La Cité-jardin de Tergnier. "M. Léandre Vaillat étudie la cité-jardin que la Compagnie du Nord vient de faire construire pour ses ouvriers et cheminots, et qui vient d'être inaugurée. Il est intéressant d'examiner cette œuvre française, alors qu'on nous vante si souvent l'effort fait à l'étranger pour l'habitation ouvrière. Il ne suffisant pas de réparer voies et ouvrages d'art, il fallait loger le personnel. Environ 12.ooo maisons dont moitié en dur sont construites actuellement sur l'ensemble du réseau, et en l'espace de deux ans, de grands progrès ont été accomplis dans la conception et l'exécution, dans l'élaboration des plans d'urbanisme qui deviennent de plus en plus souples et vivants (par exemple Saint-Pol, Dunkerque, Lens et Lille), dans l'architecture des édifices qui, de plus en plus, tendent vers un type régional, vers la variété, la logique, la simplicité des formes, la justesse des proportions.

En ce qui concerne Tergnier, on prit le parti de construire en dehors de l'ancienne ville, pour fuir les complications administratives. Le terrain suit une légère déclivité. Une grande ligne transversale la suit, en partant d'une butte qui, boisée, dessinée, deviendra un parc analogue à celui des Buttes-Chaumont. Tracez, en prenant comme centre trois points placés le long de cette voie, trois cercles, l'un plus grand au centre, les deux autres plus petits, de part et d'autre du premier, et vous aurez la configuration générale. L'association des lignes droites et des lignes courbes détermine des perspectives suffisamment variées, un décrochement amusant des toits et des maisons. Le cercle central groupe les écoles, la salle de réunion et le cinéma, la demeure du médecin, la garderie d'enfants, les bains-douches, l'infirmerie, la poste, en somme, les services de la communauté qui doivent être également accessibles à tous. Une école ménagère et une bibliothèque circulante sont ouvertes aux enfants chaque jeudi. La tangente du grand cercle effleure le magasin de ravitaillement, desservi par une ligne de raccord, avec des locomotives électriques pour gravir la pente et ne pas enfumer les voisins. Aux extrémités, les jardins, les promenades, le terrain de jeux, le cimetière protégé par un rideau d'ifs. Comme matériaux, l'argile rouge trouvée sur place moulée avec les scories que la Compagnie possède en abondance. Des volets peints en couleurs claires, des tuiles vernissées apportent une note gaie. Le danger de ces cités est l'uniformité qui rend si lamentables les corons du Nord minier, à Tergnier on compte jusqu'à 22 types de maisons différents, mais tous possèdent le porche, indispensable à la propreté et à la tenue ménagère. Ainsi s'est formée, en un an, une véritable ville de 1400 maisons. Les rues ont reçu notamment les noms des généraux de la guerre, des agents du chemin de fer morts au cours de leur service, des régiments qui dégagèrent Tergnier.

Enfin, il est à peine besoin d'ajouter que les installations sanitaires ont été particulièrement soignées conduites d'eau, égouts, bains, etc. Le même souci patronal de favoriser la race a conduit à assurer des privilèges d'option pour les familles nombreuses".

VAILLAT, Léandre. "La cité-jardin de Tergnier". Extrait de Bâtiment et Travaux publics, 14 juillet 1921. La Construction moderne, 24 juillet 1921, p. 343.

"Des choses vont mal dans les régions dévastées ! Sur les champs désolés et les villes en ruines, des nuées de rapaces se sont abattus : faux-entrepreneurs, pseudo-fonctionnaires, trafiquants de la mort, gens d'affaires véreux, pilleurs de "dommages". Oui, bien des choses vont mal… Mais ces laïcs, ces plaies honteuses ne doivent pas faire oublier que des efforts admirables de reconstruction ont été réalisés. Ne sont-ils pas admirables ces paysans tenaces qui, au lendemain de l’armistice, sont revenus prendre possession de leur terre ? Ils n’avaient plus rien. Ils se sont logés dans les abris, sous les tôles, dans les cagnas. Ils ont repris la bêche et a houe, sarclé la grenade et l’obus ; et leur labeur a dore la zone rouge de moissons nouvelles.

