Éléments de contexte et chronologie du projet de reconstruction
D'après Dégardin (1974), la maison a été rebâtie sur le terrain précédemment occupé par la brasserie de M. Bouchez. Le dossier de dommage de guerre conservé aux Archives du Pas-de-Calais (10R0/, dossier n°90) apporte d'autres informations intéressantes, en particulier celle que, pour ce projet, le propriétaire est "cessionnaire", c'est à dire qu'il a racheté des dommages de guerre à d'autres personnes pour les agréger aux indemnités dues pour ses propres dommages.
Le projet, confié à Paul Auger, architecte arrageois indépendant des coopératives de reconstruction de Bapaume, concerne une habitation, un pigeonnier accolé à un garage et le mur de clôture.
Les plans sont dressés en novembre 1928, le projet homologué en avril 1929 et la clôture administrative du dossier est effective en septembre 1931. Le budget prévisionnel indique que la surface de la maison est d'environ 135 m2 pour un coût de construction de 1 200 francs au mètre carré. Le porche couvert et le perron d'entrée sont estimés à 2 000 francs, le bow-window de la cuisine à 3 000, et la clôture avec son portail à 18 000 francs.
La totalité de l'enveloppe des dommages de guerre, estimée à 177 200 francs n'ayant pas été consommée, le propriétaire accepte un montant de remploi correspondant "au montant des justifications admises par le service du contrôle du remploi pour cet immeuble" afin de liquider le projet, et donc de pouvoir percevoir le versement du solde des dommages de guerre. Le coût définitif de la construction de la villa est de 135 000 francs.
Les matériaux préconisés dans le devis descriptif pour les parties structurelles
Les bâtiments sont construits sur des fondations en béton. Les élévations, depuis les murs de cave jusqu'au toit, sont en briques, tout comme les marches et le perron. Le béton armé est utilisé pour le bow-window de la cuisine, pour les linteaux des baies des pignons, les colonnes galbées qui soutiennent le porche du perron et les planchers entre chaque étage. Le ciment moulé est utilisé pour les appuis de fenêtre et la balustrade du perron. Les cloisons intérieures sont en carreaux de plâtre enduits en plâtre sur les deux faces. La charpente est en sapin, couverte de "tuiles plates rustiques petit moule clouées". Les menuiseries extérieures sont en chêne, celles intérieures en sapin, et les portes "à deux vantaux entre le vestibule et la grande salle et entre le vestibule et le bureau sont vitrées à petits carreaux" en partie haute. Dans le salon, le bureau et les chambres du premier étage, les planchers sont en chêne, de même que les couloirs et l'escalier, avec toutefois une pose différente pour les espaces publics (à l'anglaise) et privés (point de Hongrie). Les baies sont équipées de volets "mécaniques en chêne, avec coffre, pilastre, console et corniche en sapin".
Sur les façades, la brique ne reste jamais apparente : le parement du soubassement est en pierre d'Hydrequent pour la façade principale et en enduit ciment pour les façades postérieures, à chaque fois séparé du mur par un cordon en ciment, et le reste du mur est recouvert d'un "mouchetis tyrolien à 3 balais teinté à la demande", avec bordures d'encadrement en enduit lisse de la même teinte. Les cheminées sont "enduites en ciment avec joints d'appareil" pour imiter la pierre, tout comme le bow-window et les colonnes du perron. Le portail et la porte d'entrée sur le pignon sont décorés de panneaux "en fer forgé".
Les matériaux préconisés dans le devis descriptif pour la décoration intérieure de la villa
La décoration intérieure est soignée. Le sol est recouvert "d'une mosaïque de marbre avec bordures, motifs d'angles et de milieu" dans le vestibule-hall, de "carrelage en céramique à dessin" dans la cuisine et les WC mais la salle de bain est carrelée de "carreaux céramiques unis octogones blancs à bouchons bleus". De "fausses poutres et solives apparentes en staff" sont prévues dans le vestibule-hall. La grande salle à manger et le bureau sont décorés d'une corniche et d'une rosace centrale en staff. Les murs de ces deux dernières pièces sont également décorés d'un lambris en sapin en partie basse et de papier de tenture en partie haute. Les autres murs du rez-de-chaussée sont "peints à l'huile 3 couches" mais les murs du vestibule-hall reçoivent une "peinture granitée avec motif coupes de pierre". Les murs des chambres sont recouverts de papier de tenture.
