Dossier d’œuvre architecture IA62005180 | Réalisé par
Girard Karine (Rédacteur)
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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  • enquête thématique régionale, La première Reconstruction
  • patrimoine de la Reconstruction
Maison, ancienne propriété de M. François Théry-Emmery
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Communauté de communes du Sud-Artois - Bapaume
  • Commune Bapaume
  • Adresse rue Jean-Baptiste-Lequette
  • Cadastre 2021 000 AB 01 436
  • Dénominations
    maison
  • Parties constituantes non étudiées
    cour, jardin d'agrément

Contrairement à beaucoup de propriétaires, M. Théry-Emmery n’habite pas sur place (il habite à Compiègne) et n’utilise donc pas les dommages de guerre pour se reloger. Toutes ses constructions sont des maisons de rapport. Ceci explique sans doute la date tardive de ces dernières car, ne contribuant ni à la reprise de l’activité économique ni au relogement du propriétaire, elles n’étaient pas prioritaires dans l’attribution et le versement des dommages de guerre. Ainsi, dans le recensement de 1931, aucun Théry n’apparait rue Gambetta où sont situées les maisons de rapport construites en 1924 mais des Théry habitent rue Lequette et Payen. Si l’on s’en réfère aux dates de naissance indiquées dans le recensement, on peut imaginer que la maison rue J.B.-Lequette est construite pour des membres de sa famille, peut-être ses enfants. Un Paul Théry né en 1899 (son fils ?), exerce ses activités de médecin rue Lequette (recensement de population de 1931, archives du Pas-de-Calais M4346, p. 31), et la maison de la rue de l’Amiral-Payen est occupée par une Élise Théry, née en 1902 (sa fille ?) et sa famille (recensement de population de 1931, p. 3).

Monsieur Théry-Emmery fait partie des rares propriétaires qui font reconstruire plusieurs maisons. Les propriétaires de biens multiples ne représentent que 5% des dossiers de reconstruction de Bapaume. Parmi ces 51 propriétaires seuls neuf font reconstruire trois maisons, et seulement sept plus de trois biens.

Il est d'autre part intéressant de revenir sur les matériaux mis en œuvre pour la construction de cette maison. Tout d'abord, le devis descriptif précise que "les vieux matériaux provenant des démolitions et reconnus bons par l’architecte pourront être remployés dans les fondations", ce qui est assez rarement le cas. Il est tout aussi surprenant que l’architecte laisse à l’entrepreneur le choix des matériaux de construction lorsque ceux-ci ne sont pas apparents. Le luxe des matériaux utilisés pour l’élévation de la façade (moellons) ou dans les espaces accessibles au public (carrelage à motifs) traduit l’aisance (et donc le sérieux) du médecin qui va occuper la maison. Il est aussi la preuve qu’en 1929 il devient plus facile de se procurer des matériaux autres que ceux strictement nécessaires à l’édification d’une maison et utilisés fréquemment, y compris dans cette maison, pour les parties non visibles comme la brique ou le béton. Les aménagements intérieurs, comme les "trois cheminées en marbre, chambranle à modillons : marbre rouge des Flandres pour la salle à manger, marbre blanc pour le salon et marbre de Lunel pour le cabinet de consultation" alors que la maison est équipée du chauffage central, relèvent de la même volonté de paraître.

C'est d'autre part une maison originale : elle est construite pour répondre à un besoin professionnel précis (un cabinet médical), c'est la seule de la rue à être en retrait et c'est également la seule à afficher un style anglo-normand associant toit à brisis, croupette, lucarnes, faux pans de bois (réalisé en béton et enduit) et soubassement en meulière.

