Dossier d’œuvre architecture IA62005186 | Réalisé par
Girard Karine (Rédacteur)
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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  • patrimoine de la Reconstruction
  • enquête thématique régionale, La première Reconstruction
Maison à trois unités d'habitation, ancienne propriété de Monsieur Aimé Théry-Saudemont
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Communauté de communes du Sud-Artois - Bapaume
  • Commune Bapaume
  • Adresse 5, 7 et 9 rue Marcellin Gaudefroy
  • Cadastre 2017 000 AH 01 136, 137, 138

Bien que réunies sous une même toiture, ce qui en fait l’originalité, Eugène Rousseau construit pour monsieur Théry-Saudemont un ensemble de trois "1930" classiques de la reconstruction. L'organisation générale de chaque logement est donc identique avec au rez-de-chaussée l'enfilade salon et salle à manger desservis par un couloir latéral débouchant sur une partie d'un seul niveau abritant la cuisine que longe une petite cour, et les chambres à l'étage. L'architecte a adapté le plan à la forme de la parcelle, qui n'est pas tout à fait rectangulaire. Ceci explique que les couloirs longitudinaux des logements des extrémités ne conservent pas la même largeur sur toute leur longueur. On peut également remarquer la forme inhabituelle du plan de la cuisine avec les angles coupés.

Bien qu'elle semble au premier abord être construite par rapport à un axe de symétrie centrale, la façade n'est pas ordonnancée : la très forte symétrie de la toiture, avec ses deux lucarnes en pavillon disposées de part et d'autre de la lucarne pignon, au centre de l'espace entre la bordure du toit et le pignon central, ne se retrouve pas dans les niveaux inférieurs. L'originalité de la façade tient en partie au jeu entre la couleur rouge du mur et celle claire des modénatures des baies, des agrafes ou de la corniche. Mais elle tient surtout aux lucarnes et à la toiture débordante. Conformément au PAE, c'est la seule maison avec pignon à redents de la rue. Bien qu'il s'agisse d'un habitat collectif, l'architecte a pris soin de construire un immeuble à l'aspect extérieur soigné.

Il faut aussi remarquer le soin apporté au confort des logements : le sol de la cave est pavé de briques (alors que dans la plupart des cas il reste en terre battue), le sol est recouvert de carreaux de ciment décorés et pas de simples "carreaux de Beauvais", les parquets sont en chêne, les portes intérieures vitrées en partie haute, et les fenêtres du rez-de-chaussée sont équipées d'un volet roulant qui se manipule sans avoir à ouvrir les fenêtres, l'électricité est installée dans toutes les pièces, qui bénéficient toutes d'une cheminée... La comparaison avec des constructions de la même typologie vient confirmer cette analyse : bien que s'agissant d'habitat collectif, les maisons ne sont destinées à de simples ouvriers.

Seules cinq autres maisons collectives de trois logements ont été repérées lors du dépouillement des dossiers de reconstruction conservés aux archives de Pas-de-Calais. Les prix de réalisation varient de 55 à 112 000 francs. Avec un coût de 175 000 francs, l'immeuble commandé par Monsieur Théry est donc un immeuble d'habitat collectif de luxe !

Il est aussi intéressant de comparer le coût de cet habitat collectif avec d'autres constructions de taille équivalente réalisées par le même architecte. Rue Marcellin-Gaudefroy il s'agit de la maison et de l'étude de Monsieur Capuron, notaire (10R9/115, dossier n°1941), édifiées entre 1924 et 1928 pour un coût de 180 000 francs.Ancienne maison et étude notariale de M. Capuron, rue marcelin-Gaudefroy. Construite par Eugène Rousseau en février 1924.Ancienne maison et étude notariale de M. Capuron, rue marcelin-Gaudefroy. Construite par Eugène Rousseau en février 1924. Une autre maison bourgeoise, construite en 1923-24 rue Jean-Baptiste-Lequette pour Monsieur Dequen, également notaire (10R9/68, dossier n°967) a couté 175 000 francs... c'est à dire un prix équivalent à l'immeuble collectif de Monsieur Théry.

