Dossier d’œuvre architecture IA62005145 | Réalisé par
Girard Karine (Rédacteur)
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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  • patrimoine de la Reconstruction
  • enquête thématique régionale, La première Reconstruction
Pharmacie, ancienne propriété de M. Carbonnelle puis Pharmacie principale
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Communauté de communes du Sud-Artois - Bapaume
  • Commune Bapaume
  • Adresse 29 rue de Péronne
  • Cadastre 2017 000 AE 01 43
  • Dénominations
    magasin de commerce, maison
  • Appellations
    Pharmacie Carbonnelle, Pharamacie principale
  • Parties constituantes non étudiées
    immeuble

Le bâtiment avant la Première Guerre mondiale

La reconstruction de la pharmacie a lieu à l’emplacement de celle existant avant-guerre. Elle apparait au n°45 de la rue de Péronne dans le recensement de population de 19o1 avant qu'elle n'appartienne à M. Carbonnelle (Archives du Pas-de-Calais, M 4267, p. 54) et en 1911 désormais propriété de M. Carbonelle (Archives du Pas-de-Calais, M 3595, p.52).

La chronologie du projet de reconstruction

Le dossier de reconstruction de la pharmacie (Archives du Pas-de-Calais, 10R9.8, dossier 102) est validé par la commission cantonale en janvier 1923 alors que les plans avaient été établis depuis 1921 par Anatole Wigniolle, l’architecte chargé du projet dans le cadre de la coopérative n°2 "Groupement d’isolés". D'ailleurs, le contrat entre le commanditaire et l’architecte précisait : "Les travaux devront commencer immédiatement et être poussés avec la plus grande activité afin que tous soient terminés pour la fin novembre 1921."... Toutefois, la réception des travaux n’intervient que six ans plus tard, en septembre 1927. Le dossier est administrativement clôturé en novembre 1928. Le coût total de la construction est de 376 000 francs, dont 269 000 pour le gros œuvre, 23 000 pour la couverture, 17 000 pour les seules peintures et 3 500 pour l’installation d’une "salle de bain".

Le devis descriptif, outre le détail des matériaux et de leur mise en œuvre, précise que les restes de fondations, de murs et de voütes des caves encore en place sous l’habitation doivent être démolis car impropres à supporter le poids d’une construction neuve. Il est amusant de noter qu’en préambule du devis, l'architecte précise : "Tous les matériaux désignés ci-après devront être de première qualité, dans les dimensions prescrites ; leur façon et mise en œuvre comportera les perfections dont ils sont susceptibles, étant entendu qu’il s’agit de travaux soignés". Cette phrase ne figure dans aucun autre devis consulté... Pour ce chantier, le commanditaire a passé un marché avec trois entrepreneurs différents, pour la maçonnerie et le gros œuvre, la couverture-zinguerie-plomberie et la peinture-vitrerie.

Le projet de l’architecte : les plans

La maison à boutique, composée de deux ensembles répartis de part et d'autre d'une cour, s'inscrit dans un rectangle. L'immeuble sur rue, composé d'un rez-de-chaussée, de deux étages carrés et d'un étage de combles, associe fonctions commerciales et d'habitation. Dans la partie droite, depuis la rue, se succèdent l'espace de vente de la pharmacie qui communique avec un bureau, puis sans liens fonctionnels, la salle à manger couverte par un lanterneau et enfin une véranda. Cette partie de l'immeuble ne comprend donc qu'un rez-de-chaussée. A gauche, depuis le salon qui donne sur la rue, on accède au palier de l'escalier "à l'anglaise, à quartier tournant" sur jour qui dessert les étages, puis à la cuisine et à des sanitaires. Au premier étage, trois grandes chambres avec chacune un cabinet de toilette sont réparties autour de l'escalier. Cinq petites chambres et un cabinet de toilette commun occupent le second étage. Au premier comme au second étage, une partie du palier est occupée par deux grandes penderies. Hormis la véranda et la salle à manger, couverte par un toit terrasse en ciment armé percé d'un lanterneau, l'ensemble est couvert par une toiture brisée légèrement débordante, percée de lucarnes-pignon sur le brisis.