Si cette disposition en retrait associée à une architecture anglo-normande est plus répandue dans les belles demeures qui se reconstruisent dans les anciens faubourgs (en particulier celui de Péronne et rue de Douai), cette maison fait partie des deux exemples répertoriés dans le centre-ville... la seconde, bâtie rue de l'amiral Payen sur les plans de Rousseau, étant également la propriété de Monsieur Théry (AD Pas-de-Calais, 10R9/111, dossier n° 1824) !Vue générale de la façade de la maison rue de l'Amiral-Payen, construite pour M. Théry-Ennery par Eugène Rousseau en 1927.Vue générale de la façade de la maison rue de l'Amiral-Payen, construite pour M. Théry-Ennery par Eugène Rousseau en 1927.

D'autres similitudes entre les maisons des rues Lequette et Payen sont flagrantes, comme les toitures à longs pans brisés rythmé par des lucarnes, le retrait par rapport à la rue mis à profit pour créer une terrasse clôturée avec des claustras en béton moulé, l'accès au jardin situé à l'arrière par un passage latéral (aujourd'hui occupé par un garage), les références régionalistes (meulière en soubassement, toiture avec demi-croupes et lucarnes), et le même plan en T avec important pignon aux extrémités de la barre du T.

Si l'on compare ces maisons avec les deux maisons jumelles de rue Gambetta, construction commandée par M. Théry au même architecte, on y trouve quelques points communs, en particulier les toitures à longs pans brisés rythmées par des lucarnes, particulièrement imposantes pour les maisons jumelles.

Éléments de contexte

Le dossier de réemploi des dommages de guerre (AD Pas-de-Calais, 10R9/112) déposé par François Théry-Emmery porte sur la reconstruction d'une habitation et de dépendances. Le projet est réalisé par Eugène Rousseau, qui travaille pour la coopérative n°3, dite "L'Amicale". En 1928, au moment de la signature des marchés avec les entrepreneurs et la coopérative, monsieur Théry-Emmery est domicilié à Compiègne. La maison n'est donc pas construite pour lui, mais pour son fils médecin ainsi que l'indique le recensement de population de 1931 (archives du Pas-de-Calais M4346, p. 31).

La construction se fait entre mai 1928 et janvier 1930, c'est à dire relativement tard par rapport aux autres maisons de la rue. Elle a couté 167 500 francs.

Dès l'origine, le projet comprend la balustrade qui clôt la parcelle côté rue ainsi qu’un garage.

En 1929, il est complété par une buanderie construite dans le fond du jardin.

Le projet de l’architecte : les plans

Le plan montre un rez-de-chaussée distribué par un vestibule qui débouche sur un hall. La partie gauche est consacrée aux activités médicale avec en enfilade depuis la rue : le cabinet de consultation jouxté par la salle d’attente, une salle de pansement, et une salle de radio. Les salles de pansement et de radio n'ont pas de liens fonctionnels avec les autres pièces de la maison. La partie droite est dédiée aux pièces à vivre : salon, salle à manger, cuisine et sanitaire. Le médecin peut accéder à la salle de consultation directement depuis le hall, c'est à dire depuis la partie privée de la maison, tandis que le salon qui est un espace de réception est accessible directement depuis le vestibule. L’escalier à retours à volées droites sur jour qui dessert l'étage est installé dans le hall. La distribution de la maison est donc particulièrement bien étudiée pour y faire coexister activités professionnelles, vie publique et vie privée. L'étage est exclusivement réservé à la sphère privée. Autour d'un pallier central appelé antichambre, quatre chambres dont une de bonne, une nurserie et un grenier.

La maison est équipée du chauffage central et de l’électricité (qui bénéficie d’un chapitre spécifique dans le devis descriptif) avec "22 lampes" installées dans le salon, la salle à manger et le cabinet de consultation (pièces qui bénéficient aussi d’une prise électrique), la cuisine, le bureau, et à l’extérieur au-dessus de la porte d’entrée. Il est amusant de noter que l’étage ne semble pas avoir été électrifié…

