Le bâtiment avant la Première Guerre mondiale
La maison Bouchez-Vasseur est déjà implantée rue du faubourg de Péronne avant-guerre. L'entreprise qui existe depuis 1830 environ a été rachetée vers 1900 par Prosper Bouchez à la veuve de son cousin. Bouchez troque son activité de marchand de graines et d'engrais contre celle de "vente de produits de haute qualité : vins, spiritueux, liqueurs, champagne, produits alimentaires, importation et torréfaction de cafés fins, mercerie, ferblanterie, huiles, essences et pétroles" ainsi que le décrit un dépliant publicitaire antérieur à la première guerre conservé par la famille Bouchez.
Le dessin qui figure sur ce même document a servi à établir une hypothèse de restitution. Il montre un ensemble de bâtiments bas distribués autour d'une cour en U ouverte sur l'arrière. La partie avant du U longe la rue du faubourg de Péronne. Elle est fermée par trois immeubles jointifs de deux niveaux couverts par une toiture à longs pans percée de lucarnes. Les façades sont ordonnancées à travées. Les deux bâtiments de droite sont percés d'une porte piétonne. Celui de gauche, presqu'aussi large que l'ensemble constitué par les deux autres immeubles, n'est percé que d'une grande porte cochère en arc surbaissé. Les angles de ce bâtiment sont soulignés par des chaînes harpées. Une photographie de la même époque (non reproduite) montre des bâtiments sur cour d'un seul niveau, couverts par des combles percés de fenêtres de fenil. Ils entourent une longue cour pavée dont l'espace central est occupé par une grande zone ovale gazonnée plantée de petits arbres. Le fond de la cour est fermé par un mur bahut percé d'une porte flamande. Sur aucun de ces documents on ne voit de maison de maître.
La chronologie du projet de reconstruction
Comme le reste de la ville, les locaux de l'entreprise sont détruits pendant la Première Guerre mondiale. Ils sont reconstruits au même emplacement.
Le chantier est confié à Anatole Wigniolle, architecte de la coopérative de reconstruction n°2 appelée "Groupement d'isolés".
Une première phase de travaux a lieu dès juin 1921. Elle concerne les bâtiments du côté gauche de la cour dont la réception a lieu en juin 1925. Une seconde étape concerne les bâtiments du côté droit, édifiés à partir de janvier 1922. La maison de maître est bâtie à partir d'avril de la même année ainsi que le chenil et la buanderie. Le magasin à essence, qui complète le bâtiment de droite, est mis en travaux en janvier 1923. Enfin, un dernier ensemble de bâtiments à usage d'entrepôts situé dans une seconde cour parallèle à la première, est construit entre 1928 et 1929, date de la clôture administrative du dossier.
La réception définitive des travaux indique que M. Bouchez a été son propre entrepreneur.
La construction des deux ailes a couté 824 000 francs, honoraires d'architectes compris répartis entre 127 000 francs pour le magasin de détail, 207 000 francs pour l'aile gauche, 112 000 francs pour le dépôt d'essence, 232 000 francs pour le chais de droite, 36 000 francs pour la buanderie.
Le projet de l’architecte : le plan d'ensemble
Le plan adopté est similaire à celui d'avant-guerre : deux grands bâtiments d'un seul niveau couverts par une toiture à longs pans percée de fenêtres de fenil encadrent une cour pavée dont le centre est occupé par un espace jardiné. Cependant, deux différences significatives sont à noter : l'arrière de la cour n'est plus vide mais occupé par le logis du propriétaire ; et la partie donnant sur la rue du faubourg de Péronne n'est plus fermée par des immeubles mais par un mur bahut surmonté d'une grille et percé d'un grand portail et de deux portes piétonnes.
Le projet de l’architecte : les espaces accueillis dans les grandes ailes
Les plans conservés aux AD du Pas-de-Calais montrent que chaque aile, bien que conservant sur toute sa longueur une apparence similaire, accueille des fonctions assez diverses. La multiplicité des espaces intérieurs du bâtiment se devine à la succession de portes piétonnes, de fenêtres plus ou moins grandes et de portes coulissantes ou sur gonds.
Ainsi, dans l'aile de droite se succèdent un grand magasin, un garage, un quai de déchargement puis de nouveau un magasin (appelés chais dans le devis descriptif) tandis que le pavillon d'angle est occupé par un magasin, un local sanitaire et un chenil.
Le bâtiment de gauche accueille les bureaux des comptables (dix à la veille de la seconde guerre mondiale), un magasin, une buanderie, une tonnellerie, un garage, un atelier et un dernier grand magasin. Son pavillon d'angle est occupé par le logement de la gérante du magasin de détail, un magasin de détail (c'est dire destiné à la vente aux particuliers) et le bureau de M. Bouchez. Le logement ne comprend au rez-de-chaussée qu'une salle à manger sur rue et une cuisine ouvrant sur une courette pavée en briques et deux chambres et un cabinet de toilette à l'étage.
En 1923, le pavillon d'angle du corps de bâtiment de gauche est transformé en magasin à essence. Il est construit sur cave. Le plancher du rez-de-chaussée est supporté par des pilastres en béton et celui des combles par des colonnes en fonte.
