Dossier d’aire d’étude IA62005264 | Réalisé par
Tachet Nicolas (Rédacteur)
Tachet Nicolas

Chercheur de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, région Hauts-de-France (2023).

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Les fermes d'Ancien Régime de Beuvry - dossier de présentation
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  • (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

  • Aires d'études
    Communauté d'agglomération de Béthune-Bruay, Artois-Lys Romane
  • Adresse
    • Commune : Beuvry

Ce dossier constitue la présentation de l'étude, il est complété par un dossier de conditions d'enquête et de cinq études de site (manoir de l'Estracelles, Prévôté de Gorre, Ferme Le Quesnoy, Ferme de Belleforière et Ferme de Taigneville .

Aspects généraux concernant la commune de Beuvry

Beuvry est située à l'est de Béthune dans le département du Pas-de-Calais, ancienne province d'Artois. Le village s’installe à l'ouest sur une butte tertiaire. Un ancien marais tourbeux est présent sur une large partie sud du territoire. Ce marais, aujourd'hui asséché, constitue jusqu'à la fin du XIXe siècle l'un des obstacles majeurs de la commune. Le reste de la commune est constitué de plusieurs écarts, de parcelles boisées et de cultures en plaine.

Elle est traversée par différents cours d'eau dont La Loisne, Les Barizaux, le Courant de La Goutte et la Rivière militaire. Au nord, le canal d'Aire à La Bassée traverse la commune d'ouest en est. L'un de ses embranchements (le canal de Beuvry) rejoint le sud de la commune.

Les fermes d'Ancien Régime de Beuvry

1. Un ensemble dispersé

Ces fermes sont implantées sur d'anciens fiefs médiévaux. Elles sont aujourd'hui devenues des écarts de la ville, voire des lieux-dits. Elles s'installent la plupart du temps en frange de secteur ou ancien secteur humide, à proximité de La Loisne.

2. Des origines communes datées du XVIe siècle

Le territoire subit de nombreux troubles liés aux guerres qui marquent l'Artois et le Béthunois à l'époque moderne : guerres du temps de Charles Quint (années 1550), révolte des Pays-Bas contre la domination espagnole, hostilités du XVIIe siècle dont les affrontements du conflit franco-espagnol de 1635 à 1659, guerres renouvelées régulièrement sous Louis XIV.

Dans la région, les plus anciennes habitations et fermes observées en milieu rural remontent principalement au XVIe siècle. Rares, elles font souvent figure de vestiges (CUISENIER, 1998, p. 28). Les fermes étudiées de Beuvry (et de celles du Béthunois de façon générale) datent du XVIe siècle. Le secteur recense une densité importante de fermes dans un état de conservation satisfaisant ou conservant des traces caractéristiques (architecturales, esthétiques) de ce siècle.

Il existe très probablement un lien fort entre le développement de ces ensembles agricoles péri-urbains et l'essor des cités alentours (dans le cas présent Béthune). En effet, la demande en denrées et fournitures des villes réclame une augmentation des unités de production et la construction des réseaux de distributions (routes, voies navigables).

Les propriétaires terriens du secteur, aristocrates et ecclésiastiques, voient sans doute une opportunité et moyen d'asseoir un certain pouvoir, hors la ville et de s'implanter dans ce secteur. Beuvry comprend de vastes terres fertiles (idéales tant pour la culture des céréales et du lin que pour l'élevage), d'un milieu naturel généreux qu'il est aisé d'exploiter (tourbe, grès). Son relief ouest voit l'installation de moulins à vent, son hydrographie à l'est voit celle de moulins à eau. Ce milieu n'est toutefois pas exempt de contraintes : larges zones marécageuses, inondations hivernales, réseau viaire peu développé...

