La rue de la République était peu construite avant-guerre. Elle a donc été une des premières à être réinvestie par les habitants car les travaux de déblaiements préliminaires à la construction étaient succincts. Le chalet est l'une des premières maisons à être reconstruite. Ainsi sur les 26 dossiers conservés aux archives du Pas-de-Calais, aucune construction antérieure à 1921 n'apparait et seuls 3 dossiers concernent une reconstruction ayant eu lieu en 1921, contre 12 entre 1923 et 1925 et 7 entre 1926 et 1932.
Contrairement aux autres maisons de la rue, elle est isolée au milieu de sa parcelle et entourée d’un grand jardin (presque quatre fois plus large que les jardins des autres maisons de la rue), qui s’étend à l’arrière jusqu’à la rue du Chemin Blanc. Elle respecte cependant les préconisations du PAE : retrait par rapport à la rue et alignement avec les autres maisons et clôture fermant le jardinet devant la maison.
La villa, de style éclectique, est sans doute une des plus originale de Bapaume. Les dossiers de dommages de guerre ne conservant que les devis et les plans, et non les échanges entre l’architecte et son client, ils ne permettent pas de déterminer avec certitude ce qui, dans cette construction, relève du choix du commanditaire ou des propositions de l’architecte. Mais une carte postale de la rue de la République prise avant-guerre montre que le Chalet Legay possédait déjà une architecture atypique, avec deux ailes perpendiculaires achevées par un haut pignon débordant et jointes par une tour surmontée d'un toit conique... qui a sans doute servi de guide au projet de Decaux et Crevel. Dans la nouvelle villa, tout concourt à l’originalité : la juxtaposition de volumes différents (tour ronde, avant-corps rectangulaire), d’élévations différentes (véranda à un seul niveau, partie centrale à trois niveaux), le jeu sur les matériaux (verre de la véranda, briques des murs, ardoise de la toiture), et la diversité des toitures (flèche de la tour, croupe du fronton-pignon, appentis du porche, croupette de la logette…).
Elle affiche d’emblée son caractère ostentatoire : si les matériaux principaux utilisés (briques, sapin et chêne) sont communs à la reconstruction, ils ne sont pas visibles. Ceux qui s’affichent sont luxueux (briques de Fouquereuil, pierre bleue et de Saint Maximim, panneaux en fer forgé sur la porte d’entrée, ardoise d’Angers en couverture…), surtout lorsque l’on connait la difficulté à se procurer des matériaux extérieurs à la région en 1921 alors que toutes les routes ne sont pas encore reconstruites. Les détails de l’aménagement intérieur ne le sont pas moins : le sous-sol de la maison est en ciment pavé de briques à plat et non en terre battue comme dans la plupart des maisons reconstruites, le mur de la cuisine est carrelé (et pas seulement peint), les murs du salon et des salles à manger sont lambrissés en partie basse… Il est à noter que pas une seule fois les mots ciment ou béton (qu’il soit armé ou non) n’apparaissent dans le devis ! Enfin, un certain nombre de pièces sont tout à fait exceptionnelles et confirment que l’on a à faire à une maison de riche propriétaire, comme la présence de deux salles à manger. Mais cela commence dès la cave où si certains espaces sont classiques, comme la citerne ou la cave à charbon, d’autres sont moins fréquents comme la buanderie ou la cave à vin, et d’autres encore, comme la cave à bière sont presque uniques et aucune autre mention d'une cave à légumes n'a été retrouvée dans les dossiers dépouillés ! Cependant, une autre maison associant cave à vin et cave à bière a été repérée dans les dossiers étudiés, rue du Faubourg de Péronne (10R9/44, dossier 662). Sa propriétaire, Mme Forgeois, est également veuve.
Mme Legay-Carpentier est la propriétaire la plus importante de Bapaume avec six ensembles immobiliers reconstruits : maison d’habitation personnelle rue de la République, maison à boutique rue de Péronne, maison individuelle rue du maréchal Leclerc (dossier dommages de guerre, 10 R 9/98, dossier n°1474, non identifiée) construite en 1925 pour 30 000 francs, maison à deux unités d’habitation Impasse de la Clef d’Or (dossier dommages de guerre 10 R 9/51, dossier n°745, non identifiée) édifiée en 1922 pour 112 000 francs, maison et 3 garages rue Gambetta (dossier dommages de guerre 10 R 9/109, dossier n°1745 ; fonds Decaux 45J104 et 45J551) construite en 1928 pour 121 000 francs et enfin, ensemble maison à trois unités d'habitation-commerce rue du Faubourg de Péronne. Pour toutes ces constructions, elle fait appel à Paul Decaux. A elle seule, Mme Legay-Carpentier représente 40% des constructions réalisées à Bapaume par Decaux (6 sur 15).
Si l’on compare les différents éléments de cet ensemble, étant entendu que le chalet Legay est vraiment "incomparable" (au sens étymologique), elles ne se ressemblent pas. En effet, à chaque fois, les architectes ont adapté l’élévation, la largeur de la façade, la distribution aux fonctions que devaient remplir ces constructions et les ont insérées dans leur environnement bâti. Ainsi, les maisons à trois unités d’habitation de la rue du faubourg de Péronne n’ont que deux niveaux de façade alors que la maison à boutique en a trois, cette dernière a pignon sur rue alors que la maison de la rue Gambetta et de l’Impasse de la Clef d’Or présentent leur mur gouttereau, le chalet Legay est isolé et situé en retrait de parcelle et non à front de rue… Cependant, quelques points communs émergent comme la prédominance de la pierre bleue pour les soubassements et de la brique de Fouquereuil (usine près de Béthune) pour le parement des façades, ardoises d’Angers en couverture et, hormis pour le chalet Legay, utilisation du béton armé pour les structures des baies et du ciment en enduit. Il faut surtout noter l’attention portée à l’apparence des façades, qu’il s’agisse du parement (brique pour le chalet Legay ou la boutique rue de Péronne mais enduit tyrolien pour la maison à trois unités d’habitation de la rue du faubourg de Péronne), d’éléments de structure comme les pignons et des lucarnes (maisons-commerce rue du faubourg de Péronne, maison à boutique rue de Péronne), ou des décors comme les jeux de calepinage de briques (maisons Impasse de la Clef d’or, maison à boutique rue de Péronne), le choix des matériaux luxueux comme la pierre bleue (chalet Legay, maison à boutique rue de Péronne) ou les décors portés au-dessus des baies ou sur les corniches et les tables (maison à boutique rue de Péronne, maisons jumelles Impasse de la Clef d’Or, maison de la rue Gambetta).
La typologie et la chronologie des constructions est représentative de la reconstruction à Bapaume : maison d’habitation personnelle pour commencer puis commerce qui contribue à la reprise économique (ici la maison à boutique de la rue de Péronne) qui sont construits dès 1921. Ils sont complétés un peu plus tard par des immeubles de rapport édifiés en deux étapes : maison à deux unités d'habitation de l'Impasse de la clef d'or et maison rue du Maréchal Leclerc en 1923 puis en 1927-28, ce qui correspond à la fin de la reconstruction, la maison individuelle de la rue Gambetta et l'ensemble de la rue du faubourg de Péronne.
Photographe au service régional de l'Inventaire général du patrimoine culturel.