Description et analyse de la baie O

La baie 0 contient une verrière du XVIe siècle à la fois déplacée, remaniée et/ou restituée (lancettes gauche et droite, panneaux 3, 4 et 5), puis complétée par des panneaux d’accompagnement (lancettes gauche et droite, panneaux 1 et 2 et tympan) créés par Sylvie Gaudin entre 1981 et 1983. L’abbé Le Sueur est le premier à l’avoir décrite en 1891 : "[…] un personnage en pied, une couronne sur la tête, vêtu d’une robe tissée d’or et d’un manteau parsemé de fleurs de lys d’or, tient un livre ouvert dans la main gauche et deux clés dans la droite. Dans le panneau voisin, la Vierge se tient aussi debout, tenant l’Enfant Jésus sur son bras gauche, la main droite levée, soit pour bénir, soit pour accepter les clés que semble lui offrir le personnage en vis-à-vis. On a pensé que ce personnage représentait saint Riquier consacrant son abbaye à la Vierge." Saint Riquier, patron de l’église, en aurait reçu les clefs de saint Pierre, lors d’un voyage à Rome. C’est ainsi que cette verrière a été nommée Saint Riquier offrant à la Vierge les clefs de son église. Si l’on observe le panneau figurant la Vierge et l’Enfant (lancette gauche, panneau 4), on constate que celle-ci ne lève pas sa main droite comme l’écrit Le Sueur, mais qu’elle y tient une poire qu’elle présente à l’Enfant qui tente de l’attraper. Dans son autre main, le Christ tient un crucifix. Les visages des trois personnages, la Vierge, l’Enfant et saint Riquier (lancette droite, panneau 4), sont finement dessinés en grisaille noire rehaussée de grisaille brune posée en lavis, avec de délicats enlevés dans les chevelures. La Vierge a le visage rond et le Christ est bien joufflu. Des traces de jaune d’argent sur le nimbe de l’Enfant montrent qu’il était doré, tout comme sa chevelure bouclée. La Vierge est vêtue de son traditionnel manteau bleu, mais sa robe est de couleur pourpre, peut-être pour créer un contraste avec le fond rouge sur lequel elle est figurée. Saint Riquier, tourné vers la Vierge et figuré sur le même fond rouge, est richement vêtu. En plus d’être couronné, il porte une robe en damassé d’or, peinte à la sanguine et un manteau du même bleu que celui de la Vierge, mais parsemé de fleurs de lys d’or, et au col et au revers d’hermine. Deux chaines argentées portées en plastron et fixées par quatre ferrets, ornent son col en fourrure d’hermine. La tête du saint et le col en hermine sont peints sur le même verre.

Panneaux 4 : ces deux panneaux sont caractéristiques des représentations figurées sur les vitraux au XVIe siècle : des personnages disposés entre des colonnes à l’antique formant une bordure, avec à l’arrière-plan un fond uni surmonté de baies. Les deux colonnes surmontées d’un chapiteau corinthien, qui entourent saint Riquier, sont circulaires et autour d’elles, telles des guirlandes, s’enroulent des feuilles d’acanthe peintes au jaune d’argent. Les deux fenêtres au remplage flamboyant, situées à l’arrière-plan de part et d’autre du nimbe du saint, sont semblables à celles de l’église, plaçant ainsi la scène figurée sur le vitrail au cœur de l’édifice, lui donnant une dimension historique. Le fond uni derrière la Vierge n’est pas surmonté de fenêtres, mais de deux anges aux drapés ondoyants couronnant la sainte, très finement peints et ombrés à la grisaille brune rehaussée de jaune d’argent. Quelques bouche-trous issus d’autres vitraux du XVIe siècle ont été ajoutés au fil des restaurations sur ces deux panneaux, notamment sur la colonne de droite du panneau de la Vierge et sur le dallage, ainsi qu’au pied de la colonne de gauche et du dallage du panneau de saint Riquier.