Autour de la cour, accessible directement depuis la rue par un long passage couvert qui longe tout le côté droit de l'immeuble sur rue, se trouvent les espaces annexes nécessaires à l'activité de la pharmacie : laboratoire, magasin (c'est à dire espace de stockage), salle d'emballage. Une buanderie et un garage (qui comprend une réserve à essence et un local "pour pièces") sont davantage liés à l'activité domestique. Tous ces locaux sont jointifs, communiquent entre eux, et pour certains ouvrent directement sur la cour. L'ensemble, en rez-de-chaussée, est couvert par une toiture en appentis.

Le projet de l’architecte : les élévations

L'élévation de la façade sur rue est ordonnancée sans travée. La partie gauche, qui correspond à l'entrée et à la vitrine de la pharmacie, réunit dans un avant-corps en légère saillie une succession de quatre baies de taille dégressive, dont la dernière perce le pignon à redents qui achève l'élévation de cette partie de la façade. La largeur de l'avant-corps suit la taille des baies : plus large au rez-de-chaussée, il est couvert par un demi-fronton convergent qui permet à la partie centrale d'encadrer strictement les fenêtres des étages. À droite, réunis sous une corniche située à la même hauteur que la base du fronton, se trouvent la grande baie correspondant au salon et le portail en fer forgé fermant le passage menant à la cour. Pour l’ensemble de la façade, les baies du second et du troisième niveau sont alignées. Celles correspondant aux chambres sont fermées par un balconnet en fer forgé au second niveau, mais précédées d'un grand balcon avec garde-corps en fer forgé pour celles du troisième niveau. Les consoles triangulaires portant le balcon situé dans l'avant-corps sont particulièrement imposantes. Les deux petites baies au centre de la façade sont celles éclairant les paliers. Toutes les baies sont surmontées d'une agrafe trapézoïdale. Les lucarnes sont situées symétriquement à chaque extrémité de la façade, centrées par rapport aux baies du niveau inférieur.

À l'arrière, l'élévation est beaucoup plus simple. Le premier niveau est occupé par la véranda. La juxtaposition des baies dans les niveaux supérieurs correspond aux emplacements des chambres. Aucune des chambres ne bénéficie de balcon et la façade ne porte aucun décor.

Les décors portés sont concentrés à des endroits bien précis de la façade sur rue. Sous la corniche du toit, court une frise de céramique vernissée à motifs de pampres dans des tons gris-bleus. L'avant-corps est décoré dans les angles du demi-fronton de deux mascarons entourés de serpents, référence à la coupe d'Hygie des pharmaciens ; au centre, faisant le lien entre l'agrafe de la baie du second niveau et la table saillante sous la baie de l'étage de combles, d'un motif symétrique de pommes en chute.