Mais, dans le domaine industriel aussi des résultats considérables ont été obtenus. En particulier, il serait grandement injuste de méconnaître l’effort de la Compagnie des Chemins de fer du Nord, admirablement conduit a abouti à des résultats qui font l'admiration des étrangers.

Aujourd’hui, nous voulons marquer seulement l’importance d’une œuvre "à côté" réalisée par la Compagnie : celle des "Cités-jardins", disséminées dans les principaux "dépôts" du réseau. Il existe 32 de ces cités, logeant plus de 60.000 personnes. Comment sont-elles nées ? Comment ont-elles été réalisées ? Quelle importance présentent-elles au point de vue social ? Le mieux est encore pour répondre à ces questions d’y aller voir. Visitons ensembles la principale de ces cités, celle de Tergnier.

Tergnier ! Pauvre ville hachée, aux murs écroulés que recouvrent les herbes folles… Dans le vieux Tergnier, la démolition a été si parfaite qu’il est impossible de reconstituer même par la pensée, la silhouette de certains pâtés de maisons rasées… Et voici, à la lisière des ruines, non loin du grand dépôt de la Compagnie du Nord, la ville des cheminots. Une vraie ville, en effet, de près de sept mille habitants. Au centre, une immense voie centrale, très large, en macadam monte en pente douce vers un château d’eau dominant la plaine. C’est l’avenue des Champs-Elysées.

Le long de cette voie, trois ronds-points partent en éventail, larges d’une quinzaine de mètres, aux trottoirs soignés ; elles sont coupées d’autres avenues circulaires concentriques au rond-point. Les maisons s’alignent, largement séparées les unes des autres. Non pas des maisons de corons, mais des bâtisses claires, aux larges baies, aux toits rouges, si gais.

Aucune ne se ressemble. La plupart abritent deux ménages, d'autres, plus rares, quatre : mais, la construction est comprise de façon à éviter toute communauté gênante. Quelques-unes n’abritent qu’un ménage. Toutes ont un porche extérieur couvert là, les enfants jouent lorsque la pluie tombe ; le père, le soir, y lit son journal; dans les beaux jours, on y peut déjeuner.

Presque tous les logements ont quatre pièces ; d’autres, de cinq et six pièces, sont réservés aux familles nombreuses. Partout l’électricité, le tout à l’égout, l’eau sur l’évier. Devant chaque maison, un jardin, toujours admirablement tenu, égayé par des fleurs. En dehors de la ville, des potagers plus vastes, moins ornementaux, sont réservés aux habitants qui y cultivent surtout la pomme de terre. Chaque habitation a un cellier et un clapier, soigneusement construits. Mais, une ville ne se compose pas seulement d’habitations : il lui faut des services communs, assurant la vie matérielle et sociale de l’agglomération. A Tergnier, voici autour de la grande place centrale, la maison du docteur avec ses salles de consultations, la poste, la salle du conseil d’administration, la salle des fêtes, les écoles : école des garçons, des filles, école maternelle, école ménagère. 

Elles sont charmantes, ces écoles, avec leur sol de ciment, leurs grandes baies vitrées, leurs tableaux aux murs, leurs pupitres vernis, leur préau couvert. Les cours sont spacieuses et l’on a eu la bonne idée de rendre contiguës celles de l’école des garçons et des filles pour rendre plus vaste le "trou d’air". 

Ces bâtiments sont d’une architecture très étudiée, un peu précieuse peut-être, mais d’un ensemble agréable avec leurs couleurs polychromes.

Signalons encore les bains-douches, fort bien aménagés, un très beau terrain de sports, des tennis, un jardin d’enfants, un jardin public, un kiosque à musique, aménagé de façon amusante dans un des châteaux d’eau.

Une coopérative assure l’alimentation. Une ligne spéciale la relie au chemin de fer et les wagons arrivent à quai, en sorte que la manutention des marchandises, passant du wagon aux magasins de dépôt et de vente, est réduite au minimum. Le bétail est abattu sur place. Un tailleur, un coiffeur, un libraire, un bureau de tabac sont rattachés à l’organisation et ont leurs boutiques dans la Cilé. Tous ces bâtiments, maisons d'habitation et services communs ont été conçus avec une préoccupation de créer un en semble agréable à l’œil, souvent élégant. Il a été réalisé largement, sans mesquinerie, avec des trouvailles ingénieuses, charmantes dans le détail, et un souci d’assurer le maximum de confort aux habitants.