Ces deux panneaux ont en outre été restaurés par Sylvie Gaudin. Elle a restitué les cinq pièces inférieures manquantes du manteau de saint Riquier, dont les plis sont peints et ombrés en grisaille, sur un verre bleu teinté dans la masse, ainsi que deux fleurs de lys et une pièce en bas à gauche de sa robe damassée. Sur le panneau de la Vierge, elle a aussi restitué la base de la colonne de droite. Sur les deux panneaux, des plombs de casse ont été ajoutés pour réparer des pièces de verre rompues ou fissurées (entre autres : les colonnes droite et gauche, les dallages, l'un des anges couronnant la Vierge, le manteau et la main droite de la Vierge, la main droite et le buste du Christ). Des collages ont aussi été effectués, quand c’était possible, afin d’éviter le recours aux plombs de casse peu esthétiques, notamment sur le visage de la Vierge et les doigts de sa main droite.

Panneaux 3 : au-dessous de saint Riquier, le panneau 3 de la lancette droite figure l’Archange saint Michel nimbé et en armure de chevalier. La scène est incomplète et les lacunes ont été comblées au fil du temps par des pièces de verre issues d’autres vitraux XVIe de l'église, posées en bouche-trous (le chérubin en médaillon, en bas du panneau, par exemple). Cependant, une ou deux pièces pourraient évoquer les écailles d’un dragon, et une autre, en haut à gauche, la lance de l’archange, sur un fond de paysage architecturé avec des cygnes voguant sur l’eau. Ce genre de paysage à l’arrière-plan de la représentation de l’Archange saint Michel terrassant le dragon étant caractéristique du XVIe siècle.

Lorsque le panneau est arrivé à l’atelier en 1981, il était semblable au modèle fourni par l’aquarelle d’Oswald Macqueron. La restauration a consisté là encore à remplacer des pièces de verre rompues ou fissurées, notamment celles des bords inférieurs gauche (5 pièces) et droit (6 pièces) du panneau, puis à en restituer d’autres, comme l’une des pièces figurant l’aile gauche de l’archange. Cinq autres pièces ont été remplacées par des verres colorés ou incolores, agrémentés de motifs ou d’ombres en grisaille putoisée. Des plombs de casse ont aussi été posés, sur le médaillon situé au centre en bas du panneau, ou encore au-dessus de la jambe d’un angelot, et sur des verres colorés. Enfin, des éléments de bordure récupérés du panneau de gauche attenant ont été ajoutés dans les parties lacunaires pour recréer une bordure dans la continuité des panneaux supérieurs.

À côté de l’archange saint Michel, le panneau 3 de la lancette gauche a été entièrement remanié par Sylvie Gaudin, qui n’a conservé du panneau d’origine (baie 8 puis baie 11 dans l’édifice) que les nombreux fragments de bordure du XVIe siècle, qu’elle a réinsérés dans les deux panneaux 3 (et dans la baie 1), ainsi que des pièces significatives et en bon état. L’aquarelle de Macqueron exécutée en 1863 et le panneau avant restauration montrent en effet de nombreux fragments de bordure et diverses pièces anciennes, rassemblés autour d’une roue surmontée d’un ciboire doré porté à deux mains et d’un chérubin en médaillon. Sylvie Gaudin n’a pas conservé la roue, mais elle a réinséré le ciboire au centre du panneau et le chérubin dans la tête de lancette droite de la baie. Cinq plombs de casse ont été ajoutés afin de réparer les pièces cassées (pied, dallage, et calligraphie). Le panneau est ainsi constitué d’un mélange de pièces anciennes (éléments d’architecture, fragments calligraphiés, dallage, un pied…) et de pièces créées par Sylvie Gaudin, dans un assemblage en macédoine, bordé d’un motif de couronne autour d’un sceptre répété sur la hauteur du côté gauche du panneau, finement peint en grisaille et au jaune d’argent. Elle n’a pas placé de bordure sur le côté droit du panneau, suggérant ainsi le lien entre les deux panneaux situés côte à côte.

Panneaux 5 : les deux têtes de lancette sont constituées de fragments du XVIe siècle. La tête de lancette gauche est semblable à celle qui occupait la même place dans les baies 8 et 11 à l’origine, avec peut-être des éléments de la bordure inférieure en remploi. Deux plombs de casse ont en outre été ajoutés à l’un des fragments de bordure peints à la sanguine. Sylvie Gaudin a inséré dans la tête de lancette droite le chérubin qui se trouvait à l’origine dans un médaillon du panneau inférieur gauche des baies 8, puis 11 de l’édifice, comme écrit plus haut. Il était, avant restauration, déjà consolidé par deux plombs de casse. Elle a en outre restitué les deux pièces des lobes latéraux de la tête de lancette droite, qui présentent des motifs de rinceaux peints à la grisaille et rehaussés de jaune d’argent.