La comparaison des façades de ces trois constructions met en évidence de nombreuses similitudes, qui peuvent être considérées comme une signature du style de l'architecte : même recherche de symétrie de la façade, mêmes baies en plein cintre soulignées par une archivolte en briques ou peinte au rez-de-chaussée alors que les baies du premier niveau sont rectangulaires, même accentuation des appuis de fenêtre, mêmes agrafes trapézoïdales reliant les baies du niveau inférieur aux petits balcons en demi-lune (dans le cas des deux maisons de notaire) ou aux appuis de fenêtre (maison collective) du niveau supérieur, même toiture débordante soutenue par des corbeaux en bois dont la queue est engagée dans une corniche, même utilisation de lucarnes en pavillon dont la toiture débordante s’achève par un coyau marqué...

Éléments de contexte et chronologie du projet de reconstruction

La maison est reconstruite à l'emplacement d'un ancien immeuble où M. Théry exerçait la profession d'agent d'assurance et de marchand de vin (recensement de population de 1911, AD Pas-de-Calais, M 3595). Le devis descriptif conservé aux archives de Pas-de-Calais (dossier 1168, 10R9/80) indique ainsi que "les parties de maçonnerie restant dans les fouilles seront démolies". Le dossier de reconstruction est validé par la commission cantonale en septembre 1923. La clôture administrative intervient en août 1927. L'immeuble, qui a coûté 175 000 francs, est dû à Eugène Rousseau, architecte de la coopérative n°3 de Bapaume, appelée l'Amicale. Enfin, le dossier indique de M. Théry-Saudemont est désormais tanneur. Les recensements de 1926 (M 4309) et 1931 (M 4346) montrent qu'il n'occupe aucun de ces logements.

Le projet de l’architecte : les plans

La surface au sol est répartie de manière à peu près égale entre les trois logements, qui se poursuivent par une terrasse et un jardin. A l'arrière, ces espaces propres à chaque logement sont séparés par un mur. L'organisation générale de chaque habitation est identique : au rez-de-chaussée, on trouve en façade un salon, qui communique avec la salle à manger par une porte à double battant, puis les WC et enfin la cuisine, qui partage largeur de la parcelle avec la terrasse, et à laquelle on accède par un long couloir qui traverse toute la maison. Seul l'emplacement (et donc la forme) des escaliers qui desservent tous les étages varie d'un logement à l'autre : situé à l'extrémité avant du couloir pour le logement de droite, il est au fond du couloir pour celui de gauche et entre la salle à manger et le WC pour celui central. Au premier étage se trouvent deux chambres. Toutes les pièces sont équipées d'une cheminée, "en marbre rouge, chambranle capucine" pour celles du rez-de-chaussée et "capucine ordinaire en marbre Sainte Anne Belge ou Lunel" pour celles du premier étage. L'étage de comble n'est pas aménagé.

Le projet de l’architecte : les élévations

L'immeuble est construit sur un sous-sol. Il compte un étage carré et un étage de combles. La façade en briques rouges, ainsi que cela est précisé sur le projet dessiné par l'architecte, présente deux niveaux d'élévation. Au premier niveau, on trouve une succession de portes et de fenêtres. Les baies en plein cintre sont complétées par une archivolte interrompue en son centre par une grande agrafe trapézoïdale mais qui se poursuit d'une baie à l'autre par un cordon horizontal de briques blanches. Au second niveau, de grandes baies correspondant aux chambres alternent avec les ouvertures plus petites qui éclairent les couloirs situées au-dessus des portes d'entrée latérales. Toutes les baies de ce niveau présentent un linteau droit et un épais appui de fenêtre soutenu par deux petits modillons fortement en saillie par rapport au droit du mur. Les baies du logement central sont différentes de celles des deux logements latéraux : la petite baie éclairant le couloir est remplacée par un mur plein décoré de deux motifs en briques blanche et la grande baie, située juste dans l'axe central du pignon pas de moineau et de son oculus, est surmontée d'une agrafe similaire à celles du premier niveau, qui n'existe pas au-dessus des autres fenêtres. Sur la toiture à longs pans qui couvre la partie sur rue de l'immeuble, deux lucarnes en pavillon encadrent symétriquement une lucarne-pignon à pas de moineau. Les cuisines sont couvertes par un toit terrasse.

Les matériaux préconisés dans le devis descriptif

Les murs de la cave sont "en briques brutes", tout comme le dallage du sol, les voutains du plafond et les marches de l'escalier. "Tous les murs sauf la façade seront en briques brutes", ainsi que les murs porteurs intérieurs. Les seuils de porte, les marches, tous les appuis de fenêtre et les linteaux des fenêtres du premier niveau sont en béton armé, enduit au ciment. Les murs de refends sont en carreaux de plâtre, les plafonds sont en plâtre sur un "lattis cœur de chêne jointif". La charpente est en sapin, couverte en ardoises d'Angers posée au clou. Le faitage du toit et les jouées des lucarnes sont en zinc.

