Éléments de contexte
La brasserie est attestée avant la Première Guerre mondiale. Cependant, aucun dossier de reconstruction relatif à l'ensemble brasserie - maison de maître n'ayant été retrouvé dans les Archives départementales du Pas-de-Calais, il est impossible de savoir quel était l'état de la brasserie en 1918, ni si cette dernière a été reconstruite au même emplacement. Seul le fond des architectes Decaux et Crevel comprend quelques plans datés du projet. Leur étude, ainsi que celle des vues aériennes réalisées par IGN entre 1947 et 2013, permet de documenter un peu l'histoire des bâtiments.
La chronologie du projet de reconstruction
Le plan technique de la brasserie, dressé par le cabinet parisien E. Barlet et Fils et Cie, est daté du 15 avril 1920. Il précède de quelques mois l'établissement des plans des bâtiments proprement dits par Decaux et Crevel.
La planche associant les dessins du pignon et de la façade sur cour ainsi que des coupes de la brasserie porte la date d'août 1920 ; le plan des étages celle de novembre 1920. Le dessin du pignon de l'écurie est achevé en décembre 1920. Les plans et projets des façades de la maison de maître ne sont pas datés mais les décors muraux des salles à manger, qu'on imagine avoir été établis postérieurement à ceux du bâti, sont datés d'avril 1922.
Les matériaux préconisés
Quelques indications de matériaux figurent sur les plans. Pour la brasserie, on trouve la mention de brique rouge pour les murs et les "couteaux picards" des pignons (c'est-à-dire dont les rampants sont formés d'une superposition de coins triangulaires en briques appareillées), d'enduit ciment pour les soubassements, d'enduit jeté à la truelle pour les pignons et l'entablement sous le débord du toit, de ciment pour les appuis et les linteaux des baies, le chaperon du mur de clôture ou les cabochons scandant les pleins de travée de la façade sur cour. Les dessins montrent aussi que la brique blanche est utilisée pour créer des motifs décoratifs dans le plein des murs (pignon de l'écurie) ou dans l’entablement de l'écurie et de la brasserie. La maison de maître est construite avec les mêmes matériaux que la brasserie : brique pour les murs et les couteaux picards du pignon de la façade postérieure, décors portés (comme les bandeaux) en ciment, enduit ciment sur le soubassement, une partie des murs et des linteaux des baies et les jouées des lucarnes.
Le projet de l’architecte pour la brasserie : les plans
Le plan-programme des équipements techniques de la brasserie fourni par E. Barlet et Fils et Cie compte trois étages. Au rez-de-chaussée, de gauche à droite se trouvent un hangar, une salle de chauffe (où l'on fait chauffer le brassin pour enclencher et accélérer la fermentation) avec son générateur, la salle des chaudières et de stockage du houblon, l'accès au premier étage, puis dans une aile en léger retrait la salle de fermentation avec six cuves, puis enfin une tonnellerie. Au premier étage, le laboratoire jouxte une pièce accueillant le filtre du générateur, puis la salle des chaudières et trois salles pour laver et tremper les toiles servant à filtrer le mout. Le second et le troisième étages accueillent des réserves d'eau, un concasseur et la trémie alimentant la chaudière. Tous ses équipements sont situés dans l'aile la plus large du bâtiment.
Le projet de l’architecte pour la brasserie : les élévations
Les dessins préparatoires de Decaux montrent un bâtiment qui a intégré les contraintes techniques imposées par l'activité brassicole. Conformément au plan de E. Barlet et Fils et Cie, on compte trois étages au-dessus d'un rez-de-chaussée. La partie accueillant la chaudière forme un léger avant-corps et l'aile destinée à la tonnellerie n'a qu'un niveau. Tout en respectant ces contraintes, Decaux travaille l'apparence de la brasserie. La façade est organisée en travées. Seules les trois travées de la salle de fermentation sont similaires, présentant la même superposition de trois baies en plein cintre surmontées d'un linteau débordant et d'une lucarne. Toutes les autres travées sont différentes, qu'il s'agisse de la forme des baies, de leur taille, de leur nombre ou de leur emplacement dans la travée : grande baie en plein cintre enserrée entre une baie rectangulaire et deux petites fenêtres pour la partie centrale de la façade, superposition de baies rectangulaires à linteau droit plus ou moins larges pour la travée de droite...