Panneaux 1 et 2 et tympan : ces panneaux sont des créations de Sylvie Gaudin en complément aux vitraux du XVIe siècle. Elle en a repris les couleurs maîtresses, c’est-à-dire le rouge au cuivre, le bleu au cobalt et le jaune à l’argent, auxquelles s’ajoutent le vert, le pourpre et les nuances de la sanguine qui vont des bruns chauds aux roux très vifs. À partir de ces couleurs, elle a créé les panneaux 1 et 2 comme des pastiches des panneaux 3 en macédoine, mêlant des formes géométriques à des motifs végétaux, architecturaux ou animaliers, entourés d’une bordure extérieure stylisée, peinte en grisaille et au jaune d’argent. Au tympan, elle s’inspire des créatures célestes en peignant des formes fluides et en utilisant les couleurs dominantes : bleu, blanc, rouge et jaune.

Description et analyse de la baie 1

La baie 1 contient une verrière du XVIe siècle à la fois déplacée, remaniée et/ou restituée (lancettes gauche et droite, panneaux 3, 4, 5 et 6), puis complétée par des panneaux d’accompagnement créés par Sylvie Gaudin entre 1981 et 1983 (lancettes gauche et droite, panneaux 1 et 2 et tympan). La tête de lancette gauche contient un fragment du XVIe siècle qui se trouvait au tympan de la baie 12 en 1940. La droite est une création de Sylvie Gaudin. Les panneaux 3, 4 et 5 des deux lancettes occupaient à l’origine l’ensemble des lancettes d’une baie de la nef. L’abbé Le Sueur la décrivait ainsi en 1891 : "Dans une autre fenêtre, on peut voir le baptême du Sauveur, plongé dans les eaux du Jourdain, avec ses ondes et ses roseaux, Jean le Baptiste lui versant de l’eau sur la tête. Et ça et là des têtes d’évêques ou d’abbés mitrés, des moines semblant chanter."

Panneaux 5 : ces panneaux ont été débarrassés par Sylvie Gaudin de leur base architecturée. Ils figurent chacun un évêque coiffé de sa mitre. Ici encore, les scènes sont lacunaires et ont été complétées par des bouche-trous issus de fragments du XVIe siècle. La mitre de l’évêque du panneau gauche est notamment complétée par un élément de dallage. On trouve aussi sur ce panneau, des éléments de corniches, de végétaux ainsi que des architectures. Quatre pièces de ce panneau ont été remplacées, principalement sur sa partie gauche et en haut à droite, par des éléments de bordure issus de l’ancienne baie 8/11. On y dénombre deux plombs de casse et trois plombs ficelle. Le panneau droit contient six nouvelles pièces, en remplacement d’anciennes brisées ou manquantes, qui sont constituées de verres unis, de fragments du XVIe siècle ou encore de créations de Sylvie Gaudin (les trois pièces de la bordure supérieure du panneau, en partant de la droite). On compte sur ce panneau, quatre plombs de casse ajoutés ainsi que trois plombs ficelle sur le bas du visage et le cou de l’évêque.

Panneaux 4 : les deux panneaux de cette baie figurent, à gauche un bourreau et à droite le Baptême du Christ. Était-ce une baie dédiée à saint Jean-Baptiste ? En tout cas ces panneaux, comme les autres, sont incomplets et comblés de fragments du XVIe siècle posés en bouche-trous : là un mouton, là un clou et une tenaille (les instruments de la Passion du Christ) ou encore des éléments d’architecture et des éléments de bordure. On distingue, sur le panneau gauche, le manche (peint à la sanguine d’un orange vif) de ce qui était sans doute une épée dont la lame brandie devait passer dans un axe tangent à la tête du bourreau, et qui a été remplacée par une pièce (manquante en 1940) simulant une lame de sabre, mais qui n’est pas dans l’axe de la main du bourreau. Cette pièce a été remplacée par trois pièces anciennes issues notamment de la baie 8/11. Une autre pièce, au-dessus de la tête du bourreau, a été remplacée par quatre pièces aux motifs et coloris divers mais dont la forme contribue à prolonger la longueur de la lame du sabre, renforçant son effet visuel. Trois autres pièces ont été remplacées au niveau du bras droit du bourreau. Un seul plomb de casse et un plomb ficelle (main gauche du bourreau) ont été ajoutés lors de cette restauration. Sur le panneau droit, il ne reste que peu d’éléments du corps du Christ, un visage et une partie du buste, ni de celui du baptiste qui se trouvait à droite dans la disposition d’origine. Seule une main lui versant de l’eau sur la tête demeure. La grisaille du beau visage au regard profond et aux traits fins et délicats du Sauveur est malheureusement dans un état d’altération qui nous prive de ses détails. La qualité de ce panneau est confirmée par une jolie pièce montée en chef-d’oeuvre, qui figure une étoile, dorée au jaune d’argent. Les différences entre les figures du bourreau et du Christ, au niveau de l’échelle de leur visage, de leur état de conservation des grisailles, ou encore du dessin, tendent à établir que les deux personnages ne faisaient pas partie de la même verrière à l’origine et qu’ils n’ont pas été peints en même temps ni par le même peintre verrier. Sylvie Gaudin a peu restauré ce panneau, hormis deux pièces de verre bleu réparées dont l’une avec un plomb de casse, trois plombs ficelle ajoutés à l’architecture située en bas à gauche, et enfin une pièce entièrement refaite, à gauche de l’étoile en chef-d'œuvre.

