Bien que réunies sous une même toiture, ce qui en fait l’originalité, Eugène Rousseau construit pour monsieur Théry-Saudemont un ensemble de trois "1930" classiques de la reconstruction. L'organisation générale de chaque logement est donc identique avec au rez-de-chaussée l'enfilade salon et salle à manger desservis par un couloir latéral débouchant sur une partie d'un seul niveau abritant la cuisine que longe une petite cour, et les chambres à l'étage. L'architecte a adapté le plan à la forme de la parcelle, qui n'est pas tout à fait rectangulaire. Ceci explique que les couloirs longitudinaux des logements des extrémités ne conservent pas la même largeur sur toute leur longueur. On peut également remarquer la forme inhabituelle du plan de la cuisine avec les angles coupés.
Bien qu'elle semble au premier abord être construite par rapport à un axe de symétrie centrale, la façade n'est pas ordonnancée : la très forte symétrie de la toiture, avec ses deux lucarnes en pavillon disposées de part et d'autre de la lucarne pignon, au centre de l'espace entre la bordure du toit et le pignon central, ne se retrouve pas dans les niveaux inférieurs. L'originalité de la façade tient en partie au jeu entre la couleur rouge du mur et celle claire des modénatures des baies, des agrafes ou de la corniche. Mais elle tient surtout aux lucarnes et à la toiture débordante. Conformément au PAE, c'est la seule maison avec pignon à redents de la rue. Bien qu'il s'agisse d'un habitat collectif, l'architecte a pris soin de construire un immeuble à l'aspect extérieur soigné.
Il faut aussi remarquer le soin apporté au confort des logements : le sol de la cave est pavé de briques (alors que dans la plupart des cas il reste en terre battue), le sol est recouvert de carreaux de ciment décorés et pas de simples "carreaux de Beauvais", les parquets sont en chêne, les portes intérieures vitrées en partie haute, et les fenêtres du rez-de-chaussée sont équipées d'un volet roulant qui se manipule sans avoir à ouvrir les fenêtres, l'électricité est installée dans toutes les pièces, qui bénéficient toutes d'une cheminée... La comparaison avec des constructions de la même typologie vient confirmer cette analyse : bien que s'agissant d'habitat collectif, les maisons ne sont destinées à de simples ouvriers.
Seules cinq autres maisons collectives de trois logements ont été repérées lors du dépouillement des dossiers de reconstruction conservés aux archives de Pas-de-Calais. Les prix de réalisation varient de 55 à 112 000 francs. Avec un coût de 175 000 francs, l'immeuble commandé par Monsieur Théry est donc un immeuble d'habitat collectif de luxe !
Il est aussi intéressant de comparer le coût de cet habitat collectif avec d'autres constructions de taille équivalente réalisées par le même architecte. Rue Marcellin-Gaudefroy il s'agit de la maison et de l'étude de Monsieur Capuron, notaire (10R9/115, dossier n°1941), édifiées entre 1924 et 1928 pour un coût de 180 000 francs.Ancienne maison et étude notariale de M. Capuron, rue marcelin-Gaudefroy. Construite par Eugène Rousseau en février 1924. Une autre maison bourgeoise, construite en 1923-24 rue Jean-Baptiste-Lequette pour Monsieur Dequen, également notaire (10R9/68, dossier n°967) a couté 175 000 francs... c'est à dire un prix équivalent à l'immeuble collectif de Monsieur Théry.
La comparaison des façades de ces trois constructions met en évidence de nombreuses similitudes, qui peuvent être considérées comme une signature du style de l'architecte : même recherche de symétrie de la façade, mêmes baies en plein cintre soulignées par une archivolte en briques ou peinte au rez-de-chaussée alors que les baies du premier niveau sont rectangulaires, même accentuation des appuis de fenêtre, mêmes agrafes trapézoïdales reliant les baies du niveau inférieur aux petits balcons en demi-lune (dans le cas des deux maisons de notaire) ou aux appuis de fenêtre (maison collective) du niveau supérieur, même toiture débordante soutenue par des corbeaux en bois dont la queue est engagée dans une corniche, même utilisation de lucarnes en pavillon dont la toiture débordante s’achève par un coyau marqué...
Actif dans les années 1920
Architecte de la coopérative de reconstruction n°3 de Bapaume, appelée "L'amicale"