La façade côté rue est un pignon découvert. Le bas du mur sert d'appui à un bâtiment en appentis. Sur le dessin de l'architecte, les deux niveaux supérieurs sont percés de quatre fenêtres chacun. Le second niveau correspond au dernier niveau du pavillon d'angle, le troisième niveau étant le dernier niveau du corps principal de la brasserie. Seules les baies de la partie gauche du mur pignon sont alignées et de forme arrondie identique. A droite, les baies sont décalées (ce qui correspond à l'éclairage des pièces situées à l'arrière) et leurs formes sont arrondies au second niveau mais rectangulaires au premier. Le second niveau est longé par un balcon protégé par un auvent. Le pignon proprement dit est bordé de couteaux picards, son centre est percé d'un oculus bordé de briques et un triplet de baies sous des arcades en plein cintre occupe le centre de la partie basse. Sous ses fenêtres, un auvent supporté par des aisseliers en bois poursuit la toiture du mur de façade. La comparaison avec la photographie de fin de chantier met en évidence des différences entre le projet et sa concrétisation, en particulier la couverture en appentis du second niveau qui est venue masquer les baies du dernier niveau dont seuls le haut et le linteau restent visibles.
Les toitures à longs pans débordants sont couvertes en tuiles mécaniques. Percées de lucarnes, elles s'achèvent par un pignon côté rue et par une croupe côté jardin. Les lucarnes sont étroites et en pavillon pour les travées latérales de la partie centrale, sur le versant et plus larges pour les travées de l'aile en retrait. La plus imposante reste la grande lucarne interrompant l'avant-toit qui occupe toute la largeur de la travée centrale de l'avant-corps. La partie droite, consacrée à la tonnellerie est également couverte par une toiture à longs pans, mais cette dernière n'est percée d'aucune lucarne.
Une remise ouverte couverte en appentis prend appui sur le pignon de la brasserie et fait le lien entre cette dernière et l'écurie.
Enfin, une grande cheminée accolée à l'angle gauche de la brasserie complète ce premier ensemble.
L'écurie, construite à front de rue, ouvre sur la cour. Elle compte un rez-de-chaussée et un étage de combles. Sa toiture à longs pans couverte en tuiles mécaniques s'achève par deux pignons. Côté rue, le pignon est un écho en modèle réduit de celui de la brasserie : mêmes couteaux picards en brique rouge tranchant sur l'enduit blanc, même oculus en brique au centre du pignon, même auvent reposant sur des aisseliers dans la continuité de la toiture du mur gouttereau. Si sur le dessin aquarellé c'est, comme sur le pignon de la brasserie, un triplet de baies qui occupe le pignon, la photographie de fin chantier montre que seule une petite fenêtre couverte par un arc surbaissé a été percée... Ce qui est conforme au projet dessiné fourni par Decaux en décembre 1920. Côté cour, le mur est occupé par une petite fenêtre, une grande porte coulissante et par une fenêtre de fenil qui interrompt l'avant-toit.
Le projet de l'architecte pour la maison de maître : les plans
Le plan général est la juxtaposition de deux carrés : un grand carré pour la partie privée de l'habitation et un petit carré pour le bureau. Les petites terrasses et des bow-window viennent jouer avec la régularité de ces deux carrés. La partie bureau ne compte qu'un rez-de-chaussée, mais la partie privée compte un rez-de-chaussée surélevé, un étage carré et un étage de combles.
Au rez-de-chaussée, hormis le bureau, toutes les pièces sont organisées autour d'un vestibule ventral. On y trouve deux salles à manger, la cuisine et l'office, ainsi qu'un salon communicant avec le bureau. De ce vestibule part le grand escalier à vis sur jour qui dessert le premier étage. Celui-ci comprend cinq chambres équipées d'un cabinet de toilette et une salle bain avec une baignoire. Les combles accueillent deux petites chambres, une lingerie et un grenier. L'escalier qui mène aux combles n'est pas dans la continuité de celui montant du rez-de-chaussée mais est situé dans un renfoncement du palier.