Panneaux 3 : ces deux panneaux sont essentiellement constitués de fragments de vitraux du XVIe siècle posés en macédoine, tels qu’ils l’étaient déjà dans la baie 19 de l’édifice avant 1940. Le panneau gauche n’a subi aucune modification, seulement l’ajout de seize plombs de casse dont huit plombs ficelle, tandis que trois pièces manquantes en haut du panneau droit ont été refaites par Sylvie Gaudin, qui a en outre ajouté treize plombs de casse. Certains fragments de ces panneaux sont de grande qualité, tels deux moines qui semblent chanter - celui de gauche tenant un livre -, peints à la sanguine sur un verre incolore, ou encore des détails d’architecture, un autel, peut-être, ou la tête mitrée d’un évêque en prière les mains jointes. Le panneau droit, lui, se place dans la continuité de la scène qui le surmonte, celle du Baptême du Christ. On y distingue le haut de ses jambes de trois quarts, peintes et ombrées à la grisaille avec la même délicatesse que son visage. L’abbé Le Sueur écrit : "Dans une autre fenêtre, on peut voir le baptême du Sauveur, plongé dans les eaux du Jourdain, avec ses ondes et ses roseaux […]". Il ne reste malheureusement qu’un fragment de ces eaux bordées de roseaux, peintes en grisaille bleutée, qui laisse imaginer ce qu’avait pu être ce vitrail au XVIe siècle. Les autres fragments n'ont rien à voir avec la scène, tel celui qui figure une corde nouée en huit.

Panneaux 6 : les deux têtes de lancette de cette baie sont très originales par leur composition, imaginée et réalisée par Sylvie Gaudin. Dans celle de gauche, elle a inséré un ange en prière du XVIe siècle, qui se trouvait à l’origine sur la partie extérieure de la mouchette gauche du tympan de la baie 12. C’est l’unique fragment ancien dans une composition résolument contemporaine et originale, car la pièce est oblique et s’insère dans les trois lobes à la fois, mais sans les remplir entièrement, donnant l’impression que l’aile gauche de l’ange va percer le disque bleu du ciel. C’est un choix de Sylvie Gaudin qui aurait tout aussi bien pu insérer cette pièce dans le tympan de la baie d’axe, dont le remplage est similaire à celui qui la contenait avant 1940. L’originalité de cette composition tient aussi au fait qu’elle contraigne l’ange à franchir la bordure inférieure, le faisant sortir de son cadre, à la manière des portraits de la Renaissance et de leurs parapets qui, selon qu’ils étaient franchis ou non, renforçaient la proximité des personnages avec le spectateur. Elle a ensuite conçu la tête de lancette droite en pendant de la gauche, figurant un ange stylisé avec une tête d’oiseau, et en utilisant les mêmes couleurs : une grisaille sur verre incolore rehaussée de jaune d’argent pour l’ange, un verre pourpre pour ses ailes, sur un fond de ciel bleu. La bordure inférieure des deux têtes de lancette est une restitution du motif en frise du XVIe siècle que l’on pouvait voir sur la baie 11.