Telle est, à trop grands traits, la ville des cheminots. Ville encore inachevée, puisque à côté de ses 940 maisons en "dur" subsistent encore environ 300 maisons de bois, que la Compagnie se propose de remplacer progressivement par des bâtiments définitifs. Des hommes d’intelligence nette et de volonté ferme ont créé cela, en quelques mois. A côté d’eux, d’autres hommes avaient la charge de la reconstruction ; voyez ce qu’ils ont réalisé. Pas de vues d’ensemble, des efforts sporadiques, sans continuité, de la gabegie, du pillage… Ils pouvaient faire autrement, puisque d’autres l’ont fait. N’auront-ils donc jamais de comptes à rendre ?"

Henri BELLAMY. "Une visite à Tergnier. Les cités jardins de la Compagnie du Nord". Le Grand Echo de l'Aisne, 20 septembre 1922.

BRUNEL, E. "Le problème du logement et les solutions de la Compagnie des Chemins de fer du Nord". Revue internationale de l’industrie, du commerce et de l’agriculture, 20 juin, 1923, p. 10-13 [photos]

L’article d’E. Brunel indique que la compagnie des Chemins de fer du Nord a réalisé un immense programme de reconstructions provisoires, puis définitives, comprenant près de 5000 logements en bois et plus de 6000 logements en matériaux durs, répartis dans 26 agglomérations et abritant une population d’environ 60 000 personnes. Ce programme a été présenté à l’Exposition de l’Habitation familiale de Lille. L’œuvre accomplie présente une remarquable unité de conception d’ensemble, tout en conservant une infinie variété quant aux détails. "Ce qui la caractérise essentiellement, c’est le souci de la vie familiale dans un milieu sain, clair, riant et confortable". Les cités construites ont été dotées de toutes les installations indispensables à ces collectivités : écoles, services sanitaires, salles de consultations, pharmacie, bureaux de poste, boutiques pour certains commerces (coiffeur, librairie, bureau de tabac).

A cela il convient d’ajouter d’autres installations d’ordre récréatif, comme le stade sportif et la salle de cinéma, cette dernière servant à la fois de salle de réunion, de conférence et de spectacle. Ces ensembles n’ont "rien de semblable aux corons et aux casernes, dont les lignes géométriques et uniformes engendrent un sentiment de nostalgie et de tristesse". Trois cents types de maisons ont été étudiés et répartis de telle manière qu’il ne s’en trouve jamais plus de huit semblables dans chaque cité. Diffèrent par leur orientation et par la couleur des peintures qui les décorent. "Cela fait que l’œil est toujours attiré par un aspect imprévu, et ce mouvement du regard suscite l’animation de l’esprit, l’intérêt, la gaîté.

Les cités ont des voies larges et régulières avec des places dessinées de façon charmante. Les pièces des maisons ont un cubage plus que suffisant avec abondance d’aération et de lumière.

Chaque maison est entourée d’un jardin pour chaque famille qui s‘y livre à la culture potagère et y trouve des plantes grimpantes et des arbres fruitiers plantés par la compagnie. "Il s’agissait de bâtir une maison d’aspect agréable et surtout d’un prix bon marché, offrant

Les matériaux employés ont été de toutes sortes : bois, briques, moellons artificiels, etc.".

C. A. M. T. Série 202 AQ ; 202 AQ 1189. Cités jardins. Procès-verbaux du comite de gestion des cités (1920-1929) [photos]

Extraits de la présentation du projet de cités jardins de la compagnie des Chemins de fer du Nord par M. Dautry.

M. Dautry rappelle que la construction des cités jardins s’inscrit dans le contexte de la reconstruction du réseau ; elle doit permettre de résoudre la crise du logement et "montrer que le taudis est la grande cause des tares physiques et des haines sociales". Pour ses employés, la compagnie a besoin de maisons de plus de 2 pièces que ne peut fournir le ministère des Régions libérées. Elle obtient l’autorisation de présenter son propre projet de construction de maisons provisoires à condition "de ne s’éloigner ni comme type de maison, ni comme dépense de ce que préparait le ministère des Régions libérées".

