Le patrimoine architectural de l'aire d'étude
Les architectes et le patrimoine communal
Ecoles et mairies
Du fait de la proximité de Lille et Valenciennes et de leurs écoles d’art, les communes de la Campagne Habitée ont souvent fait appel à des architectes formés dans ces villes pour la construction de leurs bâtiments publics. Nombre de maisons-écoles et écoles sont construites entre 1843 et 1901 par des architectes actifs dans ce secteur. Alexandre Grimault est sollicité à Maulde, Lecelles et Rumegies, où il construit respectivement une maison-école en 1855 et une école de filles en 1862, aménage des maisons en maison-école en 1843, et enfin une mairie-école en 1862. Mais c’est surtout Louis Dutouquet qui est très présent, avec les constructions d’une école de filles en 1850 puis d’une mairie-école en 1864 à Sars-et-Rosières, et la transformation de la maison-école de Lecelles en école de garçons.
Les mairies sont quant à elles plutôt aménagées dans des bâtiments préexistants (presbytère, maison patronale ou encore ancienne école), comme à Maulde, Lecelles, Saméon et Bouvignies. Les seules mairies-écoles réalisées d’après un véritable projet sont situés à Sars-et-Rosières (Dutouquet, 1860) et à Rumegies (Grimault, 1862).
Les écoles sont des bâtiments simples, en brique, à étage, couvertes de toits à deux pans, faisant front à rue. Elles possèdent préau et salles de classe disposées à l’arrière. Dans la plupart des cas, un logement d’instituteur complète le dispositif, souvent à l’étage. Les mairies-écoles bâties d’après de véritables projets, à Sars-et-Rosières et Rumegies, sont en brique, à étage, rythmées par des travées marquant la répartition des fonctions.
Eglises et temple
Les constructions religieuses de la Campagne Habitée datent du XVIIe siècle et ont été reconstruites ou déplacées au cours du XVIIIe siècle : Bouvignies en 1738 par Louis Abraham, Rosult en 1750, Lecelles en 1759, Saméon par le frère Louis en 1771, Landas en 1775, Beuvry-la-Forêt en 1787 par l’architecte lillois Jacques-François-Jospeh Lesaffre, qui réalise l’année suivante l’église de Rumegies, et en 1791 celle de Saint-Amand-les-Eaux.
Au XIXe siècle, elles font l’objet de divers travaux d’entretien, sous l’égide d’architectes comme Etienne Voisin (Saméon, Landas, Rumegies, Bouvignies), Henri Vallez (Lecelles), Louis Dutouquet (Lecelles, Rosult, Sars-et-Rosières), Aimé Dubrulle (Saméon, Bouvignies), Alexandre Grimault (Rumegies), Charles Maillard (Lecelles), Pierre-Jospeh Dautel (Bouvignies), Carlos-François Batteur (Landas).
Au XXe siècle, seule l’église de Maulde est reconstruite en 1923, par le cabinet d’architecte G.G. Trannoy, Albert Camus et Alfred Marsang. Le seul temple du territoire, situé à Lecelles, est construit d’après le projet du douaisien Théodore Lepers, en 1863.
Les églises sont toutes de plan allongé à trois vaisseaux (à l’exception de celle de Rosult), adjoint avec abside semi-circulaire (Beuvry-la-Forêt, Landas, Maulde, Sars-et-Rosières) ou à trois pans (Bouvignies, Lecelles, Rosult, Saméon, Rumegies), et précédées d’une tour-porche.
Parmi les sept églises reconstruites au XVIIIe siècle, six adoptent le même parti, de style classique : l’élévation est en brique, les vaisseaux sont couverts de coupoles sur pendentifs ou en berceau plein-cintre (comme à Rumegies et Lecelles), la nef à arcades en plein-cintre est soutenue par des colonnes doriques (à l’exception de Lecelles où elles sont ioniques). Seule l’église de Rosult à vaisseau unique était couverte d’une voûte en berceau plein-cintre. Les deux autres édifices sont uniques en raison de leur date de construction : l’église de Sars-et-Rosières (1852) est de style néogothique, celle de Maulde (1923) de style néoroman pour l’élévation extérieure, et néoclassique pour le volume intérieur.
Presbytères
Les presbytères de Beuvry-la-Forêt, Lecelles, Saméon et Rumegies datent du XVIIIe siècle, ceux de Landas, Bouvignies, Sars-et-Rosières du XIXe siècle et celui de Maulde du XXe siècle.
