A la fin des années 1930, sous le Front Populaire, s’amorce une démocratisation des loisirs et du sport. Cette massification des loisirs sportifs, et en particulier de la natation, s’intensifie après-guerre, grâce à la mise en place d’une véritable politique d’Etat en faveur du développement de la pratique sportive, accompagnée par la construction d’équipements de proximité. Cette politique conduit à redéfinir et à rationaliser la conception de la piscine, autant d’un point de vue architectural que fonctionnel.
I. Vers une étatisation des politiques sportives
1. Une idée en germe depuis les années 1930
Vers la fin des années 1920, le sport, et en particulier la question de l’équipement sportif, commence à s’imposer au niveau national, comme un objet incontournable de souci et d’action politique. La volonté de créer une structure institutionnelle chargée de concevoir et de contrôler cette politique publique relative au sport s’affirme de plus en plus. Cette idée est en germe depuis l’armistice, comme l’indique la réflexion d’Edouard Herriot, maire de Lyon : « Peut-être arriverons-nous ainsi peu à peu à la constitution d’un grand service central – ministère ou non – de l’Éducation physique » (Édouard Herriot, 1919).
Parallèlement, des revendications sociales se font entendre pour une meilleure accessibilité au sport par la classe populaire. Ces requêtes sont entendues par le Front populaire, qui initie une politique de démocratisation de la culture sportive, s’appuyant sur l’invention de notions telles que temps libre et loisirs. Dans le but de diffuser et de mettre en oeuvre cette conception du sport pour tous, est créé en 1937 (à l’occasion d’un remaniement ministériel), un sous-secrétariat d’Etat aux Sports, aux Loisirs et à l’Education physique (rattaché au ministère de l’Education nationale dirigé par Jean Zay), à la tête duquel est placé Léo Lagrange. Ce dernier entreprend une série d’actions, à la fois concrètes et symboliques, comme l’aide à l’équipement communal (dont la nécessité est rendue évidente par les conclusions d’un inventaire national des installations existantes) ou la création d’un Brevet sportif populaire. Cette conception du sport de masse n’obtient cependant pas la faveur de tous. On note d’ailleurs, dans le mouvement sportif national, le rejet d’une politique d’intervention autoritaire des pouvoirs publics. Si les actions du Front Populaire sont stoppées par la déclaration de la guerre, elles ont toutefois conduit à une véritable prise de conscience de l’enjeu politique sportif au niveau national.
Sous le régime de Vichy (juin 1940-juin 1944), est créé un Commissariat Général à l’Education Générale et Sportive (CGEGS), qui s’appuie sur le sport pour diffuser l’idéologie du gouvernement, prônant des valeurs de discipline, de redressement moral, physique et intellectuel et de retour à l’ordre. Dans ces années, où le sport est surtout un outil de propagande, s’esquissent toutefois de nouvelles prescriptions concernant l’architecture des piscines (qui se doit d’être épurée et rationnelle), et la volonté de rattraper le retard de la France en matière d’équipement sportif par rapport aux autres pays européens.
2. Quelques réalisations remarquables des années 1950
Au sortir de la guerre, la question sportive n’est pas une priorité et la période 1945-1957 se caractérise par une faible intervention publique. Malgré les constructions réalisées grâce à des politiques municipales sociales et volontaristes dans les années 1930, le nombre d’équipements sportifs, et en particulier de piscines couvertes et chauffées, est encore très faible par rapport à la moyenne européenne. Ce sous-équipement va rapidement poser problème, d’autant plus que l’accroissement démographique est en plein essor, entraînant une augmentation de la jeunesse et donc une recrudescence de la pratique sportive, parallèlement à une forte urbanisation. Si l’effort est d’abord porté vers la reconstruction (du secteur industriel et du cadre de vie : logements, services administratifs, voirie, etc.), les questions de la jeunesse, du sport, de l’éducation populaire et du plein air travaillent les esprits du gouvernement.
Dans les Hauts-de-France, de nombreuses piscines ont subi des dégradations pendant la guerre et nécessitent une rénovation (une grande partie des piscines cheminotes par exemple).
Le stade nautique olympique de Tourcoing est complété, en 1951, d’un toit en partie ouvrant, une première du genre, amené à un grand développement dans les deux décennies suivantes. Faute de moyens financiers suffisants (il existe des subventions, mais les moyens alloués à la Jeunesse et aux Sports restent faibles) et d’une volonté politique forte, le nombre de constructions de piscines entre 1945 et 1958 demeure restreint. Ainsi, à Lens, suite à la destruction du stade nautique pendant la guerre, la construction d’une nouvelle piscine est projetée dès l’après-guerre, mais faute de financement, il faut attendre les années 1960 pour que le projet aboutisse.
Les quelques installations nautiques nouvelles qui sont réalisées au cours des 1950, sous l’impulsion d’initiatives locales, sont majoritairement découvertes et ne sont donc exploitables que quelques mois dans l’année. Si ces édifices sont aboutis au niveau technique et architectural, ils ne sont pas en mesure de satisfaire les besoins en matière de bassins éducatifs praticables pendant l’année scolaire. Ils répondent plus à une volonté d’offrir à la population un équipement de loisirs sportifs. Il s’agit souvent de la réalisation de projets municipaux d’avant-guerre, n’ayant pas eu l’occasion de voir le jour.
Dans ces piscines des années 1950, le double bassin est définitivement adopté et elles répondent aux nouvelles prescriptions édictées dans les années 1940 en matière d’architecture sportive, qui se doit avant tout d’être fonctionnelle et pratique, largement ouverte sur l’extérieur par des baies vitrées, sa beauté résidant essentiellement dans l’harmonie de ses proportions et l’agencement de lignes géométriques pures.
Ainsi, dans l’Oise, la ville de Compiègne décide en 1949 (sous le mandat de Jean Legendre), l’édification d’une piscine en bordure de l’Oise, rendue possible grâce aux indemnités des dommages de guerre et de la reconstruction, ainsi qu’à une subvention élevée de la part du Secrétariat d’Etat à l’Enseignement technique, à la Jeunesse et aux Sports. La piscine, conçue par l’architecte-urbaniste de la ville, J. Gossart, est inaugurée le 1er juin 1952. Des bains-douches sont aménagés dans les sous-sols. Il s’agit d’un grand bâtiment blanc rectangulaire en béton armé, inséré sur la berge boisée de l’Oise, s’ouvrant en son centre sur les deux bassins de plein-air de la piscine (25 x 12,5 m et 8 x 12,5 m), avec un plongeoir à double hauteur (3 et 5 mètres). Les baigneurs surplombent l’Oise et évoluent dans un cadre propice à la détente, correspondant bien aux prescriptions d’avant-guerres recommandant la construction d’équipements sportifs et de loisirs en plein air, dans un environnement naturel. Les gradins d’environ 800 places, font également face à l’Oise. L’architecture est simple et fonctionnelle, sans aucun décor ; elle obéit à un modernisme pur et efficace. Elle est remarquable du fait de sa situation en bord de rivière, comme l’était également la piscine découverte de l’Hôtel-Dieu à Pontoise (Val d’Oise) construite en 1961 par l’architecte Jean Letu et aujourd’hui détruite. La piscine de Compiègne, ouverte de mai à septembre, connaît un grand succès, qui ne cesse de croître d’année en année. Fermée dès 1985 car son bassin souffrait de fuites (et remplacée par la piscine Mercières, construite en 1988), elle est aujourd’hui à l’abandon.