Panneaux 1 et 2 et panneaux du tympan : ces panneaux sont, à l’instar de la baie 0, des créations de Sylvie Gaudin en complément aux panneaux du XVIe siècle. Les deux baies qui possèdent un tympan fleurdelysé sont les baies 1 et 2 qui encadrent la baie d’axe. Sylvie Gaudin s’est ainsi inspirée des panneaux du XVIe siècle qui composent le tympan de la baie 2, pour réaliser ici une composition qui lui fait pendant. Elle en reprend donc les motifs floraux puis une représentation abstraite d’un jeune moine en prière, ainsi que les couleurs, dans une dominante de pourpre. Comme elle l’a fait pour la baie d’axe, Sylvie Gaudin a créé les panneaux 1 et 2 comme des pastiches en macédoine des panneaux supérieurs, mêlant des formes géométriques à des motifs végétaux, architecturaux ou animaliers, entourés d’une bordure extérieure stylisée, peinte en grisaille et au jaune d’argent. Chaque pièce est peinte en grisaille avec de multiples détails, au trait, en lavis, en enlevés, ou encore brossés, sur des verres teintés ou incolores. Les couleurs primaires sont toujours à l’honneur, ainsi que le vert, les ocres et le pourpre.

Description et analyse de la baie 2

La baie 2 contient une verrière du XVIe siècle à la fois déplacée, remaniée et/ou restituée (tympan et lancettes gauche et droite, panneaux 4, 5 et 6), puis complétée par des panneaux d’accompagnement (lancettes gauche et droite, panneaux 1, 2 et 3) créés par Sylvie Gaudin entre 1981 et 1983.

Quatre panneaux (lancettes gauche et droite, panneaux 4 et 5), qui se trouvaient à l’origine dans la baie 12 de l’église, racontent la légende parisienne dite du Miracle des Billettes : une histoire de profanation d’hostie qui aurait provoqué un miracle eucharistique. Cette légende participait de la propagande antisémite au Moyen Âge. Un usurier juif dans la rue des Billettes, a prêté trente sols parisis à une pauvre femme de la paroisse de Saint-Médéric qui lui a laissé ses habits en gage. Alors que la fête de Pâques approche, la femme supplie l’usurier de lui rendre ses habits, les seuls convenables qui lui restent pour célébrer honorablement la fête. Celui-ci accepte, mais à condition qu'elle lui rapporte l'hostie consacrée. Le jour de Pâques, la pauvre femme subtilise l'hostie qu'elle aurait dû consommer et l'amène à l’usurier qui s'acharne alors dessus, la perce de coups de couteau, y plante un clou avec un marteau et la flagelle. Il la jette ensuite au feu mais elle en ressort intacte, en voletant dans la pièce. L’usurier cherche ensuite à la découper avec un gros couteau de cuisine, en vain. Il la met dans les latrines et la transperce d'un coup de lance. À chaque torture, un ruisseau de sang coule des plaies de l’hostie. Enfin, lorsqu’il jette l'hostie dans un chaudron d'eau bouillante, l'eau se teinte de sang, puis le disque s'élève au-dessus du chaudron, surmonté d'un crucifix dans une mandorle rayonnante. Tous les épisodes de cette légende occupaient sans doute l’ensemble de la baie 12 au XVIe siècle. Il n’en demeure aujourd’hui que des fragments, diminués encore par la disparition des têtes de lancette pourtant présentes sur la photographie de 1903 et qui contenaient des scènes de la légende.

En observant la photographie, on constate d’ailleurs que Sylvie Gaudin, dans son remaniement de la baie, a interverti les deux panneaux 5. Certains épisodes de la légende sont encore reconnaissables sur le panneau 5 de la lancette droite, comme l’hostie qui voltige au-dessus du chaudron sous le regard de l’usurier qui se tient debout d’un côté et la femme de l’autre, les bras croisés, qui le regarde. Au-dessus de l’hostie s’élève le Christ en croix que l’usurier menace, un bâton à la main. Un sujet populaire au XVIe siècle était celui où l’hostie, poursuivie par son ravisseur qui lui fait subir toutes sortes de profanations, trouve refuge dans une ruche où l’essaim d’abeilles forme alors autour d’elle un ostensoir doré. Le jardin avec les ruches et l’essaim d’abeilles sont tout à fait reconnaissables sur le vitrail, en haut de la lancette droite. On peut y voir l’hostie au milieu des abeilles qui lui offrent, pour la protéger, un ciboire en cire dont on distingue le pied. Dans la tête de lancette droite disparue, on pouvait voir le prêtre donnant la sainte communion à la femme, avec l’église en arrière- plan et l’autel orné d’un crucifix au fond du sanctuaire.