Louis Dutouquet (1821-1903) Architecte d’envergure régionale
Né à Hasnon, Louis Dutouquet étudie à Valenciennes puis à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Il s’installe à Valenciennes en 1848 où il acquiert une grande notoriété régionale, lui permettant de construire dans le Nord, et en particulier dans le Valenciennois, de nombreux édifices privés, publics ou religieux. On compte parmi ses œuvres majeures l’université catholique de Lille (1879-1887). L’architecte jouit alors d’une place privilégiée comme maître d’œuvre du développement des communes dans la seconde moitié du XIXe siècle. Nombre de ses réalisations jusque-là en partie ignorées (calvaires, chapelles, presbytères, églises, écoles, mairies) ont été recensées sur la Campagne habitée. Les aspects stylistiques et techniques qu’il développe dans le cadre de ses projets en font un des principaux artisans du courant éclectique florissant au cours de cette période. La commune de Sars-et-Rosières concentre un nombre important de ses constructions, s’échelonnant sur près de 20 ans : la maison d’école des filles (vers 1849), l’église et le presbytère (entre 1852 et 1859), la maison d’école des garçons, mairie (entre 1859 et 1864) et probablement le calvaire en 1870.
Beuvry-la-Forêt possède la seule réalisation de type industriel pouvant lui être attribuée (sucrerie reconvertie en fabrique de ouate).
Les marques de l’industrie et de l’artisanat
Une terre d’industries céramiquesLe territoire est très tôt marqué par l’industrie. Les fouilles archéologiques ont révélé notamment la présence d’importants centres de productions céramiques gallo-romains (briques, tuiles, etc.) dans les communes de Beuvry-la-Forêt, Flines-lez-Râches où une argile adaptée permet l’élaboration de matériaux de qualité.
Les grandes abbayes, qui en ont fort besoin, redécouvrent au Moyen Âge les matériaux de terre cuite et réorganisent les centres de production. L’industrie céramique (tuile, brique, carreau, drains, etc.) a pour point d’orgue le XIXe siècle, puis décline peu à peu jusqu’au milieu du XXe siècle.
Des histoires industrieuses
La romanisation organise également l’artisanat local et les industries textiles naissantes telle que la fabrication de toile de lin et de laine qui connaît une vigueur particulière au Moyen Âge (Orchies, Douai et Valenciennes sont de grands centres textiles où se vendent les toiles fabriquées dans les campagnes). Si l’activité textile en milieu rural perdure jusqu’au XIXe siècle, elle décline peu à peu et est remplacée par les grandes usines urbaines ; certaines communes rurales perpétuent cependant cette activité de façon industrielle (Rumegies ou Bouvignies) jusqu’au XXe siècle.
La révolution industrielle, qui succède à la révolution agricole au milieu du XIXe siècle, et l’accompagne, est favorisée par l’histoire et la géographie du territoire : une position géographique particulière (accessibilité par voix terrestre et fluviale), un sous-sol exceptionnellement riche (argile [brique, tuile], calcaire [chaux, ciment], sable [verre, tuile], charbon [énergie]), la main d’œuvre abondante d’une zone rurale proche de grands centres urbains, mais aussi zone frontière, terre de passage et d’échanges humains et commerciaux.
De fermes en usines
L’industrie marque très tôt le territoire et engendre un ingénieux mélange propre à ces terres fertiles et industrieuses, à la cohabitation des mondes ruraux et industriels : les fermes-usines.
Tôt dans le XIXe siècle, la région, réputée fertile, connaît en effet un essor et un important perfectionnement de son agriculture, sous l’impulsion du blocus continental décrété en 1806 par Napoléon Ier, favorisant notamment la culture de la betterave à sucre et de la chicorée. Le secteur connaît un développement agricole et artisanal d’envergure dans la seconde moitié du siècle, par la mécanisation et la rationalisation des activités. Dès lors, de nombreuses fermes traditionnelles se modernisent et se dotent d’équipements artisanaux ou industriels adaptés à la transformation des produits de l’agriculture : betterave, chicorée, orge, houblon et autres ressources locales comme l’argile et le calcaire. Les variantes de ces fermes-usines sont nombreuses : ferme-cossetterie (chicorée), ferme-sucrerie/distillerie (betterave), ferme-briqueterie, ferme-graineterie ou encore ferme-brasserie. La silhouette traditionnelle de ces fermes s’enrichit de bâtiments d’où émergent une haute cheminée encore visible.
Leur exploitation périclite cependant après les deux guerres mondiales, et bon nombre d’entre elles se recentrent de nouveau sur l’exploitation agricole seule.