A Caudry (Nord), le stade nautique municipal est construit en 1951-1952, sur les plans d'Edmond Lancelle (1898-1957), architecte du Cambrésis actif pendant les deux périodes de reconstruction, grâce à la volonté du maire Albert Dhélin (maire de 1947 à 1965). L’architecte est associé à Marc Revaux, ingénieur-conseil spécialisé en construction de piscines. Son architecture semble inspirée de la piscine de Bruay-en-Artois et est similaire à celle du Cateau-Cambrésis, reconstruite en 1954 par la même équipe d’architecte-ingénieur. Elle allie le style Paquebot de l’Art Déco (présence d’oculi en forme de hublots) aux codes du mouvement moderne international des années 1950. Les bassins sont entourés sur deux côtés par les bâtiments des vestiaires, et sur le deuxième grand côté par des gradins surplombés par une terrasse avec buvette (dans l’angle). La forme de U renversé de l’élégant plongeoir associée à la ligne courbe du toboggan qui lui fait face, animent l’orthogonalité des alignements de cabines. Le portique d’entrée, reprenant ces lignes courbes, s’ouvre sur un guichet vitré aux formes dynamiques et sculpturales. La piscine est dominée par une grande tour-horloge, rythmant les séances de natation. On retrouve cette tour-horloge marquant l’entrée de la piscine, à la piscine olympique de la Scarpe à Arras (1955) et au stade nautique de Bapaume (Pas-de-Calais). A Bapaume, le bâtiment abritant l’accueil et les vestiaires est largement vitré et s’ouvre sur les bassins, entourés d’un portique. Son architecte, Emile Cauwet, est spécialiste de l’architecture scolaire (groupe scolaire Ferdinand-Buisson à Boulogne-Billancourt), industrielle et sportive, et prône une esthétique moderniste et fonctionnelle.
A Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), une piscine municipale est judicieusement intégrée au nouveau casino, bâtiment monumental, manifeste de l’architecture des années 1950, conçu par les architectes Sonrel et Bonhomme, et situé derrière la plage de la station balnéaire. La piscine, localisée au rez-de-chaussée, est vitrée sur deux côtés et donne vue sur la plage. Le bâtiment en béton armé, monté sur pilotis (rappelant l’architecture de Le Corbusier), est décoré sur ses façades extérieures de mosaïques réalisées par l’artiste Françoise Lelong. La façade côté plage s’ouvre par un portique avec terrasse.
Ainsi les piscines des années 1950, souvent d’une grande sobriété correspondant aux préceptes architecturaux du mouvement moderne, s’inscrivent dans la continuité des piscines de la fin des années 1930. Il faut attendre les années 1960 pour qu’une nouvelle impulsion soit donnée à l’innovation architecturale dans le domaine des piscines, grâce à la mise en place d’une véritable politique interventionniste de l’Etat en faveur de l’équipement sportif sous la Ve République, dans le cadre de trois lois de programme planifiant la construction d’équipements sportifs et socio-éducatifs. Ce nouveau cadre législatif se traduit par une "mise en administration" du bâti sportif par l’État1.
II. Les mesures mises en place entre 1961 et 1976 par l’Etat en faveur de la construction des piscines
A partir de la Ve République, le sport et la construction sportive sont désormais perçus comme un service d’intérêt public du ressort de l’Etat. Déterminé, l’Etat entreprend une série de mesures incitatives visant à créer un maillage de piscines publiques praticables en toutes saisons (la plupart des piscines étaient alors découvertes et non chauffées) sur l’ensemble du territoire national. L’objectif principal est que tous les enfants aient accès à un bassin pour apprendre à nager, et qu’ainsi soit enfin mis en application l’apprentissage obligatoire de la natation à l’école (dans les programmes depuis la fin du 19e siècle). La priorité des piscines des années 1960-1970 est donc portée vers la jeunesse et l’éducation.
1. Les lois programmes : une nouvelle politique économique en faveur de l’équipement sportif
Lors de l’instauration du premier gouvernement de la Ve République, est créé un Haut-commissariat (puis Secrétariat d’Etat) à la Jeunesse et aux Sports (rattaché au ministère de l’Education Nationale), dirigé par Maurice Herzog. Ce dernier souhaite impulser de manière urgente une politique de construction afin de combler le sous-équipement en matière d’édifices à destination de la jeunesse : "Notre objectif, notre seul objectif est de mettre à la disposition de notre jeunesse, les moyens de s’exprimer plus complètement. Nous voulons que des millions de jeunes Français puissent aller au stade, à la piscine, se rencontrer dans les Maisons de Jeunes" (Equipements pour la jeunesse et les sports, 1962). Cette volonté se concrétise le 28 juillet 1961, avec la promulgation, dans le cadre du IVe plan, de la première loi de programme, qui instaure, sur une durée de quatre ans (1962-1965), un plan assurant un financement national durable et concret en faveur des équipements sportifs et socio-éducatifs. Ce plan prend la forme de subventions élevées (représentant généralement entre 20 et 50% du coût total) destinées à aider de nombreuses collectivités locales dans leur projet de constructions sportives. Ces aides se poursuivent et sont même revalorisées lors de la deuxième loi de programme d’équipements sportifs (1966-1970), votée le 2 juillet 1965. La troisième loi (1971-1975), votée le 13 juillet 1971, montre une détermination encore plus forte de l’Etat à augmenter massivement le nombre d’équipements à grande échelle, en particulier dans les nouvelles zones urbaines, et à former des éducateurs, ceci pour favoriser le sport de masse pour tous. Ces années marquent en revanche le début du désengagement financier de l’État, que l’on discerne par la baisse progressive des montants des subventions accordées. Ces subventions sont bien sûr soumises à certaines conditions. Et, pour assurer et contrôler la qualité technique et le respect des normes des piscines construites, les municipalités doivent en faire valider les avant-projets par l’Etat.
Certains dossiers de subventions conservés aux Archives nationales montrent que de nombreuses municipalités des Hauts-de-France bénéficient de cette aide dès les années 1960 (par exemple les piscines de Lomme, de Noyon, de Chantilly, de Lens, etc.).