Si l’on se fie aux fragments de la légende, qui sont tous dessinés et peints finement à la grisaille rehaussée de jaune d’argent sur verre incolore, on peut en déduire que la baie entière était peinte de cette manière, ce qui était courant au XVIe siècle. Le panneau voisin, dans la lancette gauche, contenait vraisemblablement les scènes de l’arrestation puis de la condamnation de l’usurier, qui selon l’histoire a été brûlé. Les textes placés sous les différentes scènes, telle une légende pour expliciter l’histoire et sa morale, confortent cette hypothèse. Ainsi peut-on lire, au-dessous d’un panneau indiquant "Paris", "le menant mo[u]rir", puis "subit le feit peril". Sans doute pour dire qu’il périt par le feu qu’il a lui-même infligé à l’hostie. Sur le panneau de la lancette droite, on peut lire la fin d’une phrase "[…] par miracle" et le mot "tabernacle", bien qu’il ait été coupé à l’occasion de la restauration. En haut à gauche du panneau 5, la plus belle pièce montre en effet des cavaliers avec des lances. Deux autres pièces fragmentaires montrent un cavalier dont le cheval tire une charrette (on n’en distingue qu’une roue), et qui regarde derrière lui, la main gauche levée, tenant un objet non identifiable. Ces pièces sont elles aussi peintes en grisaille et au jaune d’argent sur verre incolore. Les autres pièces de ces deux panneaux sont des fragments du XVIe siècle posés en macédoine. La restauration de ces panneaux par Sylvie Gaudin a consisté principalement à réparer les pièces fissurées avec des plombs de casse de différentes épaisseurs et à restituer des pièces cassées (trois sur le panneau de gauche, quatre sur celui de droite). Une restauration ancienne de ces panneaux les a malheureusement dénaturés en y introduisant des pièces grossières de verre teinté dans la masse qui nuisent à la cohérence et à la lecture de ces jolis panneaux très détaillés du XVIe siècle.

Les panneaux 4 des deux lancettes de cette baie sont aussi des panneaux qui rassemblent des fragments du XVIe siècle. Eux aussi racontent la légende de l’hostie profanée, mais il n’en reste que deux personnages, sur le panneau de droite, la femme et l’usurier sans doute, dont les visages sont peints en grisaille et au jaune d’argent sur un fond d’architecture fleurie, mais dont les vêtements colorés ne sont sans doute pas non plus d’origine. Une inscription mentionne que la scène se déroule à Paris. Le panneau de gauche est indéchiffrable, mêlant de jolies pièces de verre, peintes encore une fois à la grisaille et au jaune d’argent : un visage d’homme moustachu, deux têtes de chevaux ou encore un élément d’architecture avec pilier, grande arcade et fronton triangulaire. Deux piliers quadrangulaires peints en grisaille sur un verre pourpre occupent le centre du panneau de gauche. Ces deux petits panneaux n’avaient pas de dommages majeurs et ont seulement bénéficié de l’ajout de quelques plombs de casse lors de leur restauration et réinsertion dans la baie 2. Il y avait encore un autre panneau dans chacune des deux lancettes, mais ils avaient déjà disparu à la fin du XIXe siècle.

Panneaux 6 : dans les deux têtes de lancette, Sylvie Gaudin a inséré deux pièces du XVIe siècle dans une composition aussi originale que celle des têtes de lancette de la baie 1, qui lui font pendant. L’une de ces deux pièces figure un ange vêtu d’une aube blanche, tenant, dans un geste d’offrande, une pyxide dans la main droite et son couvercle dans la gauche. Derrière l’ange se trouve un chien, la gueule ouverte. Le chien étant devenu au Moyen Âge un symbole de fidélité. L’autre pièce semble figurer un berger, assis dans l’herbe, hypothèse fondée sur les guêtres qu’il porte et les deux tuyaux dorés qu’il tient dans la main gauche, qui pourraient être ceux d’une cornemuse, attributs fréquents dans les représentations de l’Annonce aux bergers au XVIe siècle. Ces deux pièces se trouvaient dans les lobes inférieurs du tympan de la baie 8 en 1863 (voir aquarelle), puis dans les parties centrales des mouchettes du tympan de la baie 12 en 1903. Sylvie Gaudin les a intégrées, chacune dans une tête de lancette, de telle sorte que les jambes de ces deux personnages franchissent l’espace qui leur est traditionnellement dévolu dans le lobe supérieur, venant ainsi enjamber la bordure inférieure dont la frise a été restituée par Sylvie Gaudin. Cette composition, là encore, suscite l’impression visuelle que les personnages vont s’extraire du vitrail.