Les matériaux préconisés dans le devis descriptif

Pour les "substructions" (sic), c'est-à-dire les fondations, les murs sont prioritairement en briques provenant des démolitions ou en "briques dures de pays", de même que les voutains du plafond, les marches de l’escalier, et le pavage du sol. Les murs extérieurs sont en "briques dures ordinaires de pays", les cloisons de distribution en carreaux de plâtre avec soubassement en briques, puis enduites en plâtre et peintes à l'huile. Les seuils côté maison (véranda, salon) comme côté magasin sont en pierre de Soignies mais les autres entrées (garage, porche) sont en ciment, comme tous les appuis de fenêtre. Les sols des espaces de travail (espace de stockage, buanderie, laboratoire, garage…) sont en dallage de béton, ceux de la cuisine, de la véranda, du bureau, de la pharmacie en "gré cérame deux tons, en diagonale (modèle choisi par le propriétaire)", le hall et les dégagements sont en marbre blanc, la salle bain en terrazolith et le salon, la salle à manger et les chambres sont parquetées de chêne. Les murs de la cuisine sont carrelés "de carreaux de faïence blancs unis, carrés sur une hauteur de 1,70 mètres", tout comme ceux de la salle de bain. Le "grand escalier desservant le premier étage" est en pierre, avec une marche de départ en "pierre dure de grain très fin et les marches et contremarches en roche de Tavel" (nom de la commune du Gard où est extrait du calcaire à grain fin de couleur blanc-rosé) avec rampe "en fer à pitons en fonte ornés de chapiteaux". Les escaliers des étages sont en bois (orme et chêne) avec rampe métallique "à col de cygne". Toutes les pièces de la maison sont décorées d'une corniche en staff et recouvertes "d'un papier de tenture à 12 francs le rouleau pour le salon et la salle à manger, et à 10 francs pour les chambres", celles du rez-de-chaussée recevant en partie basse un lambris en sapin également peint à l'huile. La charpente est en sapin, ainsi que les portes intérieures de la maison, celles extérieures des dépendances et le "plancher mobile de la fosse à auto". En plus de ces matériaux traditionnels, l'architecte ne se prive pas d'utiliser le béton et le fer. Ainsi, les dalles des consoles et des balcons sont en "ciment armé" (cette précision est même apportée dans deux endroits différents du devis) ainsi que les plafonds hauts du rez-de-chaussée et le toit couvrant la salle à manger. Le fer est utilisé pour les plafonds de la cave et du premier étage, pour les "fers à vitrage" de la véranda et les lanterneaux de la toiture, et pour la porte cochère "se rapprochant du modèle de la planche 323 de l'album Serrurerie décorative, Fontaine et Vaillant à Paris". L'architecte précise que toutes les quincailleries (paumelles, croisées de portes et fenêtres, crémones, verrous...) seront "de luxe s'entend comme décor", ce qui signifie sans doute qu'elles doivent être suffisamment esthétiques pour ne pas déparer le reste de la décoration intérieure. Les lanterneaux et la véranda sont couverts de "verre cathédrale" et les parois de la véranda sont en "verre double avec bordure colorée", tout comme la verrière du laboratoire. Les huisseries extérieures sont en chêne peint et toutes les baies du rez-de-chaussée sur rue sont fermées par des persiennes en fer et tôle. La toiture est en ardoises d'Angers "premier choix avec pureau de 0,11 [cm] posées avec crochets galvanisés" mais les lucarnes et leurs jouées ainsi que le terrasson de la toiture sont couverts en zinc.

Dans le chapitre "ravalement", l'architecte décrit l'aspect soigné que doit présenter la pharmacie : "La façade sur rue sera ravalée au mortier de ciment, ton pierre [...], passée à 3 couches Silexore [...], l'encadrement de la devanture sera en stuc [...], le socle de la façade sur rue sera en roche de Comblanchien" (pierre calcaire de grande qualité produite en Bourgogne). Il rajoute à la main "la frise du second étage en gré émaillé de la maison Muller, Ivry-Port". La porte d'entrée de la pharmacie doit être précédée d'un trottoir en carreaux de Boulogne sur Mer, "en réemploi de la démolition de l'ancien". Pour la façade sur cour, l'architecte choisit des briques teintées laissées apparentes et du ciment peint au Silexore pour les bandeaux, appuis, chambranles et corniches. Enfin, pour les dépendances, la brique rouge qui prend le relais du soubassement en ciment à partir des appuis de fenêtre est laissée nue.

La réalisation et les évolutions ultérieures

Si l'on se réfère aux cartes postales anciennes des années 30 de la rue de Péronne, la façade sur rue de la pharmacie a été construite conformément au projet de l'architecte. Aucun document iconographique ne permet de confirmer que les bâtiments techniques qui bordaient la cour ont été construits conformément au projet.

  • Période(s)
    • Principale : 1er quart 20e siècle, 2e quart 20e siècle , daté par source
  • Dates
    • 1927, daté par source
  • Auteur(s)
    • Auteur :
      Wigniolle Anatole
      Wigniolle Anatole

      Le timbre sur les dossiers de dommages de guerre de la ville de Bapaume précise : "Architecte, diplômé de l'école spéciale d'architecture ET expert agrée par le tribunal. 28 bis rue des Teinturiers - Arras."

      Il est l'un des architectes de la coopérative de reconstruction n° 2 de Bapaume, baptisée "Groupement d'isolés" et fondée en février 1923.