Le patrimoine rural
L’architecture rurale s’adapte aux ressources locales, à la nature du sous-sol et au climat. Sur le territoire de la Campagne Habitée, la richesse des matériaux et des savoir-faire, associée au courage des hommes, a forgé au fil du temps un patrimoine d’une grande diversité.
La plupart de ces édifices sont en brique, souvent enduite en soubassement. Les matériaux tels que la pierre de Tournai, le grès, le torchis et le pan de bois (utilisé avec la brique dans les murs des granges ou des chartils) sont très rares. Le grès ou la pierre bleue sont utilisés pour les trottoirs de logis ou dans les cours de ferme, permettant ainsi les déplacements à pieds secs.
Le gravier roulé, technique utilisée à partir des années 1920, a été observée sur l’ensemble du territoire mais en particulier sur la commune de Maulde, où l’artisan plâtrier Lechantre-Haroux en est l’habile utilisateur ; les soubassements ou les façades des logis de plusieurs maisons et fermes en sont recouvertes.
Les fermes
Leur forme actuelle est dans la plupart des cas le résultat d’une ou plusieurs évolutions, avec souvent le passage d’un type à un autre au fil du temps, des évolutions techniques de l’agriculture, ou des possibilités financières du propriétaire.
La ferme élémentaire
Dite aussi ferme monobloc, ferme en long ou ferme « à brouette » (car les fermiers de petite condition n’avaient pas les moyens de posséder une charrette attelée), la ferme élémentaire est la plus modeste des exploitations agricoles. Elle regroupe sous le même toit, parfois dans le même corps de bâtiment, le logis, l’étable et/ou l’écurie et la grange. Ce type de ferme est en voie de disparition car l’exiguïté du logis entraîne le remaniement systématique de la « grangette » et de l’étable en habitation.
La ferme en L
Elle est composée de deux principaux corps de bâtiment implantés en équerre. La grange est parallèle à la rue pour faciliter la manœuvre des charrettes. L’étable est indifféremment associée au logis perpendiculaire à la rue ou à la grange. En revanche, l’écurie et la grange sont fréquemment réunies sous le même toit. Les deux corps de bâtiment sont le plus souvent jointifs.Cette typologie semble conditionnée par la forme étroite des parcelles. Comme la ferme élémentaire, ce type de ferme devient rare. Les bâtiments sont remaniés en habitation, leur taille modeste facilitant les transformations de volume et d’usage.
La ferme en U
Fréquente sur le territoire, la ferme en U se caractérise par trois corps de bâtiment distincts organisés autour d’une cour ouverte sur la rue, mais très souvent clôturée par une grille ou un muret. Parfois, c’est une ancienne ferme en L à laquelle a été ajouté un corps d’étable-écurie indépendant. La grange est presque toujours implantée parallèlement à la rue, en fond de cour, pour faciliter le maniement des véhicules tractés. Etables et logis, présentant leur mur-pignon à rue, se font face.
Au fil du temps, l’architecture d’une ferme est souvent transformée : en fermant des éléments sur la rue, une ferme en U devient une ferme à cour fermée. A contrario, une ferme à cour fermée est parfois remodelée en U par la destruction de bâtiment, souvent le pigeonnier-porche en front de rue.
Une variante plus tardive se développe vers la fin du XIXe siècle ; elle se compose d’un logis en façade principale sur rue et d’une grange en fond de cour, les deux bâtiments étant reliés par l’étable-écurie.
Les censes, œuvres des moines
Les censes sont de grandes fermes à cour fermée, le plus souvent propriétés d’une abbaye ou parfois d’un seigneur. Nombreuses sur le territoire, elle sont l’empreinte du passé abbatial.
La Révolution n’a pas épargné les nombreuses abbayes implantées ici entre le VIIe et le XIIIe siècle. Elles sont confisquées et vendues pour servir de carrière de matériaux entre la fin du XVIIIe siècle et le premier quart du XIXe siècle. En revanche, leurs grandes propriétés agricoles, les censes, qui avaient gardé leur utilité fonctionnelle, ont échappé à la destruction. Elles ponctuent encore aujourd’hui les paysages ruraux de Lecelles (comme la ferme Choques) ou Rosult, et parfois urbains comme à Beuvry-la-Forêt. Elles sont d’un grand intérêt historique et architectural : édifiées au milieu des terres agricoles et souvent exploitées à l’origine par les moines, elles sont peu à peu, à partir du XIIIe siècle, louées « à ferme » ou « à bail » à des fermiers en contrepartie redevables d’une rente foncière, le « cens ». Dès lors, ces exploitations s’appellent « censes » et l’exploitant, le « censier ».
