Contrairement à beaucoup de propriétaires, M. Théry n’habite pas sur place et n’utilise donc pas les dommages de guerre pour se reloger. Toutes ses constructions sont des maisons de rapport. Ceci explique sans doute la date tardive de ces constructions, car ces dernières ne contribuant ni à la reprise de l’activité économique ni au relogement du propriétaire, elles n’étaient pas prioritaires dans l’attribution et le versement des dommages de guerre. Ainsi, aucun Théry n’apparait rue Gambetta dans le recensement de 1931. En revanche, à cette même date, des Théry habitent rue Lequette et Payen. Si l’on s’en réfère aux dates de naissance indiquées dans le recensement, on peut imaginer que la maison rue J.B.-Lequette est construite pour des membres de sa famille, peut-être ses enfants. Un Paul Théry né en 1899 (son fils ?), exerce ses activités de médecin rue Lequette (recensement de population de 1931, archives du Pas-de-Calais M4346, p. 31), et la maison de la rue de l’Amiral-Payen est occupée par une Élise Théry, née en 1902 (sa fille ?) et sa famille (recensement de population de 1931, p. 3).
Le niveau de détail fourni par l’architecte est impressionnant et peu fréquent : le dessin de la façade est extrêmement fouillé (on voit les agrafes des fenêtres et l’enduit tyrolien du mur), la forme des moulures des encadrements de baies fait l’objet d’un dessin spécifique et le motif en fer forgé qui doit orner les portes d’entrée apparait clairement sur le projet d’élévation. Les matériaux sont aussi soignés et sont soit luxueux (mitrons en gré vernissé, ardoise en couverture) soit donnent l’apparence du luxe : ciment peint pour ressembler à la pierre bleue de Belgique, traitement des linteaux des baies avec des agrafes qui ressemblent à un moellon alors qu’il ne s’agit que d’une peinture appliquée sur une partie des briques...
L’étude du prix confirme qu’il s’agit d’une construction « haut de gamme ». Sans se livrer à une étude exhaustive, on peut comparer son coût de construction (144 000 francs) avec celui d’autres maisons de rapport. Ainsi les quatre maisons jointives édifiées pour M. Vasseur rue de la République ont coûté 175 000 francs, les deux habitations du même propriétaire faubourg de Péronne 95 000 francs… Les maisons de M. Théry sont donc des "maisons ouvrières" de luxe, même si elles restent moins onéreuses que les maisons individuelles des rues Jean-Baptiste-Lequette et Payen (qui ont respectivement coûté 167 000 et 235 000 francs), construites par le même architecte pour le même propriétaire. Si l’on compare avec les constructions équivalentes réalisées par Rousseau pour d’autres propriétaires, on voit que les prix sont équivalents à ceux des maisons de la rue Gambetta… et plus élevés que ceux des projets des autres architectes !
La distribution des maisons est typique des "1930", ainsi que ces maisons sont appelées dans le nord de la France où elles sont extrêmement fréquentes et présentent des caractéristiques identiques : maisons mitoyennes tout en longueur avec pignon sur rue, deux étages desservis par un escalier qui prend naissance dans le couloir qui longe l’enfilade salon – salle à manger du rez-de-chaussée pour aboutir à la cuisine, chambres dans les étages et jardin à l’arrière. Mais l’élévation est radicalement différente : la façade est crépie et non en briques apparentes, et surtout elle présente un imposant pignon-lucarne totalement étranger au vocabulaire architectural des "1930".
Photographe au service régional de l'Inventaire général du patrimoine culturel.