Alors même que la maison bénéficie du chauffage central avec "12 radiateurs Idéal Classic", toutes les pièces sont équipées de cheminées en marbre "à modillons Pompadour" avec revêtement intérieur en carreaux de faïence, sauf celle de la salle à manger "en briques et briquettes apparentes". Toutes les tablettes d'appui des fenêtres sont en marbre. Un autre élément de luxe est la présence d'une baignoire dans la salle de bain, bien que cette dernière soit équipée "d'un collier à douche" et non d'une douche indépendante, et d'un WC à chaque étage.
Les matériaux préconisés dans le devis descriptif pour le mur de clôture et le hangar
La seconde partie de devis est consacrée au mur de clôture. Côté rue, l’architecte a prévu un mur bahut en briques de 80 cm de haut, ensuit en ciment, surmonté d'une grille en fer plein de 1 mètre de haut. La grille d'entrée à deux vantaux, également en fer plein, est entourée de quatre pilastres en brique enduites en ciment. Sur les côtés du terrain, la hauteur du mur atteint quatre mètres.
Enfin, un hangar en briques, avec charpente en sapin et couverture en tuiles est également décrit dans le devis.
Le projet de l’architecte : les plans de la maison
Un plan d'ensemble montre que l'architecte avait prévu de construire la maison au centre de la parcelle avec le hangar, qui abrite un garage, une buanderie et un pigeonnier, positionné à l'entrée droite de la parcelle. Ce hangar jouxte le grand potager précédé d'une "cour à poules" qui occupe le fond de la parcelle. Une vue aérienne de 1947 (Géoportail) montre d'ailleurs que le potager, divisé en grands carrés, est effectivement cultivé.
La maison est construite sur un plan en Y : deux petites ailes divergentes encadrent un long corps central, dont l'extrémité forme un léger avant-corps entre ces deux ailes. Ce dernier est précédé d'un perron à pans. L'avant-corps accueille le hall d'entrée, très vaste, qui distribue l'ensemble de la maison ainsi que l'escalier tournant à volées droites avec jour qui dessert l'étage. Chaque aile est occupée par une seule pièce. Au rez-de-chaussée on trouve donc un salon et une salle à manger dans les ailes avant, et la cuisine (avec arrière-cuisine et office) dans celle arrière. Une véranda située dans l'angle entre la salle à manger et la cuisine complète le rez-de-chaussée. A l'étage, quatre chambres disposant toutes d'un cabinet de toilette, occupent l'espace : deux dans les bras du Y, dont une avec un boudoir, une dans l'avant-corps, et une dans l'aile arrière. Cette aile accueille également, dans sa partie distale, la salle de bain et la lingerie. L'étage de combles ne reprend pas le plan des étages en-dessous mais adopte une forme rectangulaire qui coiffe la partie centrale de la villa. Il abrite deux pièces mansardées à une extrémité et deux greniers à l'autre, séparés par le palier où débouche l'escalier.
Le projet de l’architecte : les élévations de la maison
La maison est en rez-de-chaussée surélevé. Les deux ailes divergentes ont deux niveaux et l'aile centrale est surmontée d'un étage de combles. Les trois ailes sont couvertes par une toiture à longs pans débordante, mais les extrémités des ailes divergentes et de l'avant-corps s'achèvent par un mur pignon de forme triangulaire percé de baies, tandis que l'arrière de l'aile centrale est couvert par une croupe. Les façades du second niveau des ailes divergentes sont essentées en tuiles et s'achèvent par un important coyau. Toutes les façades, hormis celles orientées vers la rue, sont doublées d'une "pergola avec colonnes galbées en ciment armé et enduit ciment et balustrade en béton moulé" qui couvre une terrasse, à laquelle on accède par des degrés droits rentrants ou convexes situés à l'extrémité de chaque aile. L'extrémité de l'aile gauche, ainsi que le léger avant-corps formé par le hall d'entrée, s'achèvent par un bow-window à pans coupés, tandis que l'aile droite est terminée par une arche en plein cintre située en avant de la baie et que l'aile arrière est fermée par un simple mur droit. Au premier niveau, les terminaisons des ailes sont toutes différentes : balcon pour l'aile gauche, grand bow-window à pans coupés pour l'avant-corps central, petit oriel couvert par un appentis pour l'aile droite, et mur droit pour l'aile arrière.