Ces lois de programmes d’équipements ne se résument toutefois pas à ces aides financières : l’Etat développe également des mesures permettant d’inciter plus efficacement les collectivités à entreprendre la construction d’une piscine, en facilitant leurs démarches administratives et en réduisant les coûts de construction.
2. L’agrément de modèles de piscines : normaliser, encadrer et faciliter la construction
Suite à l’application de la première loi de programme, le Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports, constate que les prix de revient des équipements sportifs sont fréquemment trop élevés et que les architectes municipaux chargés de ces constructions ne sont la plupart du temps pas qualifiés pour ce type de constructions complexes et techniques. D’où la volonté de normaliser et de rationaliser les équipements sportifs, notamment les piscines, et de contrôler les projets proposés par de plus en plus d’entreprises, de constructeurs ou de bureaux d’études aux collectivités. Dans ce but est créée le 25 mai 1963 une commission spéciale dont la mission est d’agréer, sur le plan technique, des projets-types d’équipements susceptibles d’être réalisés dans toute la France. La commission est composée de treize sièges et se réunit plusieurs fois dans l’année pour donner son avis sur les projets d’architecture présentés à l’agrément. Pour ce faire, elle se base sur les qualités techniques du projet, sur les possibilités d’adaptation de l’architecture aux terrains divers, ainsi que sur les qualifications professionnelles des candidats à l’agrément. A partir de 1967, la commission se montre plus exigeante sur l’esthétique, l’harmonie, et l’originalité architecturale.
L’objectif principal de cette commission était de pouvoir proposer aux collectivités un panel de modèles de piscines variées et conformes aux caractéristiques définies par l’Etat, livrables clefs en mains et ayant des prix fixes. Cette procédure de normalisation devait de cette façon, assurer la qualité des équipements construits en France ainsi qu’une plus grande rapidité de réalisation. Le premier numéro de la revue Piscines informations résume avec enthousiasme tous les avantages que présente pour les municipalités le choix d’un projet-type agréé, se faisant ainsi le relais des services de l’Etat : "Plus que jamais, ces projets-types agréés sont la solution simple et économique. Prix plafonnés, projets clairement déterminés, normes parfaitement respectées, marché de gré à gré, financements faciles et par conséquent, réalisations rapides, tels sont les principaux avantages que permet d’obtenir le choix d’une exécution conforme à un projet-type agréé". Tout est mis en oeuvre pour inciter les collectivités à s’orienter de préférence vers un projet-type. Une documentation fournie permet en outre d’aider les maîtres d’ouvrages à choisir un programme (nombre et taille des bassins, piscine couverte ou non, etc.) adapté aux besoins de leur commune, notamment en fonction du nombre d’habitants.
Il faut attendre 1966 pour que les premiers projets-types soient validés par la commission d’agrément, qui est alors placée sous la responsabilité du nouveau ministère de Jeunesse et des Sports, créé en janvier 1966. La procédure d’agrément est un succès auprès des constructeurs, ingénieurs et architectes. Ils sont ravis de pouvoir bénéficier de ce moyen permettant d’officialiser leurs projets, et mettent à profit leur savoir-faire et leurs idées au service de l’élaboration d’une nouvelle architecture des piscines. Ainsi, parmi les 134 projets-types validés par la commission d’agrément entre 1966 et 1971 (date de mise en arrêt de la procédure), on compte 64 modèles de piscines. La plupart de ces projets présentent des programmes simples et polyvalents, avec un ou plusieurs bassins susceptibles de s’adapter à différents besoins. Avant le lancement de la procédure, toujours dans le but de promouvoir l’apprentissage de la natation, le secrétariat d’Etat avait également agréé trois modèles de piscines-écoles, bassins de natation découverts ou couverts. Ces piscines scolaires, en matériaux préfabriqués, sont constituées d’un bassin métallique suspendu sous lequel sont situées les cabines de change et les installations techniques. Une carte postale montre un de ces bassins découverts (type PF) construit à Barlin (Pas-de-Calais).
Seuls certains de ces modèles agréés ont eu du succès et ont été sélectionnés à plusieurs reprises par les municipalités mais ils n’ont pas véritablement été construits à grande échelle. Pour "vendre" leurs piscines, les constructeurs n’hésitent pas à vanter les avantages de leurs projets agréés à travers de nombreuses publicités diffusées dans la presse spécialisée2, ou grâce à des brochures publicitaires envoyées aux municipalités. Dans les Hauts-de-France, on dénombre onze modèles adoptés une ou plusieurs fois par les communes, conduisant à la construction de vingt-trois piscines couvertes. Certains modèles de piscines sont construits avant que les architectes en demandent l’agrément : par exemple la piscine S.5 de l’architecte Michel Denisse, qu’il met en oeuvre dans sa ville natale, Hénin-Liétard, et pour le district urbain de Montreuil-sur-Mer en 1966, alors qu’il n’obtient l’agrément qu’en 1967. C’est le cas également pour la piscine couverte de Cambrai, inaugurée en 1964, qui sert de prototype à Pierre Prod’homme et René Lancelle (architectes à Cambrai) avant de proposer à l’agrément un modèle de piscine.
On relève toutefois que, si la commission privilégie l’agrément de piscines couvertes ou transformables (c’est-à-dire pouvant s’ouvrir aux beaux-jours), en ne validant qu’un seul modèle de piscine de plein-air, c’est encore ce type qui est majoritairement construit en France, en raison de son faible coût de fabrication.
Ainsi les résultats de la procédure d’agrément sont plutôt satisfaisants mais pas suffisants pour l’Etat qui souhaite intensifier davantage l’implantation de piscines publiques exploitables toute l’année en France, en particulier dans les petites et moyennes communes, ou les quartiers populaires de grandes agglomérations, dont les budgets sont très modestes et qui n’ont pas pu bénéficier de l’élan de construction des décennies précédentes. Pour ce faire, le ministère de la Jeunesse et des Sports, lance, suite à l’organisation de plusieurs concours d’architecture sur le thème des piscines économiques et transformables, une opération nommée « Mille piscines » visant à une répartition uniforme et égalitaire des piscines sur tout le territoire, afin que désormais tous les enfants puissent apprendre à nager. La création d’un réseau d’équipements natatoire apparaît d’autant plus nécessaire depuis la décentralisation de l’enseignement du second degré en 1964 et la création de collèges d’enseignement secondaires (CES) dans des petites villes.