En 1919, elle est autorisée à construire 2000 maisons de bois démontables, réalisées entre mai et novembre. Le parc comprend 6000 maisons de bois et 6000 maisons en dur, construites entre 1919 et 1923.

Chaque logement dispose d’un terrain de 450 à 500 m2, dont la clôture est formée de simples fils de fer tendus sur des piquets.

R. Dautry insiste sur la variété des habitations "c’est par la variété et la couleur que nous avons atténué nos imperfections. Pas de maisons uniformes et alignées, pas de maisons peintes de couleurs ternes et tristes. Le résultat est que, même lorsque nous avons fait des cités de 3 ou 400 maisons en bois, toutes du même type, nous avons obtenu des agglomérations d’aspect plus agréable. Puis à partir de 1920, nous avons pu nous procurer les matériaux et les ouvriers de tous corps d’état que nécessite ma construction de maisons en dur, nous avons abandonné le bois et nous y avons gagné plus de variété dans les types, les silhouettes et les détails".

Le prix de revient de ces maisons est de 26000 F environ et de 32000 F dans les grandes cités où les installations communes sont nombreuses. Les cités sont équipées du tout à l’égout et d’un éclairage électrique ; la distribution du gaz est alors à l’étude.

Plan et type de maisons

"Notre type de maison est, en général, à 4 pièces, la salle commune et 3 chambres, 1 pour les parents, 1 pour les garçons, 1 pour les filles. Chaque maison possède une cave ou cellier et un porche. Ce porche est un Maître-Jacques qui joue de nombreux rôles. Il est utilisé pour le nettoyage des vêtements et des chaussures, l’été, les femmes y cousent l’après-midi, les bébés y dorment dans leur voiture, l’homme y lit son journal en rentrant du travail, la famille entière y passe la soirée.

Une maison sur 20 comprend 5 pièces pour les familles nombreuses et une maison sur 20 en comprend 6 pour les familles très nombreuses, soit au total 1/10e des maisons à plus de 4 pièces".

Matériaux

"Nous avons construit nos maisons en transportant le moins possible de matériaux et nous avons utilisé les agglomérés de scories dont nous sommes producteurs. Nos agglomérés ont une double paroi avec un vide au milieu. Ces matériaux ont été recouverts d’un enduit de ciment, puis d’un crépi blanc".

Plantations-jardins

"Il ne nous a pas paru suffisant de faire des cités saines, nous avons voulu faire qu’elles fussent des oasis au milieu des ruines, éloignant le cheminot, sa femme, ses enfants, des plaisirs vulgaires et favorisant un des deux plus nobles plaisirs des sens : celui de la vue. Nous avons eu recours à la nature pour exalter la joie des yeux. L’enfant du cheminot qui vit près de champs désolés trouve autour de sa maison un jardin riant pour l’accueillir. Nous y avons planté des arbres fruitiers, deux rosiers, et nous facilitons la vente à bas prix des graines de fleurs.

Nous avons également planté beaucoup d’arbres publics dans nos cités : tilleuls, acacias, marronniers dans les avenues ; sur les places, des parterres et des corbeilles de fleurs aux couleurs vives.Nous voulons que les enfants connaissent la joie de cueillir eux-mêmes, sur l’arbre, la pomme de leur goûter et que les jeunes filles puissent fleurir leur corsage".

Foyers des agents de trains et des mécaniciens

Ces foyers remplacent les dortoirs et cuisines-réfectoires aménagés dans les gares et les dépôts. "L’ouvrier qui arrive de son travail, fatigué et sale, trouve en pénétrant dans le "Foyer", des lavabos, des douches et des bains, avec eau chaude et eau froide. Après avoir déposé ses vêtements de travail dans un séchoir et revêtu des vêtements propres, il se rend à la cuisine, puis à la salle à manger et enfin à la bibliothèque-fumoir.

Il passe enfin à l'hôtel, et là, au lieu de grandes chambres contenant 6 lits, chaque équipe de 2 hommes (mécanicien et chauffeur) trouve une série de petites pièces à deux lits".