Les matériaux préconisés dans le devis descriptif

Les murs de fondation sont en briques brutes, badigeonnés à la chaux, mais le matériau des piliers de la cave est laissé au choix de l’entrepreneur : béton armé ou briques. Il en est de même pour les poutres, qui peuvent être "en fer avec remplissage en béton armé ou tout en béton armé". Le sol du rez-de-chaussée est carrelé "en carreaux céramiques à dessin" pour le vestibule et le hall, en carreaux simples pour la cuisine, les sanitaires, la salle d’attente et la salle soin. Le reste des pièces du rez-de-chaussée est parqueté de chêne mais le sol de l’étage, en béton armé, est parqueté sapin. Les murs intérieurs sont en carreaux de plâtre, enduits en plâtre puis peints "à l’huile trois couches" pour ceux qui ne sont pas recouverts de "papier de tenture" (salle à manger, salon, bureau, chambres, nursery). Ceux du salon, de la salle à manger sont décorés en partie basse d’un faux lambris "peint en décor faux bois à deux tons". L’architecte laisse de nouveau le choix de l’essence de bois pour l’escalier, qui peut être en chêne ou en orme, mais qui doit avoir "une main courante moulurée et des balustres tournées avec base et têtes carrées de 6x6 cm". La toiture en "tuiles mécaniques de Jeandelaincourt [commune de Meurthe et Moselle], modèle Tourelle pour les brisis et l’auvent de la porte, modèle Villa pour le comble, et tuiles plates petit moule la lucarne en façade" repose sur une charpente en sapin. Les huisseries extérieures sont en chêne pour la façade sur rue (fenêtres et porte), en sapin pour les autres. Toutes sont peintes, tout comme les portes intérieures également en sapin.

Pour l’élévation côté rue, l’architecte spécifie qu’il veut, entre le soubassement et le faux pan de bois, des "moellons d’Hydrequent (vallée Heureuse) parementés sur une face. Les angles, les tableaux et voussures des baies du rez-de-chaussée seront en moellons rustiqués et dressés". Le soubassement est en brique, enduit en ciment "brettelé avec fausses ciselures d’encadrement formant appareil de pierre" pour la façade sur rue, mais en ciment lisse pour les deux autres murs, qui sont eux totalement en briques. Les linteaux droits des baies sont en béton armé et les appuis, tout comme les seuils, marches, couronnements des cheminées et tableaux des baies (sauf pour la façade sur rue), en ciment moulé puis enduits en ciment. Pour le faux pan de bois de l'étage l’architecte est précis : "tout le faux pan de bois sera enduit en ciment avec champs saillants bien dressés, de 15 mm de saillie, le fond teinté en ton pierre blanche et les champs en brun". Le premier niveau des façades latérale et postérieure de la maison est en revanche simplement recouvert "d'enduit tyrolien avec jetés au balai à trois couches".

Le garage fait également l’objet d’un paragraphe dédié. Il est construit en maçonnerie de briques sur sol en béton armé, tout comme les linteaux des baies. Sa façade est enduite en ciment mouluré. La baie sur rue est fermée par un "volet mécanique manœuvrant au bâton" et celle donnant sur le jardin est vitrée.

Sur la rue, la clôture était prévue en sapin peint à l’huile, avec "traverses, poteaux découpés et chantournées et remplissage ou barreaux arrondis".

En 1924, monsieur Théry-Emmery avait déjà confié à Eugène Rousseau la construction d'un groupe de deux maisons de rapport rue Gambetta. En 1927, il fait de nouveau appel au même architecte pour la construction d'une maison particulière rue de l'amiral Payen (dossier de réemploi, AD Pas-de-Calais, 10R9/111).

La maison est reconstruite sur la partie de la rue Lequette qui, avant-guerre, était bâtie de maisons particulières.

Elle est en retrait par rapport à la rue, et précédée par une terrasse surélevée occupée par courette close par une balustrade en ciment. Elle n'est mitoyenne que de la maison sur sa droite et est bordée sur sa gauche par une petite allée qui permet d'accéder au jardin situé à l'arrière.