3. L’opération "Mille piscines" : une industrialisation totale des piscines pour équiper le territoire à grande échelle
Mise en place de l’opération Mille piscines
La troisième loi de programme prévoit, en 1971, la réalisation prioritaire, entre autres équipements, d’un millier de piscines (dont 850 industrialisées et 150 destinées à la compétition) en quatre ans (1972-1976). Cette opération, appelée "Mille piscines", entre dans la continuité des volontés étatiques édictées depuis le début de la Ve République en matière d’équipement natatoire, mais elle est également motivée par deux évènements qui ont frappé l’opinion publique à l’été 1968 : la noyade de 150 personnes, dont une majorité d’enfants, suite au naufrage d’un bateau de plaisance sur le lac Léman à moins de 50 mètres de la rive ; et les mauvaises performances des nageurs français aux jeux Olympiques de Mexico. Le général de Gaulle donne alors pour mission à Joseph Comiti, secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, d’équiper la France d’un maximum de piscines afin d’enseigner la natation à toute la jeunesse française.
Devant l’importance de l’objectif à atteindre : mille piscines, pouvant s’adapter aux possibilités financières souvent limitées des petites et moyennes communes (de 8000 à 15000 habitants) et dont le programme doit concilier l’apprentissage de la natation, la détente et l’entraînement sportif quelle que soit la saison , le secrétariat d’Etat oriente résolument la recherche vers le développement de techniques de préfabrication et d’industrialisation totale de l’architecture, afin de pouvoir produire des piscines en grande série à moindre coût (le prix de revient doit être situé autour de 1 200 000 francs). Pour augmenter l’efficacité et la rapidité de l’opération, l’Etat centralise et facilite le processus administratif (conception et passage des marchés), assure le suivi des réalisations et des travaux, devenant ainsi le maître d’ouvrage des opérations, dont il subventionne largement le coût auprès des villes qui se portent acquéreurs. Les municipalités doivent seulement fournir le terrain et se décider pour un modèle de piscine parmi ceux proposés. A noter que l’Etat se réserve toutefois de refuser ce choix et d’attribuer un autre modèle à la commune, compte tenu des obligations liés aux marchés de série. Pour aider à choisir et expliquer les démarches à mettre en oeuvre, le secrétariat d’Etat diffuse auprès des communes intéressées une documentation abondante et incitative (dépliants, brochures, albums techniques, etc.). Ce système très rationalisé laisse donc peu de marge de manoeuvre aux petites communes qui, si elles souhaitent s’équiper rapidement d’une piscine, sont quasiment obligées de passer par ce système. Ainsi, il s’agit, selon Patrick Facon (2006), de "construire plus vite, moins cher, sans viser d’emblée la perfection – mais en donnant des outils même rudimentaires dans les meilleurs délais".
Dès 1970, l’Etat amorce le lancement de cette opération avec la création de 50 "bassins d’apprentissage mobiles" (B.A.M.), dont la fabrication, la conception, le montage et la mise en service sont réalisés par deux entreprises sélectionnées sur concours en 1969 : Walrvae Nausicaa et la société Techniques et Loisirs. Ces bassins de 12,5 x 6 m, peu onéreux et facilement mis en oeuvre, en service d’avril à septembre, sont à affectés par roulement à des communes ne possédant pas d’établissement natatoire. Ils ont pour but de faire patienter les municipalités pendant l’avancée de l’opération "Mille piscines", et de sensibiliser, en attendant, les futurs usagers des piscines industrialisées et ainsi amorcer le développement de la pratique massive de la natation à l’école. Ce service rencontre un grand succès et le secrétariat passe une deuxième commande de 45 B.A.M. en 1972. Ces installations ont été mises en service dans plus de 700 communes jusqu’en 1976 (date fin de l’opération "Mille piscines").
Les concours nationaux d’idées de 1969
Précédant le lancement de cette opération, l’Etat avait organisé en 1969 et 1971 des séries de concours d’architecture nationaux sur le thème de la piscine, qui devaient conduire à une sélection de modèles de piscines facilement industrialisables. Les deux premiers concours sont lancés le 22 mai 1969 et ont pour objectif de recenser et de comparer toutes les idées nouvelles en matière de piscine. Ces concours sont avant tout ouverts aux architectes, contrairement aux agréments qui mobilisent plutôt des entreprises.
Le premier concours porte sur les "piscines transformables", confirmant l’orientation voulue par le ministère de favoriser la construction d’équipements conciliant, en un seul équipement, les bénéfices d’une installation de plein-air et d’une piscine couverte. Les architectes doivent imaginer une piscine ouverte aux beaux-jours, destinée aux agglomérations moyennes et aux quartiers de grandes villes et comportant les équipements suivant : un bassin sportif de 25 m sur 15 m équipé d’un plongeoir, un bassin d’apprentissage de 15 sur 12,5 m, une pataugeoire de 30 m2 et des annexes fonctionnelles et techniques.
Le second concours concerne les "piscines économiques". Le programme, plus dépouillé, visant à l’économie tant du point de vue de la construction que de la gestion, correspond aux besoins des petites villes : un bassin mixte de 25 m sur 10 m (dont la profondeur varie de 0,7 à 2 m) permettant de nombreuses activités (baignade familiale, entraînement sportif, apprentissage, compétition, détente) et des annexes fonctionnelles et techniques. Comme pour le premier concours, la façade ou la toiture doit être largement ouvrable. L’architecte doit également prévoir la possibilité d’extensions par l’ajout de bassins de plein air.
Ces deux concours connaissent un grand succès : d’après Joseph Comiti, 400 architectes s’y sont intéressés et 150 projets ont été reçus. Neuf avant-projets de piscines transformables sont retenus et quatre pour les piscines économiques. Ces projets, d’une grande originalité, présentent tous des systèmes inédits de toitures ou de façades escamotables permettant l’ouverture complète de la piscine sur l’extérieur. La piscine Tournesol de Bernard Schoeller remporte le premier prix aux deux concours. Robert Hirt gagne le deuxième prix pour les piscines transformables, tandis que le deuxième prix pour les piscines économiques est attribué à la piscine Caneton de Jean-Paul Aigrot, Franc Charras et Alain Charvier. Tous les avant-projets primés doivent normalement faire l’objet d’un prototype en vue d’étudier les possibilités concrètes d’une industrialisation. Mais au final, peu de projets s’y prêtent véritablement. Quelques projets du premier concours sont construits à titre expérimental, et seuls les deux premiers projets lauréats au concours des piscines économiques (Tournesol et Caneton) sont retenus en février 1970 par le secrétariat d’Etat pour la poursuite des études techniques en vue d’une construction en série. Les architectes sont mis en contact avec le bureau d’études SERI-Renault pour approfondir leur projet, puis un appel d’offres international pour les différents lots (tous les éléments doivent être préfabriqués en usine) est lancé en août 1971 pour la construction de prototypes. Pour la réalisation de la coque de la piscine Tournesol, c’est la proposition de la société Durafour qui est retenue, et l’entreprise générale GBA pour la piscine Caneton. Les prototypes primés sont construits à Nangis (Seine-et-Marne) pour la piscine Tournesol et à Salbris (Loir-et-Cher) pour la piscine Caneton. Après une année d’observation et de fonctionnement, les marchés en série sont conclus en décembre 1972 et les premières piscines Tournesol et Caneton sont construites sur tout le territoire national à partir de 1973. Il est prévu de construire 250 exemplaires de chaque piscine. En réalité, 183 piscines Tournesol ont été réalisées en France, et 196 piscines Caneton.