Terrains de jeux

"Cultiver l’esprit ne suffit pas et la Compagnie s’est préoccupée de contribuer au développement de la santé physique et de la santé morale de la jeunesse en mettant à sa disposition des terrains de jeux propres à la culture physique. Admirateurs de l’enseignement du commandant Hébert, nous visons bien plus à faire de beaux athlètes des enfants de nos cheminots qu’à en faire des champions sportifs.

[...]

Dans certains cités, les jeunes filles et les jeunes enfants disposent, à proximité de leurs demeures, de terrains de jeux plus spécialement établis pour eux, encadrés de pelouses et de parterres fleuris pourvus de tennis et de sable en abondance pour les tout petits".

En conclusion, M. Dautry insiste sur les vertus salvatrices des cités jardins de la compagnie : "la sclérose ne durcira pas ces artères tant que les 12 000 agents et les 60 000 personnes qui vivent dans nos cités, qui y jouissent du calme et de la joie d’une vie largement rurale, ne connaîtront pas l’estaminet. Or ce dernier ne peut s’établir qu’en marge de nos cités. Il n’offre ni le confort ni la gaîté que l’agent trouve chez lui ; nous l’avons vaincu. La défaite de l’estaminet est plus que l’espérance d’une vie heureuse, c’est l’avènement".

M. DAUTRY. "Les cités-jardins du Chemin de fer du Nord". Communication faite à la société de médecine publique et de génie sanitaire. Séance du 22 mars 1923. Revue d’hygiène, Paris : Masson & Cie éditeurs. (C. A. M. T. 202 AQ 1189)

CAYOTTE, E. "Voyage d'études aux cités-jardins de la région du Nord". Extrait de L'Immeuble et la construction dans l'Est, 12 avril 1925

La cité de Tergnier.

"J'ai poursuivi mon voyage d'études par la visite de la cité jardin de Tergnier, qui est la plus importante, avec ses 26 kilomètres de rues et d'avenues et ses 1.121 logements.

Entrant dans la cité par la place de l'Etoile et l'avenue des Alliés, longue de 1.600 mètres, et au bout de laquelle s'élève un réservoir d'eau surmonté d'un belvédère, on a tout de suite l'impression d'un ensemble parfaitement ordonné et très heureusement conçu. Cette avenue est coupée dans sa longueur par deux grandes places rectangulaires.

La première place s'appelle place de France et est le centre de l'agglomération. Elle est limitée d'un côté par une salle de réunions et de fêtes, le bureau de poste et l'école ménagère et bibliothèque et en face par la maison du docteur, le service médical et le bâtiment des bains-douches. Toutes les avenues sont plantées d'une rangée de tilleuls et les clôtures en fil de fer des jardins sont garnies de fusains taillés en buisson qui restent verts toute l'année.

Les types de maisons diffèrent un peu de celles que j'ai vu à Lille et à Béthune. j'ai visité plusieurs maisons de trois logements de cinq pièces, de deux logements de six pièces et de quatre logements de quatre pièces, dont la distribution est bien conçue. Le dernier groupe de maisons construites est ordonnancé autrement que tous les autres. Un bâtiment central comprend deux logements de cinq pièces et il est relié à chaque extrémité à deux bâtiments composés de logements de quatre pièces et séparés du bâtiment central par les celliers et W.-C. Chaque construction, appelée "Living-room", est construite sur chaque pan d'un quadrilatère en bordure sur rue avec jardin derrière.

Mais mon attention a été attirée surtout par les bâtiments de services publics et si une critique m'est permise, je regrette que la belle façade de l'école Pasteur (école de garçons), avec, son clocheton et ses horloges sur quatre faces, soit masquée en partie par le pavillon du service médical en bordure de la grande place. En face de ce pavillon, la salle des fêtes avec buvette et, derrière elle, un grand terrain planté d'arbres avec, un deuxième réservoir d'eau au milieu, dont la base est utilisée en kiosque à musique.Au fond de cette place, un vaste bâtiment comprend les ateliers de réparation et, derrière ces ateliers, un immense stade avec piste de 600-mètres. Derrière l'école Pasteur et séparée par une vaste cour, se trouve l'école Jeanne-d'Arc (école de filles) et, tout au bout, la coopérative, qui est approvisionnée à pied d'oeuvre par wagon.