La maison, bâtie sur un sous-sol, ne compte qu'un rez-de-chaussée et un étage sous-comble. La travée gauche forme un léger avant-corps sur la rue comme sur le jardin, et s'achève dans les deux cas par un pignon couvert par une demi-croupe débordante. Le reste de la maison est couvert par une toiture brisée, interrompue de gauche à droite, sur la rue par une petite lucarne à croupe débordante et une grande lucarne interrompant l'avant-toit et sur le jardin par deux grandes lucarnes à fronton-pignon.

La maison ne porte pas de décors, hormis le jeu sur les matériaux : le premier niveau est recouvert de meulières, tandis que le second porte un faux pans de bois en béton.

S’agissant d’une propriété privée, l’intérieur actuel de la maison n’a pas été étudié. Il n’est donc pas possible de savoir si la construction s’est faite conformément aux plans de l’architecte, ni si cette dernière a été modifiée par la suite.

  • Murs
    • brique
    • béton
  • Toits
    tuile mécanique
  • Étages
    rez-de-chaussée, étage de comble
  • Couvrements
  • Couvertures
    • toit à longs pans brisés pignon couvert
  • Typologies
    style régionaliste
  • Statut de la propriété
    propriété privée

Documents d'archives

  • Bapaume. Recensement de population, 1911.

    AD Pas-de-Calais : M3595
    p. 19.
  • AD Pas-de-Calais. Série M. Recensement de population. M 4346. Bapaume (1931).

    p.3, p.31
  • AD Pas-de-Calais. Série R ; 10R9/112. Dommages de guerre. Secteur de Bapaume. Dossier 1872. François Théry-Emmery, habitations et dépendances à Bapaume : devis, marchés, conventions d'acompte, compte de mitoyenneté, plans.

    Liste des documents figurés utilisés dans la notice :

    - Société coopérative l'Amicale de Bapaume. Propriété de Monsieur Théry Emmery - propriété rue JB Lequette à Bapaume : buanderie : façade principale, coupe sur vestibule, plan du rez-de-chaussée. Signé et daté par Eugène Rousseau, architecte, F. Théry, propriétaire, l'entrepreneur et le président de la coopérative, le 29 mai 1928.

    - Société coopérative l'Amicale de Bapaume. Propriété de Monsieur Théry Emmery - propriété rue JB Lequette à Bapaume : façade postérieure, fragment façade latérale, plan du premier étage, plan du sous-sol, coupe sur pansement. Signé et daté par Eugène Rousseau, architecte, F. Théry, propriétaire, l'entrepreneur et le président de la coopérative, le 29 mai 1928.

    - Société coopérative l'Amicale de Bapaume. Propriété de Monsieur Théry Emmery - propriété rue JB Lequette et rue Gambetta - Bapaume : garage et clôture. Signé et daté par Eugène Rousseau, architecte, F. Théry, propriétaire, l'entrepreneur et le président de la coopérative, le 29 mai 1928.

    - Monsieur Théry Emmery - propriété rue JB Lequette à Bapaume : buanderie : plan, élévation, coupe ; plan d'ensemble. Signé et daté par Eugène Rousseau, architecte, F. Théry, propriétaire, l'entrepreneur et le président de la coopérative, le 22 juillet 1929. Tampon de la société coopérative de Bapaume L'amicale.

    Dossier 1872. François Théry-Emmery, habitations et dépendances à Bapaume : devis, marchés, conventions d'acompte, compte de mitoyenneté, plans.
  • AD Pas-de-Calais. Série R ; 10R9/111. Dommages de guerre. Secteur de Bapaume. Dossier 1824. François Théry-Emmery, habitation et dépendances à Bapaume : devis, marché, convention d'acompte, liquidation du compte de coopérateur, plans.

    Dossier 1824. François Théry-Emmery, habitation et dépendances à Bapaume : devis, marché, convention d'acompte, liquidation du compte de coopérateur, plans.

Annexes

  • Les matériaux de la reconstruction à Bapaume
Date(s) d'enquête : 2018; Date(s) de rédaction : 2019
(c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
Girard Karine
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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