétrolier de 1974.
Pendant cette période des Trente Glorieuses, les nouveaux lycées sont principalement construits dans ces zones d’urbanisation nouvelle. Un accord de 1958 entre les ministères de l’Éducation Nationale et de la Construction prévoit un enfant à scolariser par logement construit et souhaite confier à une seule association architecte / entrepreneur la construction des immeubles d’habitation et des équipements scolaires d’un même ensemble. Si ce texte n’a jamais donné lieu à des réalisations, il n’en reste pas moins que ce sont les mêmes entreprises de BTP qui interviennent sur les chantiers de construction d’immeubles et de lycées, en employant les mêmes modes opératoires. Les points communs ne s’arrêtent pas là : on reproche aux grands ensembles de n’avoir pas d’âme architecturale mais de relever uniquement d’une logique d’ingénieurs. On fustige leur trop grande rigidité, la monotonie des barres et des tours. Comme pour les lycées, cette typologie de construction est remise en cause dès le début des années 1970. La décennie suivante est celle de la réflexion sur les formes architecturales, les matériaux, la distribution des espaces et les liens avec l’environnement urbain.
Photographe de l'Inventaire général du patrimoine culturel.