Le concours « Conception-Construction » de 1971
Afin de diversifier le choix des types de piscines proposés aux communes dans le cadre de l’opération Mille piscines, le secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, organise en juillet 1971 un second concours national, appelé "Conception-Construction", qui vise à "épuiser totalement les possibilités de novation et de concurrence" (c’est-à-dire ne plus restreindre l’exclusivité des marchés de série à quelques groupes d’entreprises3. Contrairement aux concours de 1969, celui de 1971 est réservé aux équipes d’architectes et de constructeurs déjà titulaires d’un agrément de projet-type de piscine ou ayant reçu un avis favorable. L’ouverture du concours à ces groupements qualifiés, qui connaissent les problèmes spécifiques des piscines, permet d’assurer à l’administration une meilleure faisabilité des projets présentés, associée à un véritable engagement de prix. Portant sur l’étude et la réalisation en série de piscines industrialisées, le programme est similaire à celui des piscines économiques : une piscine couverte, largement découvrable pour permettre aux baigneurs de profiter des bienfaits du soleil, équipée d’un bassin de 25 x 10m, complété par des annexes fonctionnelles et techniques. Le concours vise à la construction de séries plus réduites de piscines (entre 50 et 200). Parmi les 31 projets présentés, quatre sont retenus, et au final seulement trois seront ouverts aux marchés de série : les modèles Plein Soleil (architectes J-M. Legrand, J. Rabinel et J. Debouit en association avec l’entreprise Baudin-Châteauneuf), Plein Ciel (Charles Le Chevrel et la société Baffrey-Hennebique) et Iris (J.-C. Dondel, P. Lesage et J-L. Noir avec l’entreprise Foulquier G.E.R.I.F.). L’architecture de ces piscines est d'apparence modeste (plan rectangulaire, divisé en deux parties : bassins et annexes) mais elles proposent des solutions techniques novatrices de toitures coulissantes ou baies mobiles pour permettre leur ouverture. En tout, 58 piscines Plein Ciel sont construites en France, 55 Plein Soleil et 55 Iris. On relève que, tout comme certains projets-types de piscines agréés (Albatros, Ombelia, Rieuse), les cinq modèles sélectionnés pour l’opération Mille piscines portent des noms évocateurs, faisant référence à la jeunesse, à la joie de vivre, au soleil, à la liberté et au plein-air.
Pour éviter la monotonie et contenter les municipalités désireuses de personnaliser leur équipement, ces dernières ont le choix entre différentes options ou adaptations permettant d’individualiser chaque modèle. Les options portent généralement sur les couleurs (par exemple la coque de la piscine Tournesol se décline en six couleurs, comme pour une carrosserie de voiture), le choix entre différentes fresques décoratives géométriques aux couleurs vives, ou différents habillages pour les façades extérieures (la piscine Caneton propose de cette façon le bois clair ou foncé, la brique, l’aluminium, l’ardoise). Ainsi, ces piscines livrées "clés en main" se rapprochent en tous points du concept de l'objet industriel fabriqué en série, à l’image d’une voiture, que le propriétaire va pouvoir personnaliser en fonction de ses préférences. Elles sont en outre toutes dotées d’un logotype facilement reconnaissable (par exemple un caneton stylisé pour la piscine Caneton), symbolisant la "marque" de la piscine.
Des améliorations techniques et dans les prestations, des modifications de matériaux, sont apportées au fur et à mesure des réalisations. Par exemple, les portiques qui constituent l’ossature principale du bâtiment de la piscine Caneton sont d’abord prévus en contreplaqué peint, avant d’être remplacés par du bois lamellé-collé. Si l’opération Mille piscines est supposée s’arrêter en 1976, elle se poursuit en réalité jusqu’au début des années 1980. Prenant en compte les nouveaux besoins des usagers et les nouvelles exigences en matière d’économie d’énergie, Bernard Schoeller tente d’améliorer et propose des variantes de la piscine Tournesol : ainsi, une pataugeoire peut être ajoutée (c’est le cas à Beauvais, dans l’Oise), un récupérateur de chaleur et des capteurs d’énergie solaires peuvent être installés. Et dès 1976, le cabinet d’architectes Bernard Schoeller et Associés, en collaboration avec la société Durafour, s’efforce de mettre au point une seconde génération de piscines Tournesol, avec une coupole plus simple, intégrant l’ossature métallique porteuse aux éléments de couverture. Un prototype de cette coupole (nommée Alfa puis Pervéa) est appliqué pour la piscine de Douvrin (Pas-de-Calais) en 1980 (aujourd’hui à l’abandon), mais celui-ci ne connaîtra pas de suites. L’architecte tente également d’appliquer cette coupole à un cercle de loisirs polyvalent, pouvant s’adapter à des programmes variés (patinoire, salle des fêtes, salle de sports).
L’opération Mille piscines n’a pas abouti à la construction de 850 piscines industrialisées, comme le stipulait la troisième loi de programme. Elle a toutefois largement profité à la région des Hauts-de-France (en particulier aux départements du Nord et du Pas-de-Calais, où la densité de population est très élevée) : on y dénombre 35 piscines Tournesol, 24 piscines Caneton, 3 piscines Plein Soleil (Doullens), 4 piscines Plein Ciel et 5 piscines Iris. Le Nord, fortement urbanisé, est le département français qui comprend le plus de piscines Tournesol, qui sont au nombre de vingt.
III. Une architecture innovante
Les années 1965-1975 sont la période la plus prolifique de l’histoire de l’architecture des piscines. Cette époque est d’ailleurs appelée "croissance innovante" par Gérard Monnier (2000). En effet, boostée par la politique volontariste de l’Etat, qui soutient les expérimentations, les innovations et les avancées technologiques, et stimulée par l’économie florissante des Trente Glorieuses, l’architecture des piscines connaît un profond renouvellement. Ce dernier est caractérisé par des structures expérimentales (structures gonflables, voiles tendues, coques de béton, charpentes tridimensionnelles, structures métalliques, etc.), des technologies de pointe (permettant, entre autres, l’amélioration de l’acoustique, l’optimisation de l’ambiance thermique et de la ventilation), des procédés de construction apportant un nouveau rapport à l’architecture (utilisation d’éléments préfabriqués en usine) et des matériaux innovants conduisant à une esthétique moderne (généralisation du métal, béton précontraint, bois lamellé-collé, plastique). Des collaborations fécondes entre architectes, constructeurs et ingénieurs-conseils conduisent à réinventer complètement les formes traditionnelles de la piscine, aussi bien du point de vue technique qu’esthétique. De nombreux exemples prouvent que fonctionnalité et technicité ne sont pas antinomiques de plasticité.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, l’industrialisation de la construction et la normalisation voulue par le secrétariat d’Etat n’a pas enfermé l’architecture des piscines dans quelques modèles produits à grande échelle. Au contraire, la période est marquée par une grande diversification et une complexification de l’architecture nautique. Les concours nationaux et les expérimentations financées par l’Etat sont à l’origine d’une véritable émulation architecturale.