Tympan : le tympan de cette baie 2 a la forme d’une fleur de lys au bas de laquelle sont peints deux trèfles, de part et d’autre d’un jeune moine tonsuré, les mains jointes en prière, vêtu d’une robe de bure et d’un surplis. Les trèfles sont peints en grisaille sur un verre de couleur verte très pâle, avec des rehauts de jaune d’argent qui donnent par endroits des nuances de brun au contact du vert. Le moine est entièrement peint en grisaille, tandis que ses cheveux blonds le sont au jaune d’argent. Il est peint sur un fond brun, tandis que les trèfles le sont sur un fond pourpre, à l’image du tympan de la baie 1. Ce décor, peint au XVIe siècle, surmontait le vitrail de Saint Riquier offrant à la Vierge les clefs de son église, au tympan de la baie 11 de l’édifice, en 1903. Le lobe supérieur de la fleur de lys a été perdu et a donc été restitué par Sylvie Gaudin, qui a aussi créé les deux écoinçons bleus qui ceignent la fleur de lys.

Panneaux 1, 2, et 3 sont des créations de Sylvie Gaudin en complément aux panneaux anciens qui les surmontent. Les panneaux 4 étant nettement plus petits que les autres, elle a conçu les panneaux 3 de telle sorte qu’ils en prolongent les scènes figurées, afin de créer une unité visuelle en donnant l’illusion d’un seul panneau et non de deux, ayant alors quasiment la même taille que le panneau 5. Ainsi l’on peut voir deux colonnes pourpres se poursuivre sur le panneau 3 de gauche, et le bas de la robe du personnage féminin suggéré sur celui de droite. Pour renforcer cette illusion d’optique, elle a repris dans les panneaux 3 le même motif de légende des scènes peintes que dans les panneaux 5, sous la forme de bandeaux calligraphiés. Elle intègre en outre çà et là, quelques éléments de bordure similaires à ceux des baies précédentes, puis reprend, dans les panneaux 1 et 2, qui font pendant à ses créations des baies 0 et 1, ses motifs caractéristiques, mêlés de formes géométriques, de morceaux d’architecture, d’animaux stylisés ou encore de matières végétales et minérales. Elle s’inspire aussi des détails et des motifs présents sur les panneaux en macédoine du XVIe siècle, pour créer certaines pièces de verre, comme des bordures perlées, des damiers ou des eaux bordées de roseaux avec des canards… Mais surtout, elle crée ses panneaux en fonction des baies anciennes, et cela s’observe sur les trois baies qu’elle a complétées. Sur la baie d’axe, les verres teintés dans la masse sont majoritaires sur les panneaux anciens. Ses panneaux d’accompagnement possèdent eux aussi davantage de pièces de verre teinté dans la masse. Sur la baie 2 en revanche, ce sont les verres incolores peints en grisaille qui dominent les panneaux anciens, et ils sont aussi plus nombreux sur les compositions de Sylvie Gaudin, ce qui concourt à l’équilibre et à l’harmonie qui se dégage de ces trois baies.