3. Un bâti aux caractéristiques similaires

Les fermes étudiées à Beuvry s'organisent autour d'une cour carrée. Les différents bâtiments que sont le logis, les étables, les écuries, les granges et les chartils s'articulent autour de cette cour. Cette organisation fermée est à rapprocher de ce que Jean Cuisenier nomme les censes "françaises" (pour les différencier des hofstèdes flamandes de la région).

Elles s'installent à proximité plus ou moins directe de La Loisne dont l'eau est utilisée pour les activités agricoles (rouissoirs à lin) et pour abreuver les animaux.

Elles disposaient, ou disposent encore, de fossés en eau qui bordent directement la ferme (les fossés bordiers). Le rôle de ces fossés est autant de se protéger des hommes que des eaux venues des terres humides. De plus, au sortir de longues périodes de troubles, ce marqueur défensif visible, quoique symbolique, se retrouve dans de très nombreuses censes de la région.

Implantées à l'écart du village ou à sa proximité, ces fermes disposent d'un accès sur route ou sur rue via une voirie dédiée (ferme Le Quesnoy par exemple).

Elles présentent une tour-porche (ou porterie, passage charretier). Au-delà de la nécessité pratique consistant à clore la propriété tout en permettant de la rendre accessible à des attelages plus ou moins importants, le portail constitue un support privilégié d’affirmation du statut de l’édifice et de ses propriétaires. Parce qu’il est un élément visuel privilégié, son architecture reçoit en général un décor soigné, parfois monumental, dont l’ornementation apparaît particulièrement fidèle aux évolutions des goûts et de la mode. Elle comprend une porterie en rez-de-chaussée (passage charretier) avec une arcade en plein cintre ou en anse de panier surbaissé construite en grès. Elle reçoit dans ses élévations d'anciens pigeonniers et conserve parfois des vestiges de boulin (entrée pour pigeons). Le pigeonnier, dans notre région, semble relever davantage d'une culture d'élevage plutôt que de l'affirmation sociale de ses propriétaires.

En ce qui concerne l'habitation, elle se décline fréquemment en un rez-de-chaussée, étage et étage de comble. Il existe parfois des logis doubles : par exemple, le manoir d'Estracelles conserve le logis le mieux conservé dans son organisation spatiale (salle principale, cheminée monumentale, cuisine et chambres pour l'essentiel). Les principaux accès piétons aux bâtiments se pratiquent via des portes avec encadrement de grès voûté en anse de panier qui disposent parfois (comme à l'Estracelles ou à la Prévôté de Gorre) d'un décor spécifique en pointe de diamant à la base de l'encadrement (particularité décorative que l'on retrouve également à l'église Saint-Martin de Beuvry). Les clés de voûte des encadrements présentent tantôt un chronographe, tantôt un blason qui transmet à la postérité le noms du propriétaires constructeurs.

Enfin les bâtiments agricoles prennent la forme de longères qui enferment la cour et sont utilisées principalement pour la stabulation des animaux et le stockage des denrées. D'autres modules ont pu servir à des activités agricoles spécifiques (comme la forge). Ces bâtiments, très souvent, sont les plus impactés par des transformations.

4. Une utilisation de matériaux homogènes et locaux

Il y a également une homogénéité dans les matériaux employés dans la construction des fermes.

- Le grès. Il est utilisé dans les soubassements des bâtiments en plusieurs rangs de blocs équarris. Le grès est extrait et taillé à proximité directe puisque la commune dispose de carrières reconnues depuis le Moyen Âge. Il a en outre des propriétés hydrofuges que l'on utilise pour ces bâtiments construits en milieu humide. On observe fréquemment dans les fermes étudiées (Estracelles, Prévôté de Gorre) des cassons de tuile plate insérés dans le mortier de jointoiement : ces éléments permettent techniquement de régler les assises de grès et d'absorber l'humidité qui remonte par capillarité, et de la renvoyer à l'air libre par évaporation.