1. Les années 1960 : des équipements de prestige faits "sur-mesure"
Selon Marc Gaillard (1981), on peut distinguer deux générations de piscines construites dans les années 1960-1970. La première, entre 1960 et 1972 (avant la mise en place de l’opération Mille piscines), se caractérise par la construction d’équipements émanant de volontés municipales. Les prestations sont généralement ambitieuses et le programme important, souvent à vocation sportive voire olympique. L’architecture, volontairement ostentatoire et singulière, est destinée à accroître le prestige de la commune. Cependant, ces programmes engagent des coûts de construction élevés et des frais de gestion importants. Il en résulte qu’ils ne peuvent être financées que par de grosses collectivités, et avec l’aide de subventions.
Ainsi, dans le nord de la France, de nombreuses moyennes ou grandes villes, possédant souvent déjà un bassin de natation (mais la plupart du temps découvert et ancien), souhaitent moderniser leur offre en matière d’équipement aquatique sportif et entreprennent des projets de construction de piscines couvertes ou mixtes (c’est-à-dire à la fois couvertes et découvertes) à plusieurs bassins. Les villes de Valenciennes, de Dunkerque, d’Arras, de Lille, de Lens, d’Amiens, de Béthune, de Liévin et d’Abbeville se dotent ainsi de nouvelles piscines comprenant un bassin de compétition de 50 mètres ; Calais et Saint-Omer optent pour un bassin plus modeste de 25 mètres. Ce bassin est souvent complété par des tribunes pour les spectateurs, un bassin d’apprentissage, un plongeoir, parfois par une fosse de plongée (à Abbeville et à Lille), et par différents équipements annexes comme un bar, un restaurant ou un sauna. Ces piscines sont conçues par des architectes locaux : il s’agit donc fréquemment de leur seule réalisation de ce type d’équipement. Elles sont toutefois souvent très travaillées et témoignent de la volonté du maître d’oeuvre et du maître d’ouvrage d’offrir un équipement "sur-mesure" à la population. L'architecture de ces complexes nautiques est impressionnante par leur ampleur. Ces piscines sont toutes largement ouvertes sur l’extérieur par de grandes baies vitrées, parfois prolongées par un solarium extérieur, permettant de répondre à la mode de l’héliotropisme des années 1960-1970. Leur architecture se distingue par la mise en oeuvre d’éléments structurels innovant, ou de matériaux ou éléments décoratifs originaux. Par exemple, la piscine olympique Marx-Dormoy de Lille dessinée par l’architecte André Lys, est couverte par une série de onze coques en béton précontraint d’une portée de 45 mètres et de profil pyramidal. Cette toiture en dents de scie participe autant à donner une esthétique étonnante au bâtiment, qu’à réduire la propagation des sons. Le souci décoratif se prolonge sur les façades extérieures, qui sont ornées de mosaïques bleu outremer. De même à Calais, la piscine Emile-Ranson est également parée sur sa façade principale de carreaux de céramique émaillée bleue. Pour le plafond de la piscine, l’architecte Jean Soupey imagine d’apposer des lignes de petites pyramides renversées, en staff vernissé, dont le but est de limiter les effets d’écho. A Saint-Omer, la façade moderne de la piscine conçue par Maurice Ego surprend dans le centre historique de la ville. Elle est rythmée sur toute sa hauteur par d’imposants portiques métalliques qui se rejoignent en V au niveau du rez-de-chaussée. Abritant les bassins, le rez-de-chaussée s’ouvre par de grandes baies vitrées, tandis que la façade de l’étage (où se trouve une salle de sport) est soulignée par une large bande décorative géométrique en fibro-ciment.
A Valenciennes, Dunkerque, Amiens et Arras, les architectes utilisent des arcs en bois lamellé-collé, pour couvrir sans appui intermédiaire la grande portée du bassin olympique. Cette technique du bois lamellé-collé (constitué de petites lamelles de bois assemblées par collage) est fréquemment employée dans l’architecture nautique à partir des années 1960, du fait de sa souplesse d’utilisation et d’adaptation, sa facilité de mise en oeuvre (les pièces de grande portée sont fabriquées en usine avant d’être montées directement sur le chantier), de sa résistance à l’humidité, de sa légèreté (à résistance égale le lamellé collé est huit fois moins lourd que le béton et trois fois moins lourd que l’acier) et de son coût peu élevé (par rapport au bois massif). Le bois confère également une ambiance chaleureuse et un confort acoustique à la halle des bassins. Certains architectes s’en font une spécialité, comme Jean Doldourian (Agence à Vaudricourt) qui met à profit ce matériaux pour la construction d’églises (Arnouville-lès-Gonesse, Église Notre-Dame-de-la-Paix), ou d’équipement sportifs (le stade d’athlétisme couvert de Liévin), dont un modèle de piscine agréé qui séduit de nombreuses municipalités (par exemple Soissons, Villeneuve-d’Ascq, Wattrelos, Ronchin).
Certaines municipalités font également appel à des agences d’architectures reconnues, misant sur des réalisations aux partis pris architecturaux affirmés. C’est le cas pour la spectaculaire piscine du front de mer de Berck (Pas-de-Calais), réalisée par les architectes Henri-Pierre Maillard et Paul Ducamp, en association avec l’ingénieur François-Xavier Brochard, spécialiste du bois lamellé-collé, pour la structure de la remarquable charpente. De plan rectangulaire, le bâtiment se démarque par son imposante toiture à longs pans courbes au profil dynamique, au sommet tronqué en biais. Les murs-pignons constituant les façades côté plage et côté ville, entièrement vitrés, sont rythmés par des jeux de meneaux verticaux et horizontaux. Ces façades vitrées encadrent et soulignent la monumentalité des arcs courbes de la charpente, et créent des communications visuelles avec l’environnement urbain et côtier. D’après Marc Gaillard (1981), "l’association du bois, du métal et du verre, les contrastes des surfaces transparentes et des surfaces totalement opaques, le profil savant de la toiture et sa coloration font de cette piscine l’une des plus belles réalisations architecturales à caractère sportif réalisée en France".