Derrière la maison du docteur, l'école maternelle, qui comporte deux pavillons en aile et un bâtiment central précédé d'un préau couvert très vaste, dont la partie verticale supérieure est vitrée. 270 enfants de 3 à 6 ans fréquentent cette école et sont divisés en deux sections :

1°. enfants de 3 à 5 ans ;

2° enfants de 5 à 6 ans.

Les deux ailes en retour comportent quatre grandes salles et le bâtiment du fond, peu profond et presque complètement utilisé en préau couvert, est constitué par les W.-C, les vestiaires et les lavabos. Là aussi j'ai retrouvé les gobelets de métal avec leurs brosses à dents. Le lavage des dents se fait chaque jour au savon de Marseille, peu coûteux.

De grandes pelouses derrière l'école sont encadrées par des allées qui permettent de faire faire du footing aux enfants que j'ai vu marcher à la file indienne en se tenant par la main, sans avoir l'idée de jamais fouler les pelouses qui sont très bien entretenues.

En arrière de ce terrain et en bordure sur une place formant carrefour, se dresse la construction qui m'a le plus intéressé. Il s'agit du centre d'hygiène maternelle et infantile et dispensaire d'enfants. J'ai admiré surtout l'installation intérieure, la propreté des salles, qui témoignent de la sollicitude de l'administration. Là, les mères enceintes doivent aller à des consultations prénatales, où des conseils d'hygiène leur sont donnés. Là, on surveille dès sa naissance, la santé des enfants. Des appareils de mensuration et de pesage fonctionnent continuellement, et lorsque la taille et le poids de l'enfant sont jugés insuffisants, on le fortifie au moyen de bains salés, et on le suralimente quand c'est nécessaire.Les mamans peuvent trouver dans cette maison, chaque jour, des dames dévouées et très expérimentées qui ont assumé la lourde charge de l'hygiène infantile et qui peuvent être fières des résultats qu'elles obtiennent, puisque la mortalité infantile à Tergnier est nulle. Les enfants des écoles viennent y prendre des douches comme le font leurs parents dans un autre établissement.

Je me suis étendu sur cette question qui sort du cadre de ma mission, parce que je la considère des plus importantes. Il ne suffit pas de loger les nombreuses familles, il faut aussi les aider à élever leurs enfants et à les fortifier. Ainsi l'oeuvre sera complète. J'ai visité ensuite l'établissement de bains-douches. L'entrée au milieu du pavillon est commune. Au fond, deux portes donnant accès aux côtés hommes et femmes. J'ai vu le côté hommes, qui comporte une salle d'attente avec bancs fixes autour ; derrière les deux salles d'attente (hommes et femmes) se trouve le local de la chaudière. En prolongement, à droite et à gauche, quatre cabines de bains et six cabines de douches. Les murs sont enduits en ciment lissé du haut en bas. Chacun doit apporter son linge et le prix des bains est de o fr. 75, celui de la (douche o fr. 30, pour permettre aux habitants de la cité de les fréquenter souvent. S'il ne serait pas possible de pratiquer ici des prix aussi modestes, on pourrait prévoir un établissement semblable au centre de l'agglomération à créer, pour permettre aux locataires de prendre des bains à bon marché.

Puis j'ai visité l'école ménagère, très simple aussi de construction, ayant une entrée par la cuisine, donnant accès à une grande salle de travaux manuels, couture et repassage. Une bibliothèque publique est aménagée dans ce bâtiment et fait pendant à la cuisine à l'autre extrémité du pavillon, avec une entrée spéciale. Il y a également une école de broderie pour les jeunes filles les plus adroites. A l'extrémité de la cité, et auprès du réservoir-belvédère, un immense terrain dans lequel a été fait des emprunts de terre, probablement pour en extraire l'argile, a été aménagé en parc anglais sans en modifier l'aspect. On s'est borné à tracer des allées, semer des pelouses fortement vallonnées, on a créé une pièce d'eau alimentée par une cascade et un ruisseau artificiels, qui sont eux-mêmes alimentés par un réservoir spécial. Un petit kiosque s'élève Sur un monticule au centre du parc et on a aménagé de place en place des bancs en ciment armé, très solides et dont l'entretien est nul. Ce magnifique but de promenade, très agréable pendant l'été, s'appelle : Les Buttes-Chaumont.