- La brique. La terre crue ne semble pas s'instituer comme matériau utilisé pour l'élévation des murs. Ici, cependant, l'ensemble des bâtiments (à usage domestique ou agricole) est réalisé en brique. Différents types de décors sont observés dont des décors en damier qui alternent brique noire surcuite (Estracelles) et brique rouge ou encore des décors géométriques dans les linteaux aveugles des encadrements de fenêtres en anse de panier. Enfin, les fermes étudiées disposent de corniches en encorbellement traitées de manière décorative avec un appareil à "dents d'engrenage" (appareil présentant des lits alternés de briques posées en diagonale pour obtenir un effet décoratif de saillies triangulaires).

- La pierre calcaire. Elle se rencontre essentiellement dans une utilisation d'ornementation grâce à sa facilité de sculpture et de moulure. La Prévôté de Gorre dispose ainsi de nombreux éléments taillés en pierre calcaire au XVIIIe siècle.

- La tuile. Les charpentes semblent avoir dès l'origine porté des couvertures de tuile et non de chaume. La tuile plate des origines a été remplacée graduellement par des tuiles mécaniques.

- L'ardoise. Il s'agit d'un matériau que l'on ne retrouve pas localement. Par sa rareté et son coût, il s'agit donc d'un marqueur symbolique du pouvoir. L'ardoise couvre principalement les propriétés aristocratiques et ecclésiastiques. Certains des bâtiments étudiés ont pu disposer de toitures en ardoise (comme à la Prévoté de Gorre).

Les origines

On trouve la première mention de Beuvry dès 878 dans un acte de donation de l’église à l’abbaye de Marchiennes puis dans une charte de 1275. Autour du village, le territoire est maillé de nombreux fiefs nobles et ecclésiastiques des XIIe-XIIIe siècles dont certains ont laissé leur empreinte jusqu’à aujourd'hui. La butte tertiaire sur laquelle s'installe pour partie la commune permet très tôt l'exploitation du grès à des fins d'utilisation principalement locale et fréquemment en lien avec l'édification et la reconstruction des fortifications de Béthune (plus ponctuellement de celles de Lille). Les prémisses du canal d'Aire sont déjà présentes sous la forme d'un large fossé de défense construit au cours du XIIIe siècle. C'est également au cours de ce siècle qu'est construit le château de Beuvry.

Le territoire souffre des nombreux conflits armés qui marquent l'histoire du comté d'Artois entre le XIVe et le XVIIe siècle, principalement la guerre de Cent Ans (XIVe siècle - XVe siècle) et la guerre de Trente Ans (1618-1648).

L'Ancien Régime, un temps d'instabilité

Les conflits armés freinent le développement du village de Beuvry et de ses écarts qui sont maintes fois détruits et pillés par les soldats et les bandes qui sillonnent le pays. L’heure est essentiellement au repli derrière les fortifications de Béthune.

La fin des troubles du XVIe siècle laisse place à un élan de construction et de reconstruction. C'est à cette période que sont édifiées les fermes faisant l'objet de cette étude mais également l'église Saint-Martin (1575).

Au XVIIe siècle, l'ancien fossé de défense médiéval est agrandi pour accueillir une voie navigable (prémisses du futur canal d'Aire à La Bassée), ce qui a une incidence sur le début du projet d'asséchement des terres marécageuses aux alentours. Les plans des XVIIe et XVIIIe siècles démontrent l'importance de ces terres marécageuses sur le territoire dont on exploite la tourbe. De nombreux réseaux de fossés sont creusés afin de collecter les eaux et d'assécher les terres. Ces fossés favorisent la création de parcelles encloses (voir le plan datant du XVIIIe siècle du manoir de l'Estracelles). Les eaux sont rejetées dans les cours d'eau. Parmi ceux-ci, La Loisne joue un rôle important dans l'exploitation du milieu naturel avec l'implantation de rouissoirs à lin et de quelques moulins à eau.