La qualité et le confort des logements transparaissent dans la précision du devis fourni par l'architecte : les sols du vestibule, du couloir et de la cage d'escalier sont "carrelés en carreaux de céramique à dessins Ier choix", ceux de la cuisine et les WC reçoivent "des carreaux de Beauvais rouges et blancs posés en damier" ; les pièces du rez-de-chaussée sont parquetées de chêne posé à l'anglaise, tout comme le pallier du premier étage, et les chambres ont un plancher en sapin ; les murs de la cuisine sont carrelés au-dessus de l'évier, et tous les murs et les plafonds sont enduits au plâtre puis peints à l'huile pour les communs mais recouverts d'un papier de tenture pour les salons, salles à manger et chambres "avec collage fait soigneusement" (sic) ; les escaliers sont en "orme, à vernir, avec un poteau de départ mouluré et les autres carrés" ; les menuiseries extérieures sont en chêne, sauf celles de la cuisine, et celles intérieures en sapin et Rousseau précise que les portes entre le salon et la manger auront quatre vantaux vitrés en partie haute "de verre goutte d'eau". Les fenêtres du rez-de-chaussée sont fermées par des "volets mécaniques à sangle" en bois. Enfin, "dans tout l'immeuble, il sera installé 30 lampes électriques avec abat-jour cristal ou tôle, fils sous moulures et interrupteurs de porcelaine blanche".

L'aspect de l'immeuble est important pour l'architecte. Il prend donc soin de décrire ce qu'il souhaite pour la façade sur rue, soit dans le devis, soit en apportant des précisions sur le dessin de l'élévation projetée : "Le parement sera en briques rouges rejointoyées en creux. Toutes les parties imitant la pierre (bandeaux, champs, seuils, appuis, tablettes du pignon flamand, souches de cheminées, seront enduites en ciment uni ou mouluré suivant dessins, le tout passé au silexore [peinture qui durcit en séchant et prend l'aspect de la pierre], ton pierre. (...) Les mitrons des cheminées sont en gré vernissé. (...) La partie haute des portes d'entrée qui est vitrée est protégée par "un panneau de fonte ornée. (...) A la base de chaque tuyau [de descente], un dauphin en fonte".

  • Murs
    • brique parement
    • béton béton armé enduit
  • Toits
    ardoise
  • Étages
    sous-sol, rez-de-chaussée, 1 étage carré, étage de comble
  • Couvrements
  • Couvertures
    • terrasse
    • toit à longs pans
  • Jardins
    carré de jardin
  • Statut de la propriété
    propriété d'une personne privée

Documents d'archives

  • AD Pas-de-Calais. Série R ; 10R9/80. Dommages de guerre. Secteur de Bapaume. Dossier 1168. Aimé Théry - Saudemont. Habitations : devis descriptif, marché, convention d'acompte, plans.

    Liste des documents figurés utilisés dans la notice :

    - Propriété de Mr Théry-Saudemont, rue Marcelin Gaudefroy, Bapaume : façade principale et coupe. Daté et signé par Eugène Rousseau, architecte, le propriétaire et entrepreneur, le 8 juin 1923.

    - Propriété de Mr Théry-Saudemont, rue Marcelin Gaudefroy, Bapaume : plans du rez-de-chaussée et du sous-sol. Daté et signé par Eugène Rousseau, architecte, le propriétaire et entrepreneur, le 8 juin 1923.

    - Propriété de Mr Théry-Saudemont, rue Marcelin Gaudefroy, Bapaume : premier étage, solivage du plancher haut du rez-de-chaussée. Daté et signé par Eugène Rousseau, architecte, le propriétaire et entrepreneur, le 8 juin 1923.

    Dossier 1168. Aimé Théry - Saudemont. Habitations : devis descriptif, marché, convention d'acompte, plans.

Documents figurés

  • Bapaume (P.-de-C.). Rue Marcellin-Godefroy. Photo J. Souillard, Bapaume. Carte postale, vers 1930 (coll. part.).

Annexes

  • L'habitat collectif à Bapaume à la Reconstruction
Date(s) d'enquête : 2018; Date(s) de rédaction : 2019
(c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
Girard Karine
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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Articulation des dossiers
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