Le projet de l'architecte pour la maison de maître : les élévations
Chaque façade présente une élévation différente. Aucune n'est ordonnancée ou organisée autour d'un axe de symétrie. Deux types de baies sont présents sur toutes les façades, chaque type pouvant présenter des tailles différentes. Seule l'utilisation d'un châssis en petits bois apporte aux façades leur unité visuelle. Le premier ensemble est constitué par des baies en plein cintre couvertes par un arc en ciment à faux décor de pierre dont la clef centrale et les bases sont bien marqués. Elles sont utilisées exclusivement au rez-de-chaussée, en particulier pour les portes et les grandes baies vitrées qui éclairent les salles à manger. Le second ensemble comprend des baies rectangulaires sans linteau. Elles sont utilisées systématiquement pour les fenêtres du second niveau des façades, pour les lucarnes et pour le bow-window au centre du pignon côté rue. Elles servent également au premier niveau pour le bow-window de la petite salle à manger, les fenêtres et la porte du bureau.
Les façades sont en briques avec un soubassement en ciment. Elles ne portent pas de décors hormis une succession de tables situées entre les baies sous le débord du toit. Leur bordure enduite en ciment entoure un calepinage de briques posées en chevrons. Les cabochons carrés aux angles du pignon de la façade principale, l’oculus au centre de celui de la façade arrière et ainsi que dans les deux cas les coins des couteaux picards sont également en briques rouges qui tranchent sur l'enduit blanc jeté à la truelle.
L'ensemble est couvert par une combinaison de toitures en ardoise : longs pans et croupes, longs pans et pignon couvert ou découvert, toiture en pavillon... Toutes sont percées de grandes lucarnes, en particulier la façade latérale droite où elle occupe presque toute la largeur de la toiture. Toutes les toitures s'achèvent par un large coyau débordant supporté par de grands aisseliers et portent de hautes cheminées. Enfin, les entrées sont couvertes par un auvent et les bow-window par un appentis à pans coupés.
Sans surprise, la façade sur rue est la plus travaillée des quatre. Elle associe une grande baie en plein cintre, un bow-window à pans coupés, un grand pignon percé d'un petit bow-window couvert par un pavillon en appentis, une lucarne et de grandes cheminées.
Les dessins conservés aux AD concernent également quelques aménagements intérieurs comme les panneaux de bois rectangulaires décorant les murs. Dans les deux salles à manger, ces panneaux sont décorés d'un petit motif et surmontés d'un décor de fleurs et de rinceaux peints. Des consoles sont prévues sous les fenêtres. Dans le bureau en revanche, seules des moulures verticales viennent animer la surface des panneaux.
La réalisation et les évolutions ultérieures
La comparaison des plans et des photographies de fin de chantier réalisées par Decaux montre que les bâtiments ont été édifiés conformément aux plans et élévations qu'il avait proposés. L'élévation de la façade principale de la brasserie a cependant fait l'objet de plusieurs propositions successives, ce qui est également le cas pour les façades de la maison de maître, en particulier pour la partie bureau où le premier projet montre des baies en plein cintre.
La vue aérienne réalisée par l'IGN en 1947 permet d'autre part de voir que la répartition des constructions sur le site est conforme au plan de masse de l'avant-projet. La maison de maître, prolongée par le jardin dans lequel est installée la basse-cour, est située à droite de l'entrée du site. L'écurie est construite à gauche de l'entée et, dans son prolongement, la remise et la brasserie forment un grand parallélépipède rectangle perpendiculaire à la rue occupant toute la longueur de la parcelle. La surface et le dessin du jardin, y compris la petite allée circulaire délimitant un bosquet, semblent suivre le projet de Decaux. Seul le petit bâtiment rectangulaire à toit terrasse, situé au fond de la parcelle et dont l'usage reste inconnu à ce jour, ne figurait pas sur le plan de masse.
Cette vue montre également que, bien que la brasserie ait été construite depuis presque 25 ans, l'urbanisme alentour ne s'est pas développé.
Entre 1947 et 1997 aucun changement n'est visible. A cette date, la basse-cour disparait. Le site n'est plus modifié jusqu'en 2009. A une date inconnue entre 2009 et 2013, le parc à l'arrière de la maison de maître est entièrement remplacé par un parking.
Photographe au service régional de l'Inventaire général du patrimoine culturel.