A Château-Thierry, la municipalité choisit les architectes Olivier Vaudou et Raymond Luthi (qui viennent de créer leur agence à Paris, en 1966), pour la construction de la piscine localisée sur un site paysager en bord de la Marne et à proximité d’un camping. L’objectif de cet équipement est de répondre au fort accroissement démographique que connaît la commune à ce moment. Le parti pris des architectes est ici d’intégrer la piscine de manière fluide et harmonieuse au sein de l’environnement. Ainsi, le bâtiment accueillant les bassins est constitué d’une ossature métallique apparente, permettant de vitrer entièrement les façades sur trois côtés (le quatrième étant réalisé en brique car donnant sur la rue). Ces vitrages donnent l’impression aux baigneurs de nager en immersion au milieu du paysage environnant. Cette sensation est renforcée par le fait qu’il s’agit de bassins à débordement. Le choix de cette structure métallique – réalisée grâce à l’expertise et les conseils des ingénieurs Louis Fruitet (spécialisé dans les constructions métalliques) et Jean Prouvé – a également été déterminée du fait d’un impératif technique : porter le moins possible, car une nappe phréatique se trouve sous la piscine. La structure métallique permet une réduction des points d’appuis et du poids de la charpente à 100 tonnes, conférant ainsi une grande légèreté physique au bâtiment. Les deux bassins (25 m x 12,5 m et 15 x 10 m) sont maintenus en équilibre au-dessus de la nappe phréatique grâce à des vannes hydrostatiques et le bâtiment d’annexes (accueil, vestiaires, bureaux, rangement du matériel, infirmerie) a été traité sous forme d’un bâtiment séparé pour mieux répartir la pression totale exercée sur le sol meuble. A l’intérieur, une mezzanine suspendue au-dessus du petit bassin permet d’observer l’ensemble et dynamise le volume intérieur en apportant une variation à la hauteur sous plafond.
Parallèlement à la construction de ces équipements remarquables, des piscines couvertes ou découvertes, à l’architecture et aux prestations plus modestes voient également le jour au début des années 1970 grâce à la volonté de certaines municipalités, qui préfèrent faire appel à un architecte local plutôt que de passer par la procédure des projets-types agréés.
2. La piscine transformable ou la création d’une nouvelle typologie de piscines
La piscine des années 1960-1970 doit répondre à une démocratisation massive de la natation, sport qui associe l’effort physique à une impression de loisir. La piscine doit pouvoir être utilisée autant par les sportifs que par les scolaires et par la jeunesse pendant les vacances. Pour répondre à ces besoins de polyvalence et de souplesse d’exploitation, le secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports oriente la recherche et la réflexion vers de nouvelles solutions techniques afin de créer des piscines associant, en un seul équipement, les avantages d’une piscine couverte chauffée (apprentissage de la natation et entraînement sportif possible en toutes saisons), aux agréments d’un bassin de plein-air (plaisirs de la baignade estivale à l’air libre et au soleil ; communication directe possible avec des aires de jeux, solarium et des espaces verts environnants). Diverses solutions apportées par les architectes, ingénieurs et constructeurs, pour réaliser ce type de piscine "transformable" ou "tout-temps", sont testées à titre expérimental : structures gonflables, voiles tendus rétractables (développés par Roger Taillibert), ou encore structures mobiles. Cette dernière solution est exploitée pour la première fois de manière aboutie à la piscine de Noyon dans l’Oise, en 1967-1968. La réalisation de cette piscine, financée et encouragée par l’Etat, fait suite à plusieurs expérimentations de toits ouvrants plus ou moins complexes : à Tourcoing, en 1951, à Auch en 1967 et à la piscine Keller de Paris en 1967. Pour la piscine de Noyon, la société Mac Gregor-Comarain (initialement spécialisée dans les panneaux de cales métalliques et mobiles de navires), en association avec les architectes Jean Tabanou et Claude Charpentier, met au point un système où ce n’est plus seulement le toit qui peut s’ouvrir, mais l’ensemble de la structure recouvrant la piscine.Ce système de structure ouvrable est exploité par plusieurs autres projets-types agréés (par exemple la piscine Ombelia (Quiévrechain), ou la piscine Rieuse (Senlis et Corbie), mais connaît surtout un grand développement au moment des concours de l’opération Mille piscines, dont le programme visait spécifiquement à la création de piscines transformables.
Le prototype de la piscine de Robert Hirt, lauréat du deuxième prix au concours de 1969 sur les piscines transformables, est construit dans l’Oise à Liancourt, en 1971, en association avec la société Cotechnipp. Elle se compose d’un bâtiment de plan circulaire, divisé en deux parties semi-cylindriques, l’une fixe (abritant hall d’entrée, vestiaires, sanitaires, etc.), l’autre mobile (abritant les bassins). En fonction des besoins, la partie mobile, qui vient s’encastrer dans la partie fixe, peut être ouverte complètement ou partiellement. Cette structure mobile est soutenue par des piliers périphériques en forme de V, dotés de galets de roulement permettant la rotation de la structure sur un rail circulaire.
La plus connue de ces piscines transformables reste la piscine Tournesol de Bernard Schoeller, lauréate du premier prix aux concours sur les piscines transformables et économiques de 1969. Son architecture moderne, voire futuriste, dont on retient cette coupole colorée percée de hublots ovoïdes et s’ouvrant au soleil à l’image d’une fleur de Tournesol, a su s’intégrer dans des sites urbains et paysagers variés en France. Emblématique d’une génération, elle a marquée durablement les esprits : "Au détour d’une route, on aperçoit soudain émerger de l’herbe haute une coupole basse, clignant des hublots… Un vaisseau spatial ou le temple d’une religion nouvelle ? Tout simplement la piscine Tournesol, dont l’esthétique résolument moderne utilise des lignes pures, des matériaux sobres qui ne polluent pas le paysage, et trouvent leur place dans tout environnement. L’absence totale de canalisations apparentes et la perfection des solutions de continuité lui donnent l’aspect luxueux du sur-mesure. On peut même souhaiter que des jeunes gens qui s’y rendent pour les joies de l’eau y découvrent pourquoi pas ? Le goût de l’architecture".4 Les bassins ainsi que les annexes sont couverts par une coupole, dont la base est un cercle de 35 m de diamètre et la hauteur de 6 mètres au niveau de l’axe central. La coque est formée d’une charpente autoporteuse constituée de 36 arcs en acier, dont 12 escamotables, composés d’une structure tridimensionnelle en treillis soudés. Cette structure métallique mise au point par l’ingénieur Thémis Constantinidis et la société Durafour, sont recouverts par des tuiles en plastique (produites par la société Matra plastique) et des éléments d’isolation pour la première génération de piscines. Pour la deuxième génération, les tuiles plastiques sont remplacées par des panneaux sandwich constitués d’une coque moulée en polyester armé de fibre de verre et d’un coeur en mousse phénolique ininflammable. La coque comprend une partie fixe et deux parties mobiles, qui pivotent autour d’une rotule centrale, sur 60° chacune, permettant un angle d’ouverture maximum de 120°, dégageant ainsi une grande partie des bassins et des plages (en seulement deux minutes et trente secondes).