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      architecte attribution par source
    • Auteur :
      Müller Émile
      Müller Émile

      La Grande Tuilerie d'Ivry (Val-de-Marne), connue également sous les noms Société Émile Muller et compagnie ou Société nouvelle des établissements Émile Müller (entre 1904 et 1907), a été créée par le céramiste et sculpteur français Émile Müller en 1854.

      Entreprise spécialisée dans les produits céramiques pour constructions et industries mais également dans la céramique d'art, la maison Müller sera reprise par le fils d'Émile, Louis Müller (1855-?) en 1889. En 1900, la société compte cinq usines à Ivry, divisant le travail par type de production. Et emploie entre trois et quatre cents ouvriers. En 1904, la maison prend le nom de "Société nouvelle des établissements Émile Müller".

      En 1912, Camille Bériot rachète la société et en garde la raison sociale. En 1922, afin de soulager l’usine d’Ivry qui croule sous les commandes, Camille Bériot fait construire une seconde usine à Breuillet, où travaillent environ cinq cent personnes. À sa mort en 1939, son fils Jacques, reprend la société. En 1968, cette dernière est vendue à une filiale du groupe Lafarge, Carbonisation et Céramique, qui fait démolir les usines.

      L’heure de gloire de la société Müller est sans conteste la fin du 19e siècle et le début du 20e. Parmi les architectes célèbres pour lesquels elle a réalisé des éléments de décors architecturaux, on compte Hector Guimard, Jules Saulnier pour lequel l’entreprise fournit toutes les céramiques de la chocolaterie Meunier à Noisiel, ou encore Charles Klein pour le décor de l’immeuble construit rue Claude-Chahu à Paris (XVIème arrondissement) appelé la "Maison des Chardons".

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      entreprise attribution par source

L'immeuble est construit sur une grande parcelle en L, partagée entre un découvert de jardin planté de quelques arbres isolés et l'immeuble de la pharmacie. Les bâtiments, dont le seul accès est sur la rue de Péronne, occupent les 2/3 de la parcelle.

L'immeuble de la pharmacie est à front de rue, aligné avec les constructions voisines. Sa hauteur est en revanche sans rapport avec celle des immeubles qui la jouxtent.

Le rez-de-chaussée est en totalité occupé par la vitrine et la porte d'accès à la pharmacie. L'avant-corps de la partie gauche de la façade, en légère saillie, accueille au rez-de-chaussée la porte d'accès à la pharmacie et des vitrines, puis les baies des étages. La largeur de l'avant-corps suit la taille des baies : plus large au rez-de-chaussée, il est couvert part un demi-fronton convergent qui permet à la partie centrale d'encadrer strictement les fenêtres des étages. Il s'achève par un pignon à redents. La partie droite du rez-de-chaussée réunit sous un large bandeau plat une vitrine et un petit couloir d'accès pour la porte piétonne située en retrait. Cet accès est clôturé par une grille pleine en métal.

La partie haute de la façade est percée de baies rectangulaires, alignées par niveau et surmontées d'une agrafe trapézoïdale. Les baies du second niveau sont fermées par un balconnet en fer forgé, tandis que celles du troisième niveau sont précédées d'un grand balcon avec garde-corps en fer forgé. Celui situé dans l'avant-corps est soutenu par d'imposantes consoles triangulaires, tandis que les autres reposent sur de simples modillons. La toiture est percée de deux lucarnes de formes différentes (simple fenêtre de lucarne à gauche et lucarne-pignon à droite), situées symétriquement à chaque extrémité de la façade et centrées par rapport aux baies du niveau inférieur.

La façade est décorée d'une frise en céramique située sous la corniche, qui s'interrompt au niveau de l'avant-corps. Elle y est remplacée par un motif sculpté de fruits. Enfin, les angles du fronton brisé sont décorés de deux masques sculptés.

La toiture brisée est couverte d'ardoises pour le brisis et de zinc pour le terrasson.

Au rez-de-chaussée, la disposition initiale a aujourd'hui disparu : la cour et les espaces annexes (laboratoire, espace de stockage, salle d'emballage) sont désormais réunies sous une toiture en appentis. Les étages, propriété privée, n’ont pas été étudiés. Il n’est donc pas possible de savoir si la construction s’est faite conformément aux plans de l’architecte, ni si cette dernière a été modifiée par la suite.