Le positionnement de Beuvry sur une hauteur naturelle permet d'accueillir un grand nombre de moulins à vent à l'ouest du territoire. Le parcellaire, hors zone marécageuse, se divise alors entre l'usage agricole et forestier.

Au XVIIIe siècle, Beuvry est à nouveau ravagé par la Guerre de Succession d'Espagne (1701-1713). En 1708, une partie des habitants et le curé de Beuvry se réfugient à Béthune. En 1710, le siège de Béthune impacte Beuvry : le château seigneurial est rasé (il sera remplacé par un château moderne édifié entre 1741 et 1743 par la famille de Ghistelles).

De la Révolution à aujourd'hui

À la Révolution, Beuvry devient chef-lieu de canton. Parmi les troubles recensés, le récent château de Beuvry est détruit et démantelé. Le recensement de la commune en 1793 établit la population à 2 020 habitants et la commune est toujours organisée entre le village et ses écarts. Plusieurs moulins à eau et à vent sont encore présents sur le cadastre napoléonien de 1833. Le moulin à vent Buret est le dernier exemple des moulins en fonction au XIXe siècle. L'exploitation de la tourbe semble être encore une activité du secteur à lire les différents plans de cette période (dont la carte d’état-major). L'exploitation du grès, quant à elle, ne semble plus être une activité.

Le canal d'Aire à La Bassée est creusé en 1824, sur l'ancien grand fossé de défense médiéval, il est mis en service en 1825 dans le but de joindre la Deûle à la Lys. Un embranchement, le canal de Beuvry, est construit par la compagnie des Houillères de Vicoigne et ouvert à la circulation en 1865. Ce bras de canal permet en parallèle une accélération de l'asséchement des marais aux alentours, autorisant l'accès aux derniers secteurs non exploités. En 1868, une liaison avec la voie ferroviaire principale de Lille à Béthune est ouverte (elle sera fermée en 1974). Le développement des compagnies houillères et de l'industrie au XIXe et XXe siècles a un impact majeur sur l'urbanisation de la commune. On note également la construction d'une centrale thermique à charbon en 1919 (démantelée en 1974). Une seconde église, Saint-Pierre, est bâtie au XIXe siècle à proximité de la prévôté de Gorre afin de permettre aux paroissiens les plus éloignés du nord de la commune de rejoindre plus facilement un lieu de culte.

La commune est impactée par la Première Guerre mondiale, comme l'ensemble des villes et villages situés non loin de la ligne de front. C'est lors de ce conflit qu'est notamment détruit le château Jude Gosse de Gorre et que l'église est ravagée par un bombardement. Quelques rares blockhaus et un cimetière militaire britannique témoignent encore de ce passé.

Aujourd'hui Beuvry est une commune urbaine de 9 164 habitants (2020).

Bibliographie

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  • Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France. Vocabulaire de l'architecture. Réd. Jean-Marie Pérouse de Montclos. Paris, Imprimerie Nationale, 1972 (2 vol.).

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  • SOBOUL, Albert. La maison rurale française. Paris : Éditions du C.T.H.S., 1995.

  • TACHET, Nicolas et alii. Beuvry (Pas-de-Calais) : Manoir de l'Estracelles : Rapport probatoire, année 2014. Béthune : Artois Comm, Direction de l'Archéologie, 2014.

  • TROCHET, Jean-René. Les maisons paysannes en France et leur environnement, XVe-XXe siècles. Paris : Éd. Créaphis, 2006.

  • VEILLON, Didier. Observations sur la jurisprudence et la doctrine françaises relatives au droit de colombier (XVIe-XVIIIe siècle). In : CHAVAUD, Frédéric et alii. Justice et sociétés rurales : du XVIe siècle à nos jours – Approches pluridisciplinaires [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2011.

Date(s) d'enquête : 2023; Date(s) de rédaction : 2023
(c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
Tachet Nicolas
Tachet Nicolas

Chercheur de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, région Hauts-de-France (2023).

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