La piscine Caneton d’Aigrot, Charras et Charvier, est quant à elle constituée d’une série de six portiques auto-stables en bois lamellé-collé, qui supportent une toiture composée de panneaux en PVC fixes et mobiles. Les parties mobiles, coques translucides situées au-dessus du bassin, coulissent sur des rails, permettant l’ouverture de la moitié de la surface du bâtiment en seulement deux minutes. Cette trouée zénithale est complétée par une ouverture latérale grâce à des panneaux-portes vitrés pivotants qui, en position ouverte, font office de coupe-vent pour les plages du solarium.
La piscine Tournesol est, avec les autres modèles de l’opération Mille piscines, le premier modèle de piscine très largement industrialisé. Cette industrialisation, qui marque le passage des équipements "sur-mesure" aux équipements "prêt-à-porter" (Dominique Amouroux, 2004), livrables clés en main, conçus, vendus et distribués à la manière de produits industriels, s’amorce avec la procédure d’agrément.
3. L’industrialisation de l’équipement : modularité et série
Pour répondre aux principes émis par la commission d’agrément (simplicité et rapidité de mise en oeuvre, fonctionnalité, répétition, coût réduit), de nombreux maîtres d’oeuvres se tournent vers les méthodes d’industrialisation du bâtiment. De ce fait, de nombreuses piscines "sur modèles" utilisent des ossatures préfabriquées en béton, en métal ou en bois lamellé-collé. Les piscines agrées mises au point par le GERPIAM (Groupement pour l’Etude et la Réalisation de Projets Industrialisés à Accroissement Multiples) sont peut-être celles qui ont su le mieux exploiter les nouvelles possibilités offertes par l’utilisation d’éléments préfabriqués en usines. Fondé en 1965, le GERPIAM est un bureau d’études dirigé par William Malfray, président de la chambre syndicale des industries de la piscine. Le groupement réunit architectes, ingénieurs, entreprises nationales et régionales dans le but d’imaginer des équipements publics constructibles de manière rationalisée et industrialisée, en garantissant un suivi depuis la conception jusqu’à la réalisation du projet. L’utilisation d’éléments préfabriqués leur permet de proposer aux municipalités des bâtiments dont l’originalité repose sur leur structure modulable et sur le principe d’évolutivité, assurant une facilité d’implantation et d’extensions (par exemple, ajout d’un bassin ou de locaux supplémentaires par simple adjonction de nouveaux éléments). Le GERPIAM insiste toutefois beaucoup dans ses publicités sur le fait que cette industrialisation n’empêche pas l’unicité : chaque piscine peut être adaptée en fonction des besoins de la commune, et être personnalisée (par le choix de couleurs, décors, etc.).
Le premier modèle de piscine élaboré par le GERPIAM est le procédé PIAM (Piscine Industrialisée à Accroissement Multiple), conçu par les architectes Henri-Pierre Maillard et Paul Ducamp, en association avec l’ingénieur-conseil Michel Bancon, spécialisé dans le béton. Le principe mis en oeuvre repose sur la juxtaposition de travées auto-stables, constituées chacune de quatre piliers en béton armé. Chacune de ces travées est couverte par une coque à double courbure, de 20 m de long sur 2,26 m de large, préfabriquée en béton précontraint de type "HP" (Hyperboloïde), brevetée en 1962 par l’ingénieur allemand Wilhelm Silberkuhl. La façade est rythmée par ces travées, qui peuvent être vitrées ou remplies de briques, et qui sont de hauteurs différentes en fonction des besoins volumétriques. La différence de hauteur entre chaque travée est comblée par des plaques translucides en polyester moulé et nervuré, apportant un éclairage zénithal. L’esthétique du bâtiment repose sur l’utilisation de ces imposantes coques d’un seul tenant et ce jeu de travées en béton, qui est laissé brut de décoffrage (rappelant l’esthétique brutaliste). Cet ingénieux procédé constructif permet, d’une part de couvrir un grand espace sans retombée intermédiaire et d’autre part une possibilité d’accroissement progressif de la piscine : par exemple un bassin peut être ajouté grâce à l’addition de travées supplémentaires. En réalité, il apparaît que peu de commues ont désiré faire agrandir leur piscine.
La coque Silberkhul a sans doute été utilisée également par André Dufau pour la construction de la piscine Georges-Vallerey à Amiens, en 1974. Son architecture est par conséquent assez similaire aux piscines GERPIAM, bien qu’il n’y ait pas d’éclairage zénithal.
Le modèle de piscine Albatros, élaboré par Robert Lesage, Pierre Lesage, Jean-Louis Noir, repose quant à lui sur un système de construction modulaire en bois lamellé-collé, basé sur la combinaison de volumes de base correspondant chacun à une fonction et s’imbriquant les uns aux autres par leur forme alternativement concave et convexe.
Cette industrialisation prend de l’ampleur avec l’opération Mille piscines, pour lesquelles on peut véritablement parler de production de masse (547 piscines pour l’ensemble des cinq modèles) : 85% de composants préfabriqués en usine pour la piscine Tournesol, 80% pour la piscine Caneton, assurant un montage de la piscine en quelques mois seulement. Les modèles proposés pour l’opération n’ont pas pris en compte cette possibilité d’extension (à partir l’ajout d’un bassin de plein-air) et d’adaptabilité qui étaient la préoccupation majeure des piscines GERPIAM.
Les mesures interventionnistes de l’Etat dans la construction des équipements sportifs et socio-culturels (en particulier des piscines standardisés et fonctionnels), ont porté leurs fruits, du point de vue social et de la structuration du territoire. Elles ont permis de doubler les équipements de baignade. La politique des piscines industrialisées, si elle n’a pas rempli complètement son objectif numéraire premier, a toutefois permis à la France de rattraper son retard en matière d’équipement natatoire. Si ces piscines se voulaient polyvalentes, leur vocation première était l’apprentissage aux jeunes de natation, le développement de la compétition et de la natation pour tous. A partir des années 1980, s’amorce une évolution des besoins : la piscine se tourne de plus en plus vers le ludique et tente de renouveler son attractivité en diversifiant les activités proposées. C’est l’avènement de la piscine sport-loisirs
Photographe du service de l'Inventaire général du patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.