La construction de l'usine Saint Frères
Alors que Saint Frères possède déjà depuis les années 1860 une première fabrique à métiers au centre du bourg de Beauval, l'entreprise décide de quitter la vallée de la Nièvre où elle s'était développée jusqu'alors pour construire un nouvelle usine. Le projet est doublement motivé par la présence de la ligne de chemin de fer, tracée en 1887, et par le projet concurrent de l'industriel Victor Sueur, qui souhaite installer un tissage de jute à Beauval, berceau natal de la famille Saint. En 1897, Charles Saint décide donc de construire une usine importante, comprenant une filature, un tissage de jute et une corderie, plus vaste encore que celle de Saint-Ouen. L'entreprise achète les terrains à la sortie nord du bourg, vers Doullens, et à proximité immédiate de la gare.
L'industriel confie la réalisation de cet ensemble à l’ingénieur Monflier, épaulé par l’architecte de l’entreprise Abel Caron. Ensemble, ils s'attèlent à la construction de cette nouvelle et vaste usine. Les bâtiments de la corderie doivent en effet atteindre plus de 320 m de long. A la fin de l'année 1897, une grande partie du gros œuvre est en voie d'achèvement. Malheureusement, alors qu’une grande partie du gros œuvre est déjà achevée, le 1er décembre 1897, une violente tempête provoque l’effondrement de la charpente et entraine avec elle une partie des murs qui étaient montés. L’un des ouvriers du chantier qui était sur place y trouve malheureusement la mort. Ces événements conduisent l’industriel à modifier le projet initial et à abandonner le projet de corderie. Les travaux reprennent quelques mois après, le temps d'enlever les gravats et d'adapter le chantier au nouveau projet. La nouvelle usine est néanmoins achevée à la fin de l'année 1898. Elle est mise en service le 31 janvier 1899, et dirigée jusqu'en 1910 par Alexandre Deneux.
En octobre 1910, Fernand Petit, qui avait quitté l'usine de Beauval en 1905, y revient et assure la direction de cette grand unité de production. Il y reste jusqu'à son décès en 1912. La succession est assurée par Philippe Joly, considéré comme l'un des meilleurs employés de l'usine, puis par Raymond Petit qui hérite de cette responsabilité de 1928 à 1940.
Du déclin à la démolition du site
Après être passé sous la direction de Boussac Saint Frères en avril 1979, l'usine de Beauval est reprise en décembre 1989, par la société finlandaise Rosenlew, spécialisée dans l’emballage souple en papier et en matière plastique. Cette dernière entreprise ferme ses portes en 2004, après quinze ans d'activité. Pendant huit ans, le site est sans usage et aucun projet de réhabilitation le concernant n'est concrétisé. Il est finalement racheté par en juin 2012. Ce dernier rase la totalité des bâtiments industriels du site en juillet 2012, à l'exception des bureaux à l'avant et des maisons de concierge et de direction qui encadre l'entrée principale.
Un équipement technique innovant
En 1899, l'usine est alimentée par une machine à vapeur de 1200 ch et par 7 chaudières, qui font fonctionner aussi bien les broches de la filature que les métiers du tissage. A l'époque, la filature comprend 9186 broches, du constructeur anglais Fairbain, et le tissage est équipé de métiers Fairbain Arquhart, allant de 0,80 m de large à 2,20 m. En 1900, les sources mentionnent la présence de 12 cylindres sécheurs fabriqués à Flixecourt. Il faut attendre l'entre-deux-guerres pour que l'usine abandonne l'énergie thermique des machines à vapeur et soit électrifée en 1926. L'usine de Beauval prend son essor après la Seconde Guerre mondiale, en devenant la première unité de production du groupe à être équipée de métiers à tisser circulaire, inventé en 1933 par la société Rotatiss et rachetée par Saint Frères, cette innovation est considérée comme majeure dans l'industrie du jute. Lors de l'enquête du repérage du patrimoine industriel mené en 1986, les ateliers abritaient une presse à huile et un moteur Urquhart Lindsay, daté 1889, fabriqué à Dundee, ainsi qu'une coupeuse Zeil, non datée ainsi que plusieurs métiers à tisser circulaires de 1949. En 1965, la production de l'usine représente à elle seule environ 15 % de la production française de jute.
Approche sociale et évolution des effectifs
A son installation, l’usine de Beauval comprend un effectif de 750 personnes. Lors des grandes grèves de 1904 qui touchent l'industrie textile, l'usine de Beauval n'est pas touchée. En 1930, au moment des grèves de l'été, contre l'application de la loi relative aux assurances sociales qui prévoit une contribution ouvrière égale à la contribution patronale, l'effectif de l'usine est de 900 salariés. Ce mouvement social qui mobilisa plus de 70 % des ouvriers est le plus important que l'entreprise eut à connaître.
A partir de 1937, une crèche, permettant d’accueillir quarante enfants, avait été installée à l’intérieur même de l’usine. En 1983, un premier plan de licenciement est engagé et touche 400 personnes sur les 535 que compte l'usine. En 1988, l'effectif passe à 300 salariés En 1992, l’usine ne compte plus que 288 salariés, dont 100 femmes. En 1962, l'effectif de l'usine est supérieur à 500 salariés. Il passe à 300 salariés en 1988.