Les matériaux préconisés dans le devis descriptif et leur mise en œuvre
Les pilastres qui encadrent le portail et les portes piétonnes sont en brique avec un chaperon en ciment et les panneaux entre les pilastres sont en ciment. Le mur bahut est en brique.
Bien que disposés symétriquement par rapport à la porte flamande et de forme identique, les deux pavillons présentent sur la rue une façade différente. Le premier niveau de celui de droite n'est percé que de deux larges baies légèrement cintrées, tandis que celui de gauche est occupé par une grande vitrine, une porte et une fenêtre étroite. Côté cour, le pavillon de droite tandis que celui de gauche compte deux grandes baies correspondant au magasin, deux petites portes donnant accès au magasin et au bureau de M. Bouchez et enfin une grande fenêtre. Seule cette dernière a un linteau droit, les autres étant couvertes par un léger cintre. Chaque pavillon est couvert par une toiture à longs pans brisés avec coyaux et lucarnes. Sur les plans, le brisis apparait couvert en ardoise et le terrasson en zinc. Le devis précise qu'il s'agit d'ardoise de Fumay (carrière belge). Cette partie est la seule à compter un étage de combles en surcroit.
Sur les grands bâtiments, toutes les baies sont rectangulaires et leur linteau est réalisé en fer IPN. Les appuis sont débordants et surmontent un décor crénelé. Un long bandeau court au-dessus des baies tout le long de la façade. Le soubassement est recouvert d'un enduit ciment, mais les appuis de fenêtres et leurs décors ainsi que les linteaux et le bandeau sont en briques blanches. La frise décorative qui court sous le débord du toit des deux pavillons d'angle ainsi que les arcs au-dessus des baies sont également réalisés en briques blanches. Comme pour les corps de bâtiments en longueur, le soubassement des pavillons d'angle est enduit en ciment.
Enfin, au fond de la cour se trouvent "diverses dépendances : chenil, buanderie, basse-cour, clôture du jardin". Tous sont construits en béton avec une couverture en ardoise posée sur un faux grenier pour la buanderie, dont les ouvertures reprennent la forme de celles des pavillons.
Le devis descriptif complète les informations que l'architecte n'a pas fait figurer sur les plans. Par exemple, le pavillon de gauche est totalement excavé. Le sol du rez-de-chaussée est carrelé dans la partie magasin, mais parqueté en chêne dans le bureau de M. Bouchez. Les planchers hauts ne sont pas parquetés. Ils sont en sapin comme la charpente et les huisseries intérieures. Mais les huisseries extérieures et en particulier la devanture du magasin sont en chêne. Cette partie du bâtiment dispose du chauffage central.
Les ailes sont construites sur un sol en béton et le plancher haut est réalisé en voutains de briques et poutrelles de fer. La charpente est en sapin couverte par de l'ardoise de Fumay posée au clou. Seuls les bureaux bénéficient de quelques aménagements de confort : les sols sont parquetés en sapin et les murs enduits au plâtre puis peints.
La cour reçoit un pavage de grès.
Le bâtiment construit en 1928 abrite également des bureaux, des magasins, des ateliers et un garage auquel on accède directement depuis la rue. Construit sur cave et tout en longueur, il est d'un côté jointif avec le bâtiment de gauche de la cour principale et de l'autre longé par une cour à laquelle on accède par un grand portail situé sur la droite. Le reste de la cour est fermé par un mur plein et n'est pas visible depuis la rue.
La réalisation et les modifications ultérieures
Une photographie prise pendant la Seconde Guerre mondiale montre que le portail d'entrée prévu par l'architecte a été remplacé par une porte flamande. Le plan dressé en 1942 pour accompagner la demande de dommages de guerre montre également que les affectations initialement prévues pour chaque bâtiment ont évolué. Si l'aile droite a peu changé puisque les grands magasins restent affectés au stockage des alcools et des vins blancs, dans le pavillon un entrepôt, une salle d'empaquetage et une brulerie de café ont remplacé les espaces sanitaires. L'aile gauche a été davantage modifiée : le petit magasin près du pavillon est affecté au rangement des bouteilles vides, la buanderie et la tonnellerie ont été remplacées par une mercerie et le grand magasin est désormais dédié aux grandes cuves pour le vin courant. Dans le pavillon, le bureau des comptables est complété par un local à archives. Dans l'aile édifiée en 1928, le garage a été remplacé par un espace de lavage des bouteilles, le magasin par des chais pour les vins fins et la menuiserie par une tonnellerie. Il a été de nouveau modifié dans les années 1980 pour accueillir un magasin : le mur plein, le portail et la porte de garage ont donc été remplacés par une grande vitrine.
Le timbre sur les dossiers de dommages de guerre de la ville de Bapaume précise : "Architecte, diplômé de l'école spéciale d'architecture ET expert agrée par le tribunal. 28 bis rue des Teinturiers - Arras."
Il est l'un des architectes de la coopérative de reconstruction n° 2 de Bapaume, baptisée "Groupement d'isolés" et fondée en février 1923.