L'aspect de la façade est important et fait l'objet d'un dessin détaillé de la part de l'architecte. Le soubassement est paré de meulière, le pignon central est en faux pans de bois, et le reste de la façade porte un enduit tyrolien. Toutes les baies sont de forme rectangulaire. Celles du rez-de-chaussée sont prévues à petits carreaux sur toute leur surface, tandis que celles des étages n'ont de petits carreaux qu'en partie haute. Le motif de ferronnerie de la porte d'entrée, en forme de losange aux angles coupés, est repris dans les oculi qui encadrent le bow-window situé juste au-dessus.
Le projet de l’architecte : le plan et les élévations du garage-buanderie-pigeonnier
Le garage-buanderie-pigeonnier se situe à l'entrée droite de la parcelle. Il n'a pas fait l'objet d'instructions précises dans le devis mais une planche lui est consacrée avec plans, coupe et élévation.
C'est un bâtiment rectangulaire, dont l'arrière est mitoyen avec le corps de ferme du propriétaire voisin. Côté villa, il est complété à l'avant par un chenil entouré d'un mur bahut surmonté de grilles, et sur l'angle gauche par une tourelle hexagonale partiellement engagée, couverte par une flèche couronnée d'une girouette. A la base de la flèche, un grand coyau protège deux rangs de lucarnes d'envol. La partie rectangulaire, qui accueille d'un côté le garage et de l'autre la buanderie, des sanitaires et un dépôt de charbon, est couverte par une unique toiture à longs pans en tuile, qui s'achève par une demi-croupe côté villa et vient buter contre le mur mitoyen de l'autre côté. Le mur longitudinal le plus proche de l'entrée est percé de deux portes géminées qui permettent d’accéder au garage. Elles sont surmontées par deux imposantes lucarnes-pignon couvertes par une toiture à longs pans et demi-croupe.
Le décor de la façade est similaire à celui de la maison : parement en pierre d'Hydrequent pour le pigeonnier et faux pans de bois pour le reste de la construction.
Réalisation et modifications ultérieures
Mur et portail masquent l'essentiel de la maison et du garage-pigeonnier. Le peu qui reste cependant visible depuis la rue ou par satellite (Géoportail) semble cependant être conforme au projet de l'architecte. Ni le plan en Y ni les élévations de la villa n'ont été modifiés. Mais, si la véranda, couverte par un toit terrasse, est présente, la pergola et la terrasse avec ses escaliers n'existent pas. Aucune photographie ancienne n'a été retrouvée, ce qui ne permet pas de savoir si ces deux éléments ont un jour été réalisés. Les huisseries des baies ont été changées (y compris celles de la porte d'entrée), mais la forme de ces dernières n'a pas été modifiée, pas plus que les toitures. Au-dessus du pignon achevant l'avant-corps central, les corbeaux soutenant la toiture débordante sont particulièrement visibles. L'enduit tyrolien a été remplacé par un crépi lisse, mais le haut de la façade a conservé son décor de faux pans de bois.
Le garage-pigeonnier est toujours là. Les toitures sont en ardoise et leur forme ne semble pas avoir été modifiée par rapport au projet de l'architecte.
Extrait notice Agorha (https://agorha.inha.fr/inhaprod/ark:/54721/00275354), consultée le 20 novembre 2020
Né à Paris (6ème arrondissement) le 1er février 1895. Son père, Édouard Auger est architecte.
Il rentre à l'Ecole nationale des Beaux Arts en 1913. Son sujet de concours est L'extrémité d'un parterre. L'Égypte dans l'Antiquité. Sa situation géographique, sa Religion, ses Mœurs, son art. En juin 1913, il est élève dans l'atelier de Wilfrid Bertin (architecte à Paris 7ème, architecte de la Compagnie du Gaz Général de Paris, lauréat de la Fondation Rothschild), puis l'année suivante dans celui de Gaston Redon. Il est admis en 2ème classe le 10 juillet 1914. Il est rayé de la liste d'appel de l'École en vertu de l'article 45 du règlement (XXX)
Matricule de l’École des Beaux-Arts : 7045.
Archives nationales de France, AJ/52/574 : dossier d’élève
Actif dans le Pas-de-Calais pendant la reconstruction de la première guerre mondiale, il a participé à la reconstruction d'Arras, où il reste au moins jusqu'en 1949 (notice Agorha), ainsi qu'à celle de Bapaume.
L'adresse indiquée sur les dossiers de dommages de guerre : 64 Petite place à Arras.
Dernière mention de la notice Agorha : Vence, Alpes-Maritimes, en 1967