  • Murs
    • brique enduit
  • Toits
    béton en couverture, ardoise, zinc en couverture
  • Étages
    sous-sol, en rez-de-chaussée, 2 étages carrés, étage de comble
  • Couvrements
  • Élévations extérieures
    élévation ordonnancée sans travées
  • Couvertures
    • terrasse lanterneau
    • verrière
    • toit à plusieurs pans brisés pignon découvert
    • appentis massé
  • Escaliers
    • escalier dans-oeuvre : escalier tournant à retours avec jour en charpente
  • Jardins
    arbre isolé, carré de jardin
  • Techniques
    • céramique
    • décor stuqué
  • Représentations
    • pomme, raisin, tête d'homme, serpent
  • Précision représentations

    Les décors portés sont concentrés sur la façade sur rue. Une frise de céramique vernissée à motifs de pampres dans des tons gris-bleus est située sous la corniche du toit. Elle est due à l'entreprise Émile Müller. L'avant-corps est décoré dans les angles du demi-fronton de deux mascarons entourés de serpents, référence à la coupe d'Hygie des pharmaciens, et au centre, faisant le lien entre l'agrafe de la baie du second niveau et la table saillante sous la baie de l'étage de combles, d'un motif symétrique de pommes en chute.

    On retrouve un motif végétal dans le décor des gardes-corps des balcons et celui des balconnets.

  • Statut de la propriété
    propriété d'une personne privée

Cet immeuble fait partie des constructions luxueuses de Bapaume. A lui seul, l'épaisseur du devis descriptif est une indication du soin apporté à la construction... et des moyens financiers du propriétaire.

De nombreux détails du devis confirment le luxe de la maison : les portes intérieures sont vitrées en partie haute "à petits carreaux avec parclose", la cuisine, la salle de bain et les étages de chambres ont des placards ou penderies intégrés dès la construction, tous les chambranles des portes sont moulurés, le parquet en chêne du salon et de la salle à manger est posé au point de Hongrie, les planchers des étages sont en chêne (bien qu'ils ne soient posés qu'à l'anglaise) et non en sapin comme habituellement, toute la robinetterie est en cuivre, la salle de bain (et pas un simple cabinet de toilette !) est équipée d'une "baignoire en fonte émaillée Athénée n°436, d'un chauffe-bain au gaz Diamant et d'un chauffe-linge"... Il est prévu "le fourreautage du plafond de toutes les pièces pour l'installation de l’électricité" et des becs de gaz pour assurer le chauffage de toutes les pièces et pas seulement du salon et de la salle à manger comme c'est généralement le cas. Et pour ce qui concerne les peintures, "l'entrepreneur fera sans indemnité tous les essais demandés par l’architecte pour arrêter son choix". Enfin, les six cheminées en marbre confiées à une entreprise locale, ainsi que les décors en staff réalisés par la maison Baudson à Paris, font l'objet de devis séparés très détaillés. Si les chambres reçoivent une simple rosace, la salle à manger et le salon sont décorés d'une rosace centrale et de corniches et de "rosettes de coin grecs", et le plafond de la pharmacie, qui à lui seul coûte 1 600 francs (sur les 5 600 francs du poste staffs) comprend "une corniche à modillons, un cercle en tore [à motif de feuilles de] chênes, une moulure unie autour des écoinçons, 12 rosettes de coins grecs, un cœur central et 4 écoinçons [à motif de feuilles de] laurier".