Comme on le voit, rien n'a été négligé : habitations confortables, bien tenues partout, vastes jardins, soins d'hygiène parfaitement compris, écoles dignes des plus grandes villes et distractions diverses, bals, cinéma, spectacles, musique, jeux en plein air et sports".

Directive relative aux constructions de cités ouvrières adressée par par A. Prothin, directeur de l'Urbanisme, aux inspecteurs généraux de l'Urbanisme, 10 avril 1945 (AD 80 ; 15J 96).

"L'attachement persistant de nombreuses sociétés industrielles et même de certains services publics à la forme d'habitation des "cités ouvrières", engage A. Prothin à préciser la position du MRU.

"Tous les observateurs s'accordent à constater que de telles "cités" sont la négation même de la vie sociale et qu'elles ne peuvent engendrer que des conséquences néfastes. Alors que la valeur civilisatrice d'une agglomération réside dans sa complexité, c'est-à-dire dans la possibilité de contacts et d'enrichissements mutuels qu'elle ménage aux éléments humains les plus différents, les "cités ouvrières" sont au contraire des facteurs de cloisonnement et d'appauvrissement.

Groupements de classe, où sont généralement parqués les salariés d'une même usine, elles les isolent du reste de la cité en les enfermant dans leur milieu de travail. Cette séparation et cette dépendance se traduisent sur le terrain par l'aspect des habitations et le voisinage obsédant des bâtiments industriels. Un logement ouvrier équivaut à un uniforme et la "cité ouvrière" à une caserne.

Cette solution à la fois primitive et artificielle doit donc être dépassée. Elle est incompatible avec la civilisation que prétend exprimer l'urbanisme. Sauf dans quelques localités minières, elle peut être évitée partout. J'insiste donc auprès de vous de la façon la plus formelle pour que les projets d'aménagement mis à l'étude dans vos circonscriptions prescrivent sans réserve tout zonage "social".

D'une manière générale, vous devez vous opposer à tout développement de groupes d'habitations ou de lotissements affectés à une catégorie professionnelle déterminée".

La directive préconise de favoriser les HLM locales "intégrant des salariés industriels dans un complexe social et l'extension harmonieuse d'agglomérations déjà organisées", solution la plus économique qui ne nécessite pas de voirie ni d'adduction d'eau et d'électricité, etc.

Quand la proportion des employés est trop importante il faut les disséminer dans plusieurs localités environnantes permettant l'accroissement des communes rurales ce qui implique de développer les transports en commun.

[...] en adoptant cette ligne de conduite, vous ne ferez pas seulement oeuvre d'urbanisme au sens véritable du terme, mais vous concourrez encore, de la manière la plus efficace, à l'unification sociale de la France".

Note pour M. Guillaume sur la reconstruction des cités

1 Plan d'ensemble des cités

Ils sont considérés, et dans certains cas profondément modifiés dans le but :

1 - d'éliminer la voirie surabondante

2 - d'obtenir une meilleure exposition des logements par rapport au soleil et aux vents dominants

3 - de lier d'avantage, quand c'est possible, nos cités aux agglomérations urbaines

4 - de créer des perspectives et effets architecturaux plus satisfaisants.

Il n'y a rien à dire sur ce programme très judicieux dans son principe.

Je relève toutefois un cas particulier qui m'a été présenté (je n'ai pas encore tous les projets) : celui de Tergnier.

Un "nouveau tracé a été effectué issu d'une part de la nouvelle orientation démographique adoptée pour la cité, liaison plus étroite avec la ville de Tergnier et ses satellites communales : Fargniers, Quessy et Vouël, et d’autre part de la nouvelle disposition des logements distribués, avant la destruction, selon le principe de dispersion totale selon une distribution parcellaire alignée sur les voies. Il y avait une solidarité complète entre le logement proprement dit et sa voie d’accès.

Nous avons admis, dans le nouveau tracé, une dislocation complète entre la voie et le logement qu’elle alimente, ce dernier n’est plus tributaire intrinsèque des voies.

Un autre facteur est intervenu dans l’adoption du principe de constructions regroupées : la topographie du lieu. Un terrain peut appeler des concentrations immobilières, ce qui est moins impératif en terrain accidenté. Nous savons qu’une dispersion trop grande en terrain plat peut créer une esthétique pénible et hétérogène.