Description et analyse de la baie 3

Les baies 3 et 4 du chœur de l’église Saint-Riquier ont entièrement été dessinées et vitrées par Sylvie Gaudin en 1984. À l’instar des compléments qu’elle a conçus dans les baies 1 et 2, ses créations dans les baies 3 et 4 se font pendants et adoptent ainsi une iconographie et une coloration similaires. Afin que ces baies mettent en valeur les vitraux anciens tout en s’intégrant à l’édifice, l’artiste a choisi comme teinte dominante, des ocres plus ou moins chauds qui font écho au calcaire crayeux des pierres qui composent cette belle église. Le XVIe siècle en France se caractérise dans l’art par un style italianisant né de la redécouverte des vestiges de l’Antiquité. Un retour à l’antique se manifeste ainsi dans un grand nombre de vitraux dès les années 1550, tel celui de Saint Riquier offrant à la Vierge les clefs de son église, dont les personnages sont placés entre des colonnes antiques d’ordre corinthien, et non plus sous des dais gothiques comme c’était le cas au début du siècle. Sylvie Gaudin semble s’être inspirée de la Renaissance pour créer ces deux baies aux tons chauds ponctués de bleus, de rouge et de verts, sur lesquelles on peut voir une multitude d’éléments d’architecture dans une alternance équilibrée de lignes verticales (colonnes, piliers, pierres taillées superposées, intrados d’arcade) et horizontales (corniches, marches d’escalier, cartouches en bas des panneaux 1 et 3), dont les lignes fuyantes suggèrent la profondeur spatiale, tels des vestiges de temples antiques sur un fond de ciel bleu pâle. Ces morceaux d’architecture sont parsemés de motifs géométriques (notamment le carré, omniprésent dans les compositions de Sylvie Gaudin), mais aussi de motifs végétaux et minéraux. Des plantes, des mousses poussent sur les pierres et les recouvrent, tandis que de l’eau s’écoule ou fait des flaques.

Sur le panneau 1 de la lancette gauche de la baie 3, un clin d’oeil à la photographie, métier auquel Sylvie Gaudin se destinait, s’est glissé sous la forme d’un cadre de mise au point. Il faut s’approcher de ces baies et même se munir de jumelles pour en apprécier la richesse de la peinture en grisaille et au jaune d’argent et les habiles compositions de motifs et de formes géométriques colorés, d’une grande diversité.

Description et analyse de la baie 5

Dans les deux baies orientales des bas-côtés nord et sud, Sylvie Gaudin a bénéficié d’une liberté totale de création et d’une absence de contrainte. Pas de proximité avec d’autres vitraux, ni de sujet religieux imposé. Ce sont donc des oeuvres d’artiste à part entière. On y retrouve sa manière et ses motifs de prédilection, ainsi que ses coloris favoris dominés par le bleu, le rouge, le jaune et le vert, auxquels s’ajoutent ici des nuances de rose et de violet, de gris et de brun. Le tympan, occupé d’ordinaire par des créatures célestes bibliques, est ici peuplé de petits mammifères aux yeux ronds, tandis que des oiseaux semblent déployer leurs ailes en haut des lancettes. Le carré est toujours présent et décliné en différentes tailles et teintes. Elle l’utilise notamment pour apposer son monogramme, sous-forme d’enlevés dans la forme peinte en grisaille noire, en bas à droite de la baie.

Description et analyse de la baie 6

Sur l’unique baie de l’édifice qui possède trois lancettes et un joli tympan au remplage flamboyant à trois fleurs de lys, Sylvie Gaudin a laissé libre court à son imagination pour créer des formes insolites de couleurs variées qui s’illuminent de différentes nuances selon la lumière extérieure. Les couleurs et les formes sont réparties harmonieusement sur le tympan et les trois lancettes agrémentées d’une bordure latérale, d’une frise au bas des panneaux inférieurs, et de trois motifs du même vert éclatant en haut des trois lancettes. Ce qui est caractéristique du travail de Sylvie Gaudin et particulièrement sur cette baie, c’est la façon dont elle incorpore les plombs à sa composition, de telle sorte qu’ils deviennent invisibles, fondus dans la représentation des formes. L’artiste utilise en outre tous les outils et techniques des peintres verriers du Moyen Âge pour donner forme, densité et luminosité à ses motifs peints sur le verre : le trait, le lavis, le brossage, le blaireautage, le putoisage, les enlevés à l’aiguille ou au petit bois dans la grisaille pour révéler le verre incolore, ce qui concourt à la diversité de ses créations. On peut encore déceler dans cette baie une mise en abyme du métier de peintre verrier, à travers ce grand carré de verre translucide, strié de lignes obliques en grisaille.

Immergée dès ses débuts dans les restaurations de vitraux du XIIe au XVIe siècle, Sylvie Gaudin en a acquis non seulement la connaissance puis l’expertise, mais aussi une profonde admiration pour le travail des peintres verriers de cette époque, qui s’exprime pleinement à travers son oeil de photographe, sa curiosité et son talent de peintre, tant dans ses travaux de création que dans ses compléments à des verrières anciennes.