Construites et remaniées au fil des siècles, les plus anciennes conservent parfois des éléments antérieurs au XVIIe siècle, comme la cense de Hongrie à Rosult.
Les censes sont composées d’un vaste agencement de bâtiments autour d’une cour fermée dominée par une imposante grange dîmière et le pigeonnier-porche, symbole de puissance et de privilège. L’ensemble s’accompagnait autrefois de nombreuses dépendances : fournil, « carrin » (abri à chariots), moulin à eau ou à vent, brasserie, etc., qui de nos jours ont toutes ou partie disparu.Elles étaient toujours entourées de vastes fossés servant de douves de protection, d’abreuvoir pour les troupeaux et de vivier.
La ferme à cour fermée
Le modèle d’organisation des censes est repris tout au long du 19e siècle, et plus particulièrement durant l’ « âge d’or agricole » entre 1850 et 1880. La fertilité des terres accrue par la mécanisation et l’amélioration des semences et des fertilisants favorise l’enrichissement et l’extension des exploitations agricoles, souvent modestes. S’ensuit un important mouvement de reconstruction de fermes à cour fermée sur le modèle de leurs aïeules, et de transformation de fermes en U (en fermes à cour fermée). Cette typologie se diffuse en nombre sur une grande partie du territoire, notamment sur certaines communes dont Lecelles. Le pigeonnier-porche se démocratise pour devenir l’emblème de l’architecture agricole qui marque la campagne. Fin d’un privilège
Les maisons
Pour la grande majorité, il s’agit de maisons élémentaires datant essentiellement de la seconde moitié du 19e siècle ou du tout début du 20e siècle, période pendant laquelle elles sont construites en série. Ce sont des maisons d’ouvriers d’industrie et non plus des maisons d’ouvriers agricoles. Elle sont en brique, de 3 à 5 travées, couvertes de toit à deux pans en tuile. Les autres maisons remarquables du territoire sont des maisons de notables. Elles sont construites entre 1870 et 1950.
A Maulde, les façades de nombreuses maisons ont fait l’objet d’un « rhabillage » par l’artisan plâtrier Lechantre-Haroux, qui met en œuvre le gravier roulé, technique que l’on retrouve par touches sur quelques autres communes du secteur.
La maison d’ouvrier agricole (longère)
Il s’agit d’une habitation à caractère rural, relevant de la ferme élémentaire, sans dépendance agricole. De plan en longueur, implantée perpendiculairement à la rue sur une parcelle étroite, la longère est en rez-de-chaussée. Sa façade principale, donnant sur une petite cour, est percée de cinq à sept travées de fenêtres. Les ouvertures, de formes rectangulaires, ont des menuiseries et des volets à battants en bois peints. Les murs, en briques, sont traditionnellement recouverts d’une peinture ou d’un badigeon à la chaux.
La longère est couverte d’un toit à long pan, généralement à pignons découverts, en tuiles flamandes, naturelles ou vernissées.
La maison d’ouvrier industriel
La maison d’ouvrier est en rez-de-chaussée, son comble n’étant à l’origine pas habitable. Sa façade principale, ordonnancée, se divise en trois travées de baies. Les ouvertures sont en arc surbaissé (ou à linteau droit pour les plus récentes), et comprennent des menuiseries et volets battants en bois peint.
Des jeux de briques animent leur façade principale : cordons, corniches, tables ou pilastres individualisant les travées.La maison de village est couverte d’un toit à longs pans en tuiles flamandes (remplacées ensuite par des tuiles mécaniques), naturelles ou vernissées.
La maison de notable
De plan rectangulaire, elle peut être pourvue d’un avant-corps formant un pignon ou un bow-window en façade principale.
Les murs, en briques, sont peints, et percés d’ouvertures de forme rectangulaire ou au linteau en arc surbaissé. Leur soubassement est généralement traité de façon différente du reste de l’élévation, soit enduit, soit recouvert d’un appareillage imitant des moellons ou des pierres de taille.La maison de notable se distingue par son décor et ses modénatures portés en façade, et sa taille, généralement relativement importante. Elle est recouverte d’un toit en croupe ou en pavillon, généralement en tuiles mécaniques.
Elle est également entourée d’un jardin, et le plus souvent ceinte d’un mur de clôture.
Photographe de l'Inventaire général du patrimoine culturel.