La dislocation qui est une rupture entre le tracé de l’habitat et l’alimentation routière apporte non pas une anarchie mais une diversité architecturale systématiquement consentie. Un alignement rigoureux des constructions sur les voies peut conduire facilement à un système, une rigidité du corps architectural tout entier, peu souhaitable dans le cas d’un territoire bâti assez étendu et dont la densité de l’habitat est uniformément répartie.

[...] il a été recherché une distribution des volumes. Enveloppes groupées par "alignées" de 2 à 6 logements, volumes variant de 20 m à 72 m de longueur et formées de types de 4 pièces (3 chambres et une salle commune plus les dépendances) et 5 pièces (4 chambres et salle commune) types à peu près exclusifs adoptés dans la cité".

Extrait de BOSSU, Jean. "Reconstruction de Tergnier (Aisne). Une cité de cheminots". L'architecture d'aujourd'hui, avril 1946, p. 28.

Les cités de la SNCF

"Une question se posait d'abord : fallait-il tendre vers une vie sociale propre aux cheminots ou les intégrer à la vie urbaine ? Il paraissait souhaitable que les cheminots puissent s'intégrer à la vie sociale de la commune ou de la ville voisine, prendre part à ses principales activités, ne pas vivre isolément, en cellule entièrement séparée de l'agglomération locale et, de ce fait, ignorée ou négligée par la municipalité et les organismes connexes.

Dans un but analogue, mais par des voies différentes, on avait envisagé dans certains cas des cités destinées au per­sonnel de plusieurs industries. Mais la réalisation de ces cités "intercorporatives" se heurta à de nombreuses difficultés pratiques et, pour faciliter des constructions qui devaient s’élever dans des délais aussi réduits que possible, il fut décidé d'en rester aux cités simplement ferroviaires.

En matière d'urbanisme d'ailleurs, la S.N.C.F. s'est trouvée souvent tributaire d'un plan déjà établi pour une ville ou un site déterminé où il lui était ménagé une zone réservée à la construction de logements ; la détermination de cette zone était établie en tenant compte, autant que possible, des besoins du chemin de fer. Nous nous trouvions souvent en présence de terrains qui ne comportaient aucune viabilité, d'où difficulté de se raccorder à un plan général déjà mis au point par l'urbaniste.

Devant l'importance de la reconstruction proprement S.N. C.F. et la nécessité de construire rapidement, en accord avec les services de l'Urbanisme, il fut décidé de décentraliser dans la plus large mesure possible l'exécution et l'ensemble de la tâche fut divisé entre un grand nombre d'architectes d'opération, bien encadrés et travaillant en liaison avec les différents échelons des services S.N.C.f.

Les cadres ont été constitués par des urbanistes, placés sous la direction de M. U. Cassan; ils fixaient les grandes lignes des solutions à adopter et guidaient leurs architectes d'opération. Les principes de base qui furent établis comme· programme général de nos plans de cités, ont été les suivants:

• réduire la voirie au minimum ;
• réserver des espaces verts assurant aux habitants environ 400 m 2 de terrain utilisable, autant que possible joignant chacune des constructions;
• adopter, lorsqu'il n'y avait pas d'obstacle majeur, la disposition des constructions en quinconce, celle-ci ayant l'avantage d'éviter la promiscuité entre les locataires, donnant ainsi à ceux-ci l'impression d'être vraiment chez eux;
• éviter le plus possible les maisons individuelles et réaliser des maisons jumelées ou en bandes de quatre à six, rarement davantage et avec décrochements pour éviter l'aspect « coron »;
• orienter les constructions, de façon à obtenir le meilleur ensoleillement; près des agglomérations, lorsque le terrain est plus difficile à trouver, adopter la distribution en petits collectifs ne comportant que trois étages. Des collectifs plus importants étant construits dans les grandes villes.

Ces PRINCIPES devaient être respectés le plus possible ; cependant, ils n'étaient pas absolument impératifs et les architectes ont eu latitude de réaliser une œuvre personnelle sur les terrains mis à leur disposition ainsi que de traiter l'architecture de leurs constructions".

PEIRANI, P. "Les cités de la SNCF". Urbanisme, 1950, P. 64