L'élévation sur rue, ordonnancée sans travée, est une façade harmonique. Elle rend visible les fonctions et la distribution des espaces intérieurs : grandes baies pour les salon et les chambres, petites fenêtres qui éclairent les paliers... Il y a de plus une nette différence d'aspect entre la partie pharmacie mise en valeur par l'avant-corps, et la partie habitation tout à fait conforme à ce qu'on attend d'une grande maison bourgeoise (grandes baies, balcons, lucarne-pignon...). Il faut également remarquer la forme rectangulaire des baies qui n'est pas si fréquente sur les façades, la plupart des maisons ayant surmonté leurs fenêtres rectangulaires de linteaux légèrement cintrés. Comme il s'agit d'un commerce, la façade avant, dont la fonction publicitaire est primordiale, est traitée différemment de celle arrière : elle est enduite et non pas en briques apparentes, aucune partie en béton (en particulier les balcons) n'est laissée visible et elle est surtout très abondamment décorée : l'avant-corps lui même, qui ne correspond à aucune fonction architectonique, et les décors en stuc qu'il porte, ainsi que la frise de céramique vernissée. Seul un autre exemple de ce type de décor, sans doute également dû à la maison Müller, a été repéré à Bapaume. Il s'agit d'une maison d'habitation située au 17 rue du Faubourg de Péronne.

Il est pourtant difficile de définir le style de cette façade : on retrouve une légère signature Art Déco dans la géométrie de l'avant-corps, en particulier les redents du pignon, mais les mascarons et les pommes en chute qui le décorent rappellent le XVIIIe siècle, et la frise céramique se rattacherait plutôt à l'Art Nouveau. On a donc ici un bel exemple d'éclectisme.

La rareté des décors portés sur les façades des maisons et des commerces lors de la reconstruction de Bapaume, jointe à la présence de céramique vernissée ainsi qu'à la discrète présence de l'Art Déco, fait donc de la pharmacie principale une construction exceptionnelle, malgré les modifications apportées au cours des années.

Le rez-de-chaussée de l'immeuble a été profondément modifié depuis sa construction : le salon est devenu un espace de vente pour la pharmacie et la fenêtre est devenue une vitrine, le passage couvert qui menait à la cour a été transformé en couloir fermé par une porte piétonne en retrait de la rue et les grilles à deux battants en fer forgé qui le fermaient ont disparu. Les vues aériennes actuelles montrent que la partie arrière de l'immeuble a aussi été remaniée : la véranda semble avoir disparu, de même que les bâtiments techniques autour de la cour.

Documents d'archives

  • Détail des cotes utilisées :

    - recensement de 1901 : M 4267

    - recensement de 1911 : M 3595

    - recensement de 1921 : M 4285

    - recensement de 1926 : M 4309

    - recensement de 1931 : M 4346

  • AD Pas-de-Calais. Série R ; 10R9/8. Dommages de guerre. Secteur de Bapaume. Dossier 102. Valebs Carbonnelle-Thirriez : Habitation commerce : devis, marchés, cahier des charges, mémoire, facture, convention d'acompte, plans, document publicitaire.

    Liste des documents figurés utilisés dans la notice :

    - Propriété de M. Carbonnelle. Dessin de la façade principale sur la rue ; coupe du mur de façade. Signé et daté, Wignuiolle, 10 août 1921.

    - Propriété de M. Carbonnelle. Dessin de la façade sur cour. Signé et daté, Wignuiolle, 10 août 1921.

    - Propriété de M. Carbonnelle. Plan du sous-sol. Signé et daté, Wignuiolle, 10 août 1921.

    - Propriété de M. Carbonnelle. Plan du rez-de-chaussée. Signé et daté, Wignuiolle, 10 août 1921.

    - Propriété de M. Carbonnelle. Plan du premier étage. Signé et daté, Wignuiolle, 10 août 1921.

    - Propriété de M. Carbonnelle. Plan du deuxième étage. Signé et daté, Wignuiolle, 10 août 1921.

    - Propriété de M. Carbonnelle. Plan des combles. Signé et daté, Wignuiolle, 10 août 1921.

    - Propriété de M. Carbonnelle. Coupe transversale. Signé et daté, Wignuiolle, 10 août 1921.

    Devis, marchés, cahier des charges, mémoire, facture, convention d'acompte, plans, document publicitaire.

Documents figurés

  • Rue de Péronne. Carte postale, vers 1930 (coll. part.). La pharmacie Carbonelle est la quatrième maison à droite.

Annexes

  • Les matériaux de la reconstruction à Bapaume
Date(s) d'enquête : 2018; Date(s) de rédaction : 2019
(c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
Girard Karine
Girard Karine

Chercheuse de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.

